Il est gonflé de contentement. Ce couple venu en pleine nuit s’intéresser à la tire du « dillinger », quelle aubaine ! Un moment, il a eu l’idée de déculer pour arraisonner ces zozos ; mais il a préféré chiquer au groupe statufié : Jupiter embroquant Junon ! La première fois qu’il joue les personnages minéralisés, Béru ! Encore heureux qu’il ait pas eu besoin de craquer une louise. C’est un truc qu’il n’a jamais pu contenir, le chérubin. Un pet, faut qu’il aille au bout de son propos. Tout ce qu’il peut, pour atténuer son impact, c’est ne pas le moduler. Le balancer en vrac, sans chercher à faire des vocalises anales, des triolets, voire du syncopé, malgré son goût pour le jazz.
De son pas chyderme lourd et ébranleur de terres meubles, il retourne à l’auto. Il n’ira pas rendre les clés de Larmiche tout de suite. D’ailleurs, rien ne presse, le « dillinger » doit roupiller[3].
En policier con sans cieux, il retourne à l’endroit où il a conduit ce tas de boue très naguère.
Ça se trouve à dache, dans le treizième, près d’un entrepôt dont la verrière lapidée par les garnements du quartier bâille à la lune avec des crocs acérés.
Un portail de fer peint en bleu Royal Air Force avec des caractères jaunes : « Justin Peuplux-Techniques de pointe ».
Près dudit portail, une porte genre anglais donne accès à une maisonnette aux volets verts. Béru enfonce le timbre de la sonnette et le maintient coincé en attendant que le quartier soit réveillé. Bientôt, une fenêtre du premier s’entrouvre et une femme blonde paraît.
— Vous êtes malade ou quoi ? aboie-t-elle.
— Mande pardon, c’est pour une urgerie, s’excuse le Délicat (essen). Dites à vot’ mari qu’c’est moi dont j’sus venu t’t’à l’heure av’c une pompe ricaine.
— Non mais vous croyez que c’est une heure pour sonner chez les gens ?
Le Gravos baisse la voix et exhale :
— Police !
Le ton est urbain, mais ferme. La dame ne répond rien et part à l’assaut du sommeil marital.
Dès lors, Alexandre-Benoît n’a plus longtemps à poireauter. Les deux vantaux du portail s’écartent et il se trouve nez à nez avec son interlocuteur de naguère : un grand diable maigre et abondamment barbu. Son regard ardent luit parmi ses poils comme deux diamants noirs dans du crin. Il porte un short et un tricot de corps, plus des sandales de cuir ravaudées avec du fil de laiton. Il a les paupières alourdies de sommeil et pue de la gueule comme une exhumation.
Sa frime perpétuellement tragique fait que ça n’a pas d’importance qu’on le réveille en sursaut dans son premier sommeil.
— J’ vous casse probab’ment les roustons, mon cher, déclame le Vigoureux, mais vot’ engin a déjà fonctionné et j’vous saurais un plein pot d’gré si vous m’en récupérez le résultat.
Le grand Christ acquiesce :
— D’ac.
— C’s’ra-t-il long ? s’inquiète le fameux détective. J’vous d’mande ça parce que les bistracs sont fermagas dans le quartier.
Le barbu hoche la tête.
— Entrez chez moi, Martine va vous préparer un café.
Elle a ravalé ses rognes nocturnes, la blonde. Bien qu’il vienne de bouillaver comme un malade, Béru en est interloqué du glandulaire. Faut dire qu’elle y met du sien, la Martine. Elle est grande (un mètre huitante, de la cave au grenier), très blonde, pleine de formes et de viande appétissantes, à consommer sur pied. Mais alors, le fin des fins, écoute ! Elle porte un tu sais quoi ? Baby-doll ! Oui, j’ai dit et je répète : un baby-doll, comme dans les sixties (crois-je). Pour ceux qu’ont pas eu la chance de connaître, je rappelle qu’il s’agit d’un vêtement de nuit féminin vaporeux, arachnéen, en forme d’abat-jour, et qui ne cache que la moitié des fesses. D’ailleurs il ne cache RIEN. Il voile seulement. A peine ! De la fumée transparente !
