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Quand tu entres, t’es assailli par une musique d’ambiance qui te joue le grand air de Madame Butterfly. Moquette vive, bureau composé d’un bloc de marbre derrière lequel une secrétaire pour magazine « Culs et chemises » téléphone à son ami Matthieu pour lui annoncer que sa salpingite va beaucoup mieux, de même que son herpès et son eczéma purulent : y a plus que sa vitesse de sédimentation qui péclote encore.

Un vaste portrait de Léopold Chirac, en couleurs surnaturelles et fluorescentes décore (si on peut dire) le mur au-dessus du canapé.

La secrétaire : une rousse excessive (y avait pas besoin d’ajouter de l’orangé) cesse d’exciter Matthieu pour s’occuper de nous.

Je lui demande le directeur. Elle me répond qu’il est en communication avec l’étranger et qu’est-ce que je lui veux-t-il ? Je lui ferais bien le coup de la fameuse blague en lui répondant : « Je viens opérer le branchement de son appareil téléphonique », mais je me contente de lui produire ma nouvelle carte gravée dont les lettres noires, en relief, brillent comme des carapaces d’insectes.

Ça l’époustoufle à mort.

Elle décroche à tâtons son biniou et sonne le singe.

— Le directeur de la Police judicieuse est là qui demande sur vous ! annonce-t-elle.

Je perçois un vol de points d’exclamation et d’interrogation qui tire-d’ailent dans le burlingue. Puis le gonzier, renonçant à sa communication avec Washington ou Pointe-à-Pitre, demande qu’on me fasse entrer.

Béru, que la secrétaire intéresse, me laisse vaquer. Je pénètre dans un bureau ultramoderne, avec des feuillages artificiels qu’on dirait des vrais et des giclées de foutre séché sur la moquette où le dirloche tire probablement la rouquemoute lorsque sa bibite réclame.

Lui, c’est un gars à l’air madré. Pas le miteux privé des films « B » français, mais un garçon saboulé milord, portant lunettes d’or, qui ressemble à l’excellent acteur Arditi.

Il vient à ma rencontre, comme le fit Hitler pour accueillir Pétain à Rethondes. De noires inquiétudes assombrissent son front.

— Ma secrétaire me dit que vous êtes le directeur de la P.J. ? fait-il avec un soupçon d’incrédulité.

— Elle n’est pas la seule à prétendre cela, fais-je en lui cloquant une seconde carte (j’en ai un stock inépuisable que m’man distribue chez les commerçants de Saint-Cloud, comme si j’étais un nouveau kinési qui cherche à se faire connaître !).

Ce brave Saint Thomas de la Poule marginale prend connaissance, masse la gravure d’un pouce connaisseur, puis dépose mon bristol sur son burlingue comme s’il s’agissait d’une relique précieuse.

— Je ne vois pas ce qui peut… Je suis parfaitement en règle et ne traite que des… Ma vie professionnelle est irréprochable.

— On se calme ! lancé-je gaiement.

Je m’assieds et, inversant les rôles, l’invite à m’imiter.

Il a le tic de tous les porteurs de besicles : il appuie toutes les quatre secondes sur le haut de la monture, comme si ses verres lui glissaient du pif.

— Il y a peu de temps, le docteur Desanges vous a confié un travail délicat, monsieur… heu ?…

— Larigot !

Il rougit, retire carrément ses besicles comme pour ne plus me voir (politique dérivée de celle de l’autruche).

— Je suis lié par le secret professionnel, il éperduse.

Je ris très fort, comme le Général de Gaulle quand on lui parlait de Lecanuet.

Me penche sur son établi.

— T’envole pas, mec ! lâché-je. Secret professionnel, mon cul ! Tu te prends pour le professeur Schwartzenberg ou quoi ? Ecoute-moi bien, fiston : tu me racontes tout, du début à la fin, et si tu rates un point virgule[11], t’auras plus qu’à dévisser la belle plaque de cuivre qui blinde ta lourde. Tu crois comprendre, dans les grandes lignes, ce que je t’expose là ?

Il assentimente de la tronche.

— Bien, dis-je. En ce cas, cher monsieur Larigot[12], je vous écoute.

