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Elle le balaya d’un regard empreint de regrets.

— Et pourtant, vous pourriez, assura l’ogresse. Un homme qui a d’aussi belles manières peut tout se permettre.

Le Fossile considéra le corps informe, la trogne mafflue de la personne et retint un frisson d’effroi. Elle malodorait, puant le rance et l’urine. Sa barbe hirsute, son regard gélatineux, ses énormes lèvres de négresse blanche aux commissures desquelles subsistaient des traces de nourriture lui foutaient la panique jusqu’à sa prostate.

Deux heures qu’il occupait l’appartement de la rue du Poteau-Rose, charmant la locataire de son verbe et se livrant à une perquisition pinulcienne de la chambre de feu « Friandise ». Par « perquisition pinulcienne » nous voulons dire que le cher homme était à coup sûr le meilleur élément de toute la police française pour ce genre de pratique. Nul ne savait mieux que lui renifler la cache à laquelle « on ne pense pas » ou interpréter le menu détail qui passe inaperçu des autres. Il procédait avec méthode, commençant par un côté de la porte d’entrée et examinant toute chose minutieusement, centimètre carré par centimètre carré.

Il venait de « sonder » la moitié de la petite chambre et se sentait fourbu. Ses reins qui ne suivaient pas. César avait toujours marqué des faiblesses dorsales que rhumatismes et lumbagos entretenaient malgré les cures et les massages qu’il s’offrait depuis que la fortune avait chu dans sa vie grise.

La vioque accepta d’emblée l’invitation. L’aubaine ! Elle aimait la bouffe, comme toutes les grosses vieillasses réduites à l’abstinence. Elle changea de robe, en mit une un peu plus dégueulasse que la précédente, enfouit ses cheveux gris dans un filet, promena un bâton de rouge, auquel adhéraient des trucs peu identifiables, sur son énorme bouche goulue et se déclara « prête ».

La Rolls de Pinaud l’attendait dans l’avenue transversale, la rue du Poteau-Rose se montrant trop étroite pour permettre à un véhicule de cette ampleur de stationner. Son chauffeur lisait Nostradamus pour tromper le temps et se réjouissait d’y apprendre qu’une femme blonde extrêmement riche attendait avec impatience que leurs deux destins se croisent. Il avait épousé, au gré d’une place, une petite Portugaise velue dont l’odeur l’incommodait et dont il rêvait de divorcer lorsqu’il aurait mis suffisamment de courage de côté pour prendre un tel risque !

Il retint une grimace en voyant rappliquer son vieux singe flanqué d’une ogresse Carabosse.

— Chez Lasserre ! lança M. César Pinaud.

La vioque mouillait d’admiration. Elle caressait le cuir et l’acajou en marmonnant des « Ben, ça alors ! Qui m’aurait dit qu’un jour… »

Mais comme on s’habitue à tout, elle se désintéressa de l’auto pour retomber dans ses propres préoccupations :

— Qu’est-ce que vous cherchez tant chez moi, monsieur César ? C’est indiscret ?

— Du tout, madame Larmiche. Pour tout vous dire, j’ignore ce que je cherche. Il se trouve qu’un homme, naguère, a exploré de fond en comble la voiture de votre pauvre Joël (Pinaud a toujours su parler aux petites gens). Quelque chose me dit que s’il est venu chez vous, pendant son enterrement, c’était dans l’espoir d’y dénicher cet objet mystérieux. Je suis homme d’intuition, comme beaucoup de policiers.

— Et vous croyez que ce sale type ne l’a pas trouvé ?

— S’il l’avait trouvé, il n’aurait pas encore été en place au moment de votre retour.

— Alors, il va revenir ?

— Cela m’étonnerait. Il a tué un homme pour pouvoir filer et se doute bien que, la police étant alertée, elle ne va pas lui laisser le champ libre.

— Tout ce que vous voudrez, mais je suis en danger ! déclara fermement la vieillarde.

César, dans son for intérieur, en convenait ; malgré tout il s’efforça de la rassurer.

