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Marie-Marie est frémissante, se penchant sur moi, elle me chuchote à l’oreille :

— Tu sais qu’on vient de mettre dans le mille, Antoine ?

Oui : je sais. Plus que les éléments, il y a l’instinct.

Je murmure :

— Grâce à toi, Moustique !

Adeline continue :

— Paraît qu’avec Fabienne, il a été superbe, le « Baron ». Il en avait une à casser la mâchoire d’un gendarme !

— Adeliiine ! égosille la vieillasse, terrifiée.

— Excusez-moi, mais pourtant c’est vrai, madame.

J’enregistre les détails rassemblés à propos du mec : calvitie distinguée, regard pénétrant, allure noble, mise de très bon ton, gros sexe… (et ce sont des putes qui l’affirment !).

— Sa couleur d’yeux, je vous prie ?

— Noirs, fait la duègne.

— Châtain clair ! clame sa gagneuse.

— Taille ?

— Grand ! assure la vieille.

— Moyenne ! corrige Adeline.

— Signes particuliers ?

— Aucun ! font-elles de concert.

— Avait-il un accent quelconque ?

— Non, conviennent-elles en simultané.

La Vioque ajoute :

— Il s’exprimait lentement et avait un phrasé superbe.

Là, deuxième question archipertinente de Marie-Marie, décidément « incontournable » :

— Qui l’avait surnommé « le Baron » ?

— Fabienne ! répond spontanément Adeline.

— Pour quelle raison ?

— Il portait une chevalière avec un écusson dessus.

Je me sens bénaise, chaviré comme dans une cave bourguignonne. Le fumet de l’espoir, ses éthyliques vapeurs m’enveloppent le ciboulard comme la serviette chaude que te proposent les loufiats chinetoques en cours de repas mandarinesques.

« Calvitie distinguée, regard pénétrant, mise de très bon goût, allure distinguée, gros sexe, chevalière armoriée… » Ça se charpente doucettement, se complète…

— Avait-il un accent étranger ? demande encore ma petite fouine.

— Oh ! pas du tout ! proteste la dame Princesse, comme si, à ses yeux, venir d’ailleurs constituait une lourde faute.

Si elle accomplit son devoir civique, la duègne du cul, elle vote Le Penis, espère !

— Au cours de ses visites chez vous, a-t-il laissé entendre, à Fabienne ou à quelqu’un d’autre, ce qu’étaient ses occupations ?

A nouveau, elle s’entre-sondent du regard, chacune escomptant de l’autre quelque détail déclencheur. Mais « ça ne vient pas ». On sonne en coulisse et Madame va déponner.

Pendant son absence, j’insiste auprès d’Adeline pour qu’elle stimule sa mémoire. Voyons, ce « Baron », il venait d’où ? Il faisait quoi ? A quelles heures fréquentait-il l’appartement de la vieille ?

— Vous comprenez, dit Adeline, je ne l’ai jamais essoré personnellement. Exceptée Fiona, la toute première, il n’en avait que pour Fabienne. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il venait toujours en début d’après-midi.

— A quelle fréquence ?

— Variable. Il lui est arrivé de s’annoncer deux jours de suite, mais de rester plus d’un mois sans se montrer.

— Pourquoi toujours en début d’après-midi ? murmure Marie bis.

— C’est fréquent, révèle la fille : la digestion qui « les » incite !

La mactée revient et annonce l’arrivée du Pierrot Gourmand.

— La barbe ! soupire Adeline.

— Je vous en prie, mon enfant ! morigène Tatie Pain-de-Miches, ce qui se fait dans l’aversion est toujours bâclé. Par les temps qui courent, où ces messieurs rognent sur les dépenses jusque dans leurs coïts, on ne peut pas se permettre le moindre laisser-aller avec la clientèle. Je vous concède que cet homme au visage enduit de crème blanche n’est pas ragoûtant, pourtant il vous faut faire avec. Et bien faire !