Alors là, franchement, il devait être bon en dissertation, au lycée, car il balance bien, d’une voix parfaitement timbrée pour la délivrance rapide du courrier, excellent vocabulaire de communication, expressif, sans fioritures encombrantes.

Il achève et j’applaudis.

— Bravo, mon cher Larigot, voilà du bon travail qui m’inciterait à vous proposer de quitter le privé pour entrer au service de la nation. Mais hélas, vous y gagneriez moins d’argent. Etes-vous disponible, présentement ?

— S’il le faut.

— Il le faut. Nous allons partir, Larigot[13].

— Pour aller où ?

— Devinez ?

— Je crois savoir.

— Alors, allons-y, Alonzo !

Béru remet sa monstrueuse queue dans son bénouze à notre arrivance. La secrétaire est chiffonnée et pousse pudiquement du pied sous le bureau son mignon slip qui gît sur le plancher.

— J’t’appellererai dès qu’possib’, môme, qu’on continuasse c’t’ converse à bâton repu ; n’en attendant, travaille-toi la moniche à l’aubergine vas’linée, manièr’ d’me faciliter la manœuv’. On n’a rien sans mal, ma poule. Mais après, tu verreras comme t’auras la chattoune confortab’ ; les mecs qui t’lim’ra, y z’auront la bite en vacances. T’enfiler, c’s’ra mieux qu’de faire d’la chaise longue, j’te promets !

« Et puis, pour c’qu’est d’ton ex-zéma, t’ caille pas la laitance ; t’es pas la pr’mière à t’ trimbaler la carte du Brésil su’ le cul ! »

Un qui en pousse une bizarre, c’est le pauvre Larigot. Dans l’escadrin, Béru lui serre la main.

— Très sympa, vot’ escrétaire, lui dit-il. Un peu intimidée du fion, mais j’croive qu’c’est la forte personnalité d’mon braque qui lu fait ça.

C’est la vraie brasserie parigote, comme j’aime. Le comptoir-autel où se sacralise la vie de l’établissement, avec un gros taulier bougnat à peau blême (à l’exception du pif), moustache de rat, calvitie plate, œil paterne, chemise vert-moisissure[14].

Chaque billet qu’il engrange est un petit coït de coq. Il surveille tout, ne rit jamais et écoute les discours des ivrognes comme s’il s’agissait des vœux du président de la République.

C’est, à mes yeux, l’un des personnages les plus rassurants de France, le Rocher de Gibraltar de la limonaderie nationale. Il doit baiser, bien sûr, et qui sait : se reproduire ? Mais un vrai bistrotier bougnat ne peut être autre chose qu’un self made man. Il n’est né que de sa race, de lui-même et d’une vocation profonde.

Il nous accueille d’un : « Ces messieurs ? » parcimonieux et presque hautain (hautain en emporte le vain). Nous retenons une prosternation spontanée et cernons une table de marbre cerclée d’étain.

Deux demis panachés et un grand côtes-du-Rhône nous rejoignent.

Larigot regarde avec attention les clients de la brasserie.

— Il n’est pas encore là ! fait-il enfin.

— Vous croyez qu’il viendra ?

— A trois reprises il s’est annoncé à midi tapant.

L’horloge de l’établissement, belle œuvre octogonale à carrosserie noire incrustée de nacre, marque moins vingt de midi.

— On a tout not’ temps, apprécie Béru. J’ clap’rais bien un sandouiche-rillettes comme apéritif. Moi, si j’prends pas un p’tit casse-dalle avant l’repas, j’mange de moins bon appétit.

Le loufiat qui est présent enregistre la commande.

— Avec beurre ? demande-t-il.

— Avec beurre, cornichons, jambon et fromage, comme tous les authentiques sandouiches-rillettes, mon pote !

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11

Le signe de ponctuation le plus délicat à manier !

San-A.
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12

Fais-moi confiance, il y aura bien un moment où je te caserai un quelconque « J’attire Larigot », tu me connais ?

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13

Ça y est ! Tu vois, ça n’a pas traîné !

San-A.
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14

Les chemises des patrons de café ont des couleurs d’une extrême rareté, principalement en ce qui concerne les bordeaux-dégueulé, et les jaune-bile.

San-A.