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— Qui vous l’a enseignée ? risqué-je en me préparant à un signe de croix clandestin pour conjurer la réponse que je crains.

— Un neveu de Raymond qui est passé le voir pendant son voyage de noces aux States.

Je salue mentalement ce courageux garçon qui a trouvé le moyen de parachever l’éducation sexuelle d’une Noire méritante alors qu’il accomplissait cette dure corvée qu’on qualifie de « voyage de noces ».

Mais soulagé par l’identité du professeur que je redoutais autre, moi catholique apostolique romain, je caresse les mahousses doudounes de la brave fille, tout en déclinant son offre. Ses robloches sont durs comme deux ballons de rugby.

— Dites, Grace, il en met du temps à confesser mon pote, le Raymond !

— Peut-être qu’il a beaucoup de péchés sur la conscience ! hypothèse-t-elle.

— Ça m’étonnerait : il n’y a pas meilleur type que César Pinaud ; excepté quelques cuites et quelques adultères bâclés, j’imagine mal ce qu’il pourrait dire.

Comme un quart d’heure plus tard le prêtre et son pénitent ne sont toujours pas là, je m’organise en patrouille de reconnaissance pour aller aux nouvelles.

L’église, dans ce quartier de Westchester, est très sobre, sans trop de ces saint-sulpiceries qui donnent à penser que le paradis est un endroit kitsch peuplé d’anges et de saints inventés pour les besoins d’un film que Walt Disney aurait renoncé à tourner.

La loupiote rouge du tabernacle évoque la présence du Seigneur. Un bruit de soufflerie retentit, avec des ratés. Je m’approche de l’unique confessionnal et découvre Pinaud endormi dans le compartiment du pénitent. Je tire le rideau de dentelle isolant le confesseur et m’aperçois que le père Machicoule en fait autant, et qu’en plus il pète son chili sin carne des derniers jours.

La confession, dans sa monotonie, a complété l’œuvre du bourbon. Sous la garde du Seigneur, le religieux et le civil en écrasent, unis dans une suave absolution.

Vaincu par la majesté d’un tel sommeil, je retourne à la sacristie où Grace vient de commencer son chili du soir. Les petits haricots noirs ressemblent à des yeux de rats.

La fille me désigne une photographie posée près de la bassine où trempent les graines sombres.

— J’ai trouvé une photo de Martine dans le tiroir de la table de nuit de Raymond, annonce-t-elle.

Vitos, je cramponne l’image. Ça représente une femme brune, d’environ trente-cinq ans, avec des accroche-cœur sur le front. Je trouve qu’elle ressemble à Violette Nozière. Elle a le regard clair et grave, porte une petite robe blanche à col vert. Elle sourit à l’objectif, mais d’un air pas heureux le moindre. Il existe en elle un je-ne-sais-quoi qui fait « fripé de l’intérieur ».

Sur le cliché, elle se tient assise devant un massif de fleurs. Il y a une grosse main d’homme posée sur son genou, mais on ne voit pas l’homme.

Au-delà des fleurs, très au-delà, on distingue un panneau indicateur dont il ne m’est pas possible de déchiffrer les lettres qu’il porte.

— Vous permettez ? dis-je en enfouillant la photo. Je la rapporterai plus tard.

Elle s’en fout, Grace, de ce bout de carton. Ma présence survolte sa glandaille, sa forte poitrine fait le poumon d’acier : elle pistonne à tout berzingue. Tu sais qu’elle serait mignonne toute pleine (Béru dixit) cette Noiraude si elle pesait cent livres de moins ?

— C’est dommage…, dit-elle.

— Qu’est-ce qui est dommage ?

— Que vous ne vouliez pas une pipe française ; j’adore ça ! Mais je ne suis pas assez belle pour vous, évidemment.

Les mots sont prononcés sans rancœur, sur le mode constatatoire.

— Pas du tout ! récrié-je. Vous êtes superbe !

— C’est parce que je suis noire ?

— Au contraire, c’est excitant !

— Eh bien, alors ?