Nous prenons congé peu après ces nobles paroles dans lesquelles s’affirme la permanence des grandes vertus françaises.

Ce serait tirer à la ligne que de te raconter notre détour par Bourg-en-Bresse où nous allons enquêter à propos du premier des trois meurtres connus. La vieille radasse trouvée dans une canalisation est oubliée et aucun de ses voisins ne se rappelle avoir aperçu à Brou d’homme correspondant au signalement du « Baron ».

Nous regagnons donc Paris à la modeste vitesse de 195 km/h, c’est ce que nous révèlent deux motards époustouflés par mon allure d’abord, puis par ma qualité de directeur de la Rousse ensuite. Le double salut militaire dont ils ponctuent mon départ, après leur absolution, est d’une rigidité marmoréenne qui en dit long sur leur admiration. Ils ne rompent que lorsque l’horizon nous a engloutis, c’est-à-dire dix secondes plus tard.

Le brigadier Mornefleur, « mon » planton (Alain Bombard l’écrirait plancton), se lève à mon approche et gardavouse comme un fou. C’est à la fois marrant et chiant d’inspirer le respect. Note que ce n’est pas moi qu’on salue, mais ma fonction. C’est marrant parce qu’un bonhomme qui se liquéfie à force d’obséquiosité quand tu te pointes a quelque chose de profondément ridicule ; et puis c’est chiant parce que la chose m’inspire une intolérable gêne. « Qui es-tu, pauvre San-Antonio, pour provoquer de l’émoi chez les autres ? »

— Monsieur le directeur, je dois vous prévenir que l’officier de police Pinaud se trouve dans votre bureau. Il a exigé que je le laisse entrer, alléguant que le sien est en réfection et qu’il préfère occuper le vôtre plutôt que celui de Bérurier. Il montrait tant d’assurance que, sachant l’amitié qui vous lie…

Je donne une tape napoléonienne sur l’épaule de Mornefleur.

— Te casse pas le cul, grand, t’es plus sous l’ancien régime ! Les Bourbons, c’est fini, on est en République, maintenant !

Et je rentre dans mon antre.

Une fort belle musique m’accueille : la Suite anglaise no 3 en la mineur de J.-S. Bach, interprétée à la guitare par Maya Obradovic et Christopher Leu.

J’avise un cassettophone miniaturisé, posé sur le plancher, contre un fauteuil dans lequel dort l’Ineffable. Saboulé London, l’Ancêtre. Bleu croisé agrémenté d’un léger fil gris, chemise ciel, cravate club marine et rouge. Son chapeau Pinay repose sur ses genoux. Il a la bouche ouverte et son ronflement agite le mégot de la Boyard maïs collé à sa lèvre inférieure, comme le vent la balise d’un aéroport.

Il est rasé, mais des touffes omises continuent de croître sur sa peau de dindon. Ma venue lui fait ouvrir un vasistas, puis deux. Son cher bon vieux sourire fait choir le mégot, éteint depuis lurette, heureusement.

Il se rassemble, prend appui sur les accoudoirs et se lève.

— On m’a dit que tu te trouvais à Lyon ?

— Je.

— Je pense que tu es allé interroger la mère maquerelle qui « employait » la seconde victime ?

Un vrai flic, la Pine ! Y a rien à lui apprendre : il sait tout ; et même il pourrait donner des cours aux jeunots qui nous arrivent des écoles de commissaires.

— Gagné ! applaudis-je. Dis, ça t’a rudement fait du bien de « prendre les eaux », tu as rajeuni !

Il glousse :

— Les eaux avaient le goût du pouilly fumé, mon cher. Non, le rajeunissement provient d’un remède helvétique dont je fais une cure et, surtout, surtout, d’une aimable jeunette de vingt-quatre ans à laquelle je m’abreuve comme à une source de jouvence !

— Parfait. Dites-moi, docteur Faust, il paraîtrait que vous vous intéressez à l’histoire Larmiche ?

— Tu sais bien que toute affaire passionnante me saute dessus comme des poux de corps sur un clodo !