« Et pour finir, la première histoire, puisqu’on rebrousse le temps. La victime, assassinée exactement de la même façon que les deux autres, était déjà une péripatéticienne, elle aussi, nommée Léonie-la-Chaude. Le meurtre a eu lieu quinze mois plus tôt à Bourg-en-Bresse. Il concerne une vieille poivrote qui trafiquait ce qui lui restait de charmes. Elle vivait seule, à Brou, non loin de l’église, et recevait de préférence des petits pépères veufs et rentiers qu’elle traitait comme des habitués, voire des amis. On a déniché son cadavre dans la tranchée d’une canalisation. Le meurtrier l’avait recouvert de terre, mais il y a eu un problème technique qui a obligé les ouvriers des Ponts et Chaussées à rouvrir la fosse. Là, encore, les investigations ont été vaines. »
D’une habile chiquenaude, Mathias propulse son putain de bristol entre mes mains.
— Intéressant, non ? murmure-t-il.
— Tu veux dire passionnant, mon lapin russe ! Tirons-en les conclusions qui s’imposent. Nous avons affaire à un maniaque qui prend son panard en filant le contenu d’un flingue dans le sexe de dames putasses. Ce maniaque se déplace de telle sorte qu’on pourrait penser qu’il obéit à un avancement de sa carrière : Bourg-en-Bresse, puis Lyon, enfin Paris ! Un fonctionnaire ? On est enclin à répondre par l’affirmative. A chacun de ses meurtres correspond le besoin d’évacuer le corps. Pourquoi ce risque superflu ? Si je prends son premier forfait : la vieille pute de Bourg-en-Bresse, il pouvait très bien l’abandonner à son domicile, mais non, il a pris l’immense risque de l’enterrer dans la rue ! Idem pour la deuxième. Il coltine le cadavre jusqu’à une pisciculture, ce qui est téméraire. Ce mec n’a pas froid aux châsses.
« Quant au dernier, alors là, il bat ses records précédents. Pour sépulture provisoire, il lui choisit la bagnole de Larmiche, le dealer. Pourquoi ? Parce qu’il sait que Larmiche trafique de la drogue et que, quand on trouvera le corps d’Elise Lalètra dans le coffre de sa voiture, la police le prendra aussi sec pour le meurtrier. D’où je conclus que le mec en question côtoie le Milieu, celui de la came, en tout cas. Car il connaît les activités de Larmiche et l’endroit où il remise sa tire. »
— Donc, nous excluons le fonctionnaire qui monte en grade ?
— Pour l’instant, oui. Cela dit, Xavier, j’ai l’impression que nous mettrons avant longtemps la main sur le maniaque. Avec tout ce dont nous disposons, si ce gus n’est pas enchristé dans les quarante-huit heures, je m’engage dans l’Armée du Salut !
Ce qu’on peut proférer comme conneries, parfois !
CHAPITRE TROIS
QUI VA TE FAIRE FROID AUX MICHES
SI TU NE METS PAS
TES COLLANTS DE SKI
Joël Larmiche regarde décarrer Bérurier-le-Méchant au volant de sa grosse caisse ricaine. Se dit qu’il pilote comme un con et que ce péquenot a dû apprendre à conduire sur un tracteur. Craint pour sa pompe, bien qu’elle soit vieille et n’excite même pas la convoitise d’un romanichel.
Il est tard, la rue du Poteau-Rose est aussi déserte que celles avoisinant une centrale thermonucléaire un lendemain de fissure.
Joël est content de regagner son home, de retrouver son homme, ainsi que sa petite maman. Il est présentement maqué avec un danseur du Pet qui Fume surnommé « Friandise ». Aujourd’hui, il fait relâche et l’attend dans leur chambrette tapissée de cretonne bleue et rose. Mme Larmiche l’aime bien et préfère avoir un gendre plutôt qu’une belle-fille. Avec une nana, ça ferait des étincelles ; tandis que « Friandise » est un être délicat qui lui ramène une rose ou un gâteau chaque jour. En outre, le couple est discret et pratique la sodomie avec tact et vaseline.