Moi, tu me connais : tout plutôt que de passer pour un raciste !

— D’accord pour un petit turlute, ma puce.

Sa frime s’éclaire au néon.

Elle tombe à genoux pour remercier Dieu et ouvrir ma braguette.

* * *

Le père Machicoule a insisté pour qu’on partage son chili vespéral, mais j’ai prétexté que nous étions attendus et on a pu s’arracher.

Je conservais de cette visite une impression assez lumineuse, comme chaque fois que j’approche un véritable brave homme. La pipe de Grace avait été somptueuse : on devrait toujours se laisser pomper le nœud par des Noires. Leur bouche a une épaisseur, un velouté irremplaçables et je me félicitais d’avoir cédé à ses instances : elle méritait le détour. Le neveu de Raymond avait admirablement « colonisé » cette belle âme !

L’après-midi avançait. On s’est fait driver « chez » M. Félix. J’avais omis de lui réclamer la clé de « sa » maison californienne, mais avec mon inséparable sésame, j’emmerde toutes les serrures, ricaines ou pas.

Cette fois, je me suis attaché à l’exploration des tiroirs parce que ce sont eux qui « contiennent » les informations relatives à un individu : lettres, factures, papiers officiels.

Ça bordélisait dur dans ce secteur. J’avais du mal à déponner certains d’entre eux, tellement on y avait fourré de choses, comme ça, en vrac, sans se donner la peine d’envisager un quelconque classement.

Dans un premier temps, j’ai sélectionné les papelards de banque, dans un second les factures et dans un troisième les bafouilles privées. Pinuche m’a aidé. Il est lent mais précis, le Vioque. Sa main tremble mais ne rompt pas. On a fourré notre provende dans trois sacs de supermarché, et puis on a regagné la résidence d’Harold J.B. Chesterton-Levy. Je me promettais d’examiner notre récolte à tête reposée. J’avais, en outre, emporté un dessin de René Magritte.

Comme on roulait vers Malibu, César a murmuré :

— Pourquoi cette enquête en règle sur la fille Fouzitout, Antoine ? Qu’est-ce qui te tracasse chez elle ? Elle est morte de sa bonne mort, aux dires du père. Se sachant perdue, et n’ayant plus de famille, il est normal qu’elle ait voulu laisser ce qu’elle possédait à quelqu’un dont elle conservait un souvenir ébloui ! Je gage qu’avec son sexe effarant, Félix a fortement marqué sa mémoire.

— Et son cul, donc ! n’ai-je pu me retenir d’ajouter.

Baderne-Baderne a tourné vers moi le dessin dont je m’étais muni.

— On dirait un vrai, non ?

— C’en est un. Tu connais Magritte ?

— Pour qui me prends-tu !

— C’est beau, la culture, apprécié-je (éjectable).

Le big boss de la Gloria Hollywood Pictures est arrivé car sa grosse Rolls Royce blanche, qui bat pavillon de sa compagnie, est stoppée devant le perron.

Nous le trouvons dans le grand salon, armé d’un bigophone sans fil. Il aboie dedans, tout en jetant des ordres à deux secrétaires blondes munies de blocs et de crayons (il n’y a pas un autre pays en ce monde où l’on use autant du simple crayon). Ces businessmen, ils ont le cerveau de Poléon Pommier pour pouvoir déployer une telle activité ; tu piges pourquoi ils claquent autant du guignol ou plongent dans l’océan depuis le pont de leur yacht. Surmenage ! Chesterton-Levy, il doit déglander avec un casque d’écoute sur les baffles, déféquer devant des écrans d’ordinateurs, manger en écoutant les cours de la Bourse et dormir devant un enregistreur, des fois qu’il lui viendrait des idées juteuses pendant sa roupille.

M’apercevant, il m’adresse un hochement de tête, crache encore quelques paroles bien senties dans son bigophone et m’interpelle :

— Hé ! le french impresario ! j’ai fait préparer un contrat, Miss Angela va vous le donner à lire, si tout est O.K. vous le signez et, dès mercredi, vos anormaux s’amènent au studio.