Bérurier s’arrête, frappé de paralysie.
Il bougonne :
— Quel fumier, ce barbu !
La Martine rebiffe. Aussi sec, elle prend les suifs de son julot.
— C’est de Justin que vous parlez ? sévérise-t-elle.
— Et comment ! Me faire ça à moi !
— Qu’est-ce qu’il vous a fait ?
— Une femme pareille, pour lui ! Et pas pour moi ! Je m’suicid’rerais si j’avais un pétard coudé !
Elle se décrispe, prenant la chose pour un compliment.
Alors Béru déclare, jouant son va-tout :
— Ecoutez, mon p’tit cœur. Le baratin, c’est du vent. C’qu’importe, c’est les actes, et même les entractes. Pour être franc, j’viens d’ finir une p’tite ménagère, y a pas vingt minutes. En levrette, c’qu’est assez performateur dans son genre. N’importe qui, j’vous mets au défi, lu faut deux trois plombes pour s’reprendre, r’charger ses batteries. Nous sommes bien d’accord ? Ben, d’vous apercevoir, moi, v’là l’résultat !
Assez théâtral, le bougre, il débraguette comme saluaient les mousquetaires dans un envol de feutre et de plumes. Et le prodige se répète ! Présent ! Un monstre ! Encore énervé par les agaceries récentes.
Eternel recommencement. Mouvement océanique du membre béruréen. Ah ! la fière hallebarde, et comme elle salue bien ! Comme les gardes du Vatican ont l’air engoncés, comparativement. Un coup à droite, un coup à gauche ! Faites la belle, Miss Ziffolo ! Voilà, merci, bravo !
La femme du barbu en a les larmes aux yeux ! Mais la grosse bébête la terrorise. Curieusement, elle n’a pas envie de palper, encore moins de se laisser carrer ce missile dans le train des équipages.
Elle mimique pour exprimer la sidérante, l’effroi devant pareille monstruosité. Cela dit, elle craint les phénomènes, Martine : les sœurs siamoises, le géant Atlas, le nain Tom Pouce, l’homme-singe, elle en fait pas ses choux gras. Elle préfère un bon film. Néanmoins, une queue aussi extravagante la perturbe, la déroute. Elle frissonne à l’idée qu’une dame femelle se laisse enquiller une épaule roulée d’un tel diamètre.
Bérurier flatte l’objet, comme il sait si bien le faire, plaçant sa main sous la chose pour la faire sautiller, lui donner des couleurs, de la fringance.
— Tu t’imagines avec ça dans les moustaches, la mère ?
— Sûrement pas ! assure-t-elle.
— T’as peur que ça t’écarguille d’ trop l’escarguinche ? Ton Moustaki t’astique au cigarillo italoche ?
— Non, ça me dégoûte ! répond la dame blonde avec un baby-doll et rien dessous.
Oh ! le Béru ! Ce camouflet !
— Dégoûtée ! Un cerv’las d’ c’te fraîcheur ? beugle-t-il. Mais si j’le montrerais à la fête de l’Huma, faudrerait qu’j’misse un calbute en fonte pour pas qu’on m’l’arrachasse ! Et des barbelés autour !
— Probablement, admet Martine, mais pour ma part je ne suis pas cliente !
Le sang (épais) du Gros ne fait qu’un tour.
Il sourit.
— Ecoute, ma grande, tu parles juste pour causer et p’t’être aussi pour dire, mais j’te prédille que doré de l’avant t’oubliereras plus mon asperge. J’te r’donne une chance. V’là ma brème d’visite. Toute neuve, offerte par l’administration, c’est ta pomme qui l’étrennes. Si tu t’ravises et que ton frifri veule me faire plus ample connaissance, passe-moi un coup de grelot, j’ t’organiserai un oral d’rattrapade. Réfléchille bien, ma poule. Quand l’ destin frappe à ta lourde avec un bâton comme çui-là, si tu l’ouvres pas, t’es la reine des pommes !
Il réintègre « gros nounours » dans son entresol Renaissance, non sans humeur. Puis le barbu revient en agitant trois clichés photographiques tout frais.