Larmiche a grand besoin de tendresse après la dure mésaventure qui vient de secouer sa vie. Heureusement que le directeur de la Police a cru à son innocence, sinon l’affaire risquait de mal tourner. Mais y a-t-il cru réellement ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’une ruse ? Une supposition qu’il l’ait fait relâcher, mais en lui mettant un fil à la patte ? Ce serait d’assez bonne guerre, non ? Cette perspective ne parvient pas à atténuer sa joie de retrouver son logis. Il presse le pas.
Peu avant qu’il atteigne son immeuble, une voiture qui se trouvait en stationnement devant sa porte cochère démarre doucement. « Tarte aux fraises (des bois) » qui déambulait au milieu de la strasse emprunte le trottoir pour lui laisser le passage. L’auto sombre n’accélère pas, sans doute pour ménager la quiétude bourgeoise des habitants de la rue. Mais parvenue à deux mètres de Larmiche, elle oblique résolument à droite, escalade le trottoir (bas sur cette voie tranquille) et emplâtre le dealer contre le mur de la teinturerie Crapeau. La mère de Mme Crapeau tenait déjà cette boutique avant la dernière guerre. Même qu’il y a des vieux, dans le quartier, qui se rappellent parfaitement comme elle se faisait miser sur sa banque, après avoir baissé le volet roulant, la daronne. Une pétroleuse dodue, avec de la moustache et des fourchetées de poils qui lui jaillissaient de la culotte lorsqu’on la lui ôtait !
Donc, faut en revenir à Joël Larmiche que la sombre voiture vient délibérément de télescoper contre le mur où s’étale encore une vieille affiche de Georges Marchais, rajeuni sous sa teinture neuve préélectorale.
Il a le bassin broyé, Larmiche, les fémurs aussi et ses couilles ont dérouillé sec, de même que son bide. Il ne peut émettre un son. L’auto marche-arrière chouïa et Larmiche glisse le long du mur. Quand sa poitrine atteint le niveau du capot, le véhicule exécute un nouveau rush et ça craque biscuit dans sa caisse à horloge. Dans la lumière des phares, le conducteur voit dépasser la frime hallucinée du « droguiste » que tu la prendrais pour un bouchon de radiateur, du type Jaguar ou Rolls, mais maintenant ils sont prohibited.
Une seconde fois, l’agresseur s’écarte de la façade et le gars Joël choit plus bas ; mais pas jusqu’au sol. Deuxième mouvement avant et c’est la tronche du pauvret qui éclate.
Alors le conducteur manœuvre pour tout de bon et s’en va sans hâte, laissant un tas de hardes sur le trottoir. Aux aurores, il va devoir se rendre à la station lavage express de son quartier, pour faire disparaître les vilaines éclaboussures.
Deux plombes plus tard, Bérurier est de retour avec la grosse ricaine. Il aperçoit un zig allongé le long d’une façade de teinturerie, mais le prend pour un clodo et gagne l’impasse du sculpteur. Fidèle aux consignes qu’il a reçues, il gare l’auto sur son emplacement réservé, prélève la clé de contact, verrouille les portes et se met en chemin.
A cet instant, l’une des statues lui adresse un « Tsssiiit ! » que seuls les gens possédant comme Noah les dents du bonheur réussissent à la perfection.
Le Gravos s’approche de la statue sifflante. Son regard fait des grumeaux car il a passablement picolé (non pas du beaujolais nouveau, mais des vin blanc-rhum, sa nouvelle passion). Il constate une femme en pyjama, survêtue d’un pardingue d’homme qui lui dissimule ses mains et ses mollets. Elle est rondelette, blonde frisottée, avec des yeux de ruminant distingué (du fait qu’ils sont très clairs). Elle est chaussée de pantoufles de cuir bordées de cygne.