— Qu’est-ce que c’est ? balbutia le proviseur d’une voix presque inaudible.
Les Maghrébins se rapprochèrent silencieusement. Leur groupe était beau et sauvage ; il ressemblait à une formation de danseurs dans un spectacle de Broadway. Une lame jaillit entre les doigts du plus jeune.
Il coula un regard au lit et dit :
— Ah ! c’est ici que ça s’est passé !
Ses compagnons se précipitèrent pour ceinturer la Mexicaine. Ali Ben Kalif leur jeta un ordre et l’un des trois arracha le revolver du ventre de Marie-Marie. Il agit pudiquement, sans la regarder et s’en fut poser l’arme sur la commode.
La main d’Ali qui tenait le couteau, se hissa jusqu’à la gorge de Pach. La pointe se posa sur la veine jugulaire du proviseur.
— Non ! supplia Louis. Non, par pitié.
Le mot fit réagir le souteneur d’Elise Lalètra. Il répéta :
— Pitié ?
Les deux syllabes paraissaient le déconcerter. Pach respirait bruyamment. Il souffrait d’asthme et il sentait venir la crise. Il haleta :
— Je vous en supplie…
Ali sourit.
— D’accord, tu m’en supplies.
Il donna un petit coup sec sur le manche, la lame sectionna la veine, entra plus avant, tranchant en partie le larynx.
— Ça va être long ! avertit Ben Kalif.
Le proviseur gémit et porta la main à son cou. Le sang coulait dru, poissant ses doigts, dégoulinant sous sa manche, le long de son avant-bras. Pach voulut gagner la porte, mais l’Arabe s’interposa impitoyablement :
— Non ! Tu crèves sur place !
Il fit descendre la lame du couteau jusqu’au bas-ventre du proviseur. Il le palpait de sa main libre après avoir écarté le pyjama. Quand il sentit le sexe sous ses doigts, il appliqua le couteau sur le pubis, l’y enfonça, et se mit à sectionner la chair.
Pach émit un étrange glapissement qui s’acheva en gargouillis. Il s’adossa au mur, penché en avant, contemplant avec une terreur impuissante le sang qui s’échappait de lui.
Marie-Marie s’était remontée dans le lit et tenait son buste appuyé contre le panneau principal. Elle regardait la scène avec calme, sans exaltation.
Comme Ali se tournait vers elle, essuyant son couteau rougi avec le dessus-de-lit, elle murmura :
— Vous êtes Ben Kalif, le proxénète d’Elise ?
— Vous me connaissez ?
— Je suis la fian… l’amie de San-Antonio, le chef de la Police. Je connais tout de l’enquête. Je savais que vous faisiez des recherches de votre côté ; merci d’être arrivé à temps… Enfin, presque à temps, ajouta-t-elle tristement.
Il voulut l’interroger à propos de cette nuance, et puis il comprit et se tut.
Marie-Marie dit :
— Ce n’était pas l’homme qui tuait, mais la femme !
— Vous croyez ?
— Elle me l’a dit. D’ailleurs, quand vous êtes entrés, elle avait le doigt sur la détente, vous l’avez bien vu.
— Vous pouvez quitter ce lit ?
Marie-Marie se mit à remuer. Elle avait le vertige, mais elle parvint à mettre les pieds sur le plancher. Comme elle décrivait une embardée, l’un des Maghrébins la soutint et la guida jusqu’au fauteuil.
Ali donna un nouvel ordre, ses compagnons allongèrent la Mexicaine sur le lit et lui firent subir le même traitement qu’avait enduré Marie-Marie : ouvrant ses jambes après avoir arraché sa culotte.
Elle couinait comme un petit mammifère piégé.
— Non ! s’écria Marie-Marie. Oh ! non, ne faites pas ça !
L’Arabe venait de saisir le revolver. Il sourit à la jeune fille.
— Ne soyez pas témoin de ce genre de chose, dit-il. Sortez !
Mais la jeune fille, au lieu d’obéir, marcha en titubant jusqu’à Ali.
— Monsieur Ben Kalif, cette femme est malade et folle !