— Nous veillons ! assura-t-il.

Puis il baissa un peu la vitre, à cause de l’odeur.

CHAPITRE DIX

QUE JE NE VOUDRAIS PAS AVOIR À ÉCRIRE !

Elle venait de faire deux fois le tour du lycée André Sarda et se sentait lasse ; pas tant pour la marche que cela représentait mais à cause de la tension mentale consécutive à ses intenses réflexions. Lorsque la sirène marquant la fin des cours retentit, elle était en poste près de la cabane de cantonnier. Marie-Marie constata qu’une maille de son bas venait de filer et qu’une « échelle » s’élargissait le long de sa jambe gauche. Il était trop tard pour tenter de stopper le désastre avec un point de vernis à ongles.

Elle regarda la ruée classique des enfants, sorte de flux toujours pareil qui jaillissait du bâtiment, assoiffé de liberté. C’était comme d’habitude les plus jeunes qui s’échappaient les premiers. Les grands, déjà atteints par les prémices de la maturité, se montraient plus calmes, plus lents.

Des professeurs partaient en même temps qu’eux, l’air grave et distant. Marie-Marie patienta jusqu’à ce que la cour fût vide.

Après une ultime hésitation, elle pénétra dans l’établissement. Une puissante odeur, bien connue d’elle, l’atteignit comme une lame du passé. Toutes les écoles, grandes ou petites, dégagent ce parfum de papier, de craie, d’enfance.

Dans le hall d’entrée, se trouvait, à droite, la loge du gardien. Ce n’était pas son logement, mais une sorte de bureau où s’entassaient des paperasses, des objets perdus par les élèves, des outils de première nécessité. Le préposé commençait à ouvrir la mallette repas contenant son déjeuner.

C’était un grand type brun, au front dégarni et aux abondants sourcils en forme de moustache dalienne. Il avait un visage étrange (plat avec cependant des pommettes saillantes), qui incommodait.

Marie-Marie lui demanda si le proviseur se trouvait encore au lycée. L’homme répondit par l’affirmative et lui indiqua le bureau, au fond du couloir de gauche. Elle s’y rendit.

Avant de toquer à la porte, elle crut percevoir des chuchotements, et jugea bon de tousser pour annoncer sa présence avant de frapper.

On lui cria d’entrer.

C’était la pièce classique, un peu solennelle, aux murs garnis de vieilles bibliothèques emplies d’ouvrages barbares et de classeurs modernes, anachroniques par rapport au mobilier. Le proviseur était un quinquagénaire agréable, à l’épaisse chevelure poivre et sel. En face de lui se tenait une femme en manteau rouge et bonnet de laine (un professeur, estima Marie-Marie). L’arrivante eut l’impression qu’il y avait « quelque chose » entre eux et que leurs chuchotements de naguère dénotaient une intimité certaine. D’ailleurs, la femme au manteau rouge sembla embarrassée et prit congé du proviseur.

Celui-ci, par contre, conservait une parfaite aisance dont on devinait qu’elle lui était naturelle.

— Je vous prie de me pardonner, commença Marie-Marie, j’aurais dû solliciter un rendez-vous…

Le proviseur eut une vague mimique qui confirmait la chose, pourtant il dit avec courtoisie :

— Du moment que vous êtes là, madame… Vous êtes une maman d’élève ?

— Non, non ; je ne suis pas mariée, fit Marie-Marie avec une gaucherie qui l’irritait.

— Vous démarchez pour une maison de commerce ? Si c’est le cas, je dois vous dire que l’Administration…

Elle sourit.

— Pas davantage, monsieur le proviseur. Je suis enquêtrice[15] pour une maison d’assurances et je cherche un professeur dont j’ignore le nom.

— Voilà qui est peu banal !

— N’est-ce pas ? Tout semblerait indiquer que le professeur en question travaille dans votre établissement. Il s’agirait d’un homme bien pris, assez élégant, au regard pénétrant et à la calvitie distinguée.

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15

Ou enquêteuse, au choix.