— Ma femme n’était ni malade, ni folle, répondit l’Arabe.
Il insinua le canon dans le sexe de la Mexicaine, et tira à six reprises, jusqu’à ce que le barillet soit vide.
Ce qui me surprend, en stoppant à la hauteur du lycée André Sarda, c’est d’en trouver la grille entrouverte. Cependant, la vaste façade rébarbative est totalement obscure. J’abandonne ma tire sur le trottoir et entre. La cour, privée de jeunesse, est triste comme un cimetière d’automne. Quelques feuilles de copie, soufflées par l’aigre bise, volettent à ras de terre, semblables à des mouettes exténuées.
Je gravis le perron. Regarde à travers les sombres vitres de la porte principale, mais ne distingue pas la moindre lueur. Les échos d’une musique opulente me parviennent, fortement cuivrés. Wagner ? Je ne suis pas un mélomane averti (non plus qu’inverti, d’ailleurs), nez en moins, il me semble reconnaître Le Vaisseau fantôme.
Je me laisse guider par mes haleurs, ce qui m’amène à contourner le lycée. L’intensité de la musique croit. Parvenu à l’arrière des bâtiments, j’avise une espèce de construction cubique accolée à ceux-ci. C’est moderne, sans goût ni grâce. De la lumière brille aux fenêtres et la porte d’entrée est grande ouverte. Comme je l’atteins, je perçois six fortes détonations à la chaîne. Six ! Le nombre de balles que le sadique assassin tire dans le ventre de ses victimes !
Tu verrais la ruée du Sana, mon frère ! Je dois laisser sur place un petit tourbillon en forme de toupie, comme dans les dessins animés. Un salon, un vestibule, une chambre. Et dans ladite, du trèpe ! Mon premier regard sur une Marie-Marie défaite, dans un fauteuil. Le second va à un homme couvert de sang qui meurt adossé à un mur. Ensuite je reconnais Ali Ben Kalif penché sur le lit, tenant encore la crosse d’un revolver dont le canon… Une femme morte qui elle aussi saigne abondamment ! Et trois méchants Arbis qui viennent de dégainer des surins et m’encerclent. Tu sais qu’ils vont me planter, les veaux ? Heureusement, l’ex-mac de Lalètra Elise s’interpose.
— On ne touche pas à la police ! il dit.
Puis, à moi :
— Vous voyez, directeur : je vous avais dit que je retrouverais le meurtrier et qu’il paierait. Je peux vous affirmer que je suis arrivé à temps pour votre petite môme. C’était elle qui se trouvait sur le plumard avec le flingue dans la chatte ! Il s’en est fallu d’une ou deux secondes. Allah est grand !
Marie-Marie est dans mes bras, éperdue de chagrin. Je la berce contre moi en mordillant ses cheveux, ses oreilles, le col de sa robe.
Je lui susurre des mots tendres :
— Petite connasse ! Y a fallu que tu me joues ton numéro d’esbroufe ! Et ce sont des ratons qui te sauvent la mise ! J’ai l’air de quoi, moi ? Endoffée ! Pute borgne ! Tu te crois maligne, hein ? Superwoman ! Et t’es juste bonne à faire cuire des œufs coque avec un sablier ! Walkyrie de mon cul ! Walkyrie qui rit jaune !
Elle proteste pas ; elle chiale. Me faut dix minutes avant de lui arracher un résumé du ci-devant chapitre. Je dois lui secouer la tirelire. Elle crache le morceau pièce à pièce. En apprenant que le proviseur l’a sabrée, je me sens bourré de pulsions homicidaires. Je regarde crever ce salaud sans pitié. Il a une main sur sa gorge, une autre sur son bas-ventre ; les deux sont rouges comme jadis, sur les affiches du cher Grand-Guignol.
Ali va se laver les mains à la savonnette Ponce Pilate dans la salle de bains contiguë. Il revient en se curant les ongles avec la pointe de son ya dont il a fait la toilette également. Il est beau, tu sais. Dommage qu’il margine dans le mitan, l’apôtre ! Il aurait une carrière à faire au cinoche, voire dans la politique.