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Comme je dors nu, je pris un peignoir éponge dans la salle de bains et descendis au rez-de-chaussée avec l’espoir de dénicher une loupe dans la bibliothèque.

Je joue de chance car il y en a une, superbe, à manche d’ivoire, sur le cuir de Cordoba du bureau. J’allume la lampe à col de cygne. Lumière halogène, crue et intense. Le panneau, derrière la loupe, se fait très présent sur la photo. Je distingue la seconde lettre qui est un « o ». Nom composé. La dernière du premier mot un « e », ou un « c », voire peut-être un autre « o ».

Au comble de ma perplexité, je perçois un glissement soyeux derrière moi. Il s’agit de la survenance inopinée (mais ça peut changer) de Miss Angéla. Elle a troqué la robe-fourreau en lamé contre un pyjama de soie saumon à la coupe délectable. Le bas est un short qui lui arrive au-dessus des genoux, tandis que la veste descend plus bas. Cette dernière est fendue de chaque côté, sous les bras, jusqu’au niveau de la poitrine, ce qui exerce, lorsqu’elle se déplace, un harmonieux flottement du vêtement de nuit.

— Quel merveilleux vigile ! m’exclamé-je ; je vous ai réveillée ?

— Il y a dans ma chambre un cadran qui bipe lorsqu’une pièce du bas est occupée après minuit.

— Décidément, vous êtes l’ange gardien de cette somptueuse demeure ! Je me suis permis de pénétrer dans cette bibliothèque car j’avais besoin d’une loupe, dis-je en lui désignant la photo.

— Que faites-vous, si ce n’est pas indiscret ?

— Je tente de déchiffrer un nom, mon cœur.

Encuriosée, elle se penche ; alors, avec l’ongle de mon auriculaire, je lui désigne le panneau illisible.

— Dans quel Etat ? demande-t-elle ?

Bouaff ! J’ai un sein gauche à elle contre mon oreille droite à moi. C’est doux, c’est chaud et ça sent ineffablement bon.

— Utah, je bredouille.

Qu’heureusement il n’y a que deux brèves syllabes à articuler.

— Ce banc me dit quelque chose, reprend Angela.

Et moi, pendant ce temps, je laisse aller ma main qui ne m’a rien demandé, sous le flottant du short.

Téméraire, l’Antonio, comme toujours. Le Bayard du fouinozoff.

Le banc de fer forgé qu’elle visionne est en forme de nacelle, les extrémités de son dossier représentent deux têtes de biche.

— Je sais ! s’écrie ma compagne.

Mon médius n’est plus qu’à deux millimètres de son clito, mais elle fait mine de rien.

— Que savez-vous ? ai-je le temps de questionner, avant de saisir son sein avec ma bouche à travers la soie de son pyje.

— C’est le banc des amoureux, explique Angela, il est célèbre dans l’Ouest. A la fin du siècle passé, il était déjà en place. Deux amants qui s’adoraient, apeurés par l’avenir qui ne pouvait que les désunir, décidèrent de se donner la mort afin de disparaître en pleine félicité. Ils s’achetèrent deux revolvers et allèrent s’asseoir sur ce banc. Ils appliquèrent chacun le canon de son arme sur sa tempe, l’homme compta jusqu’à trois et ils tirèrent en même temps. Ils moururent simultanément.

« Depuis lors, ce banc est devenu le lieu de pèlerinage de ceux qui s’aiment. Ils vont s’y asseoir côte à côte, se jurent amour et passion, et la légende affirme que leur union reste heureuse. »

— C’est très beau, fais-je en caressant les lèvres de sa chatte. Et il se trouve dans quel bled, ce fameux banc si romantique ?

— A Morbac City.

Je reprends la loupe et, effectivement, quand on sait le nom que je cherchais, on finit par le détecter sur le cliché.

Je m’attarde sur le visage de Martine. S’agissait-il d’un « pèlerinage » ? Elle avait une gueule si désenchantée ! L’homme dont la main est posée sur son genou était-il son amant ? Pourquoi ne le voit-on pas ? J’imagine que c’est lui-même qui a pris la photo avec un appareil à déclenchement retardé, monté sur trépied, et qu’il aura mal cadré la future photo. Il a une main de plouc, ce gus, large, rude, velue, avec des ongles plus ou moins nets, taillés en carré. Pas du tout la paluche du gazier pour lequel tu te pralines le chignon à force de trop d’amour !

— Une amie à vous ? me demande Angela.

— Non : au vieux mec à la grosse queue que j’accompagne.

— Il est venu la chercher ?

— Elle est morte. Avant de défunter, elle a testé en sa faveur.

— Riche ?

— Une bicoque à Venice.

Elle ne comprend pas trop bien pourquoi je détaille cette image avec tant d’intérêt, mais en femme bien élevée, quoique américaine, s’abstient de m’en demander davantage.

Pour couper court, je fais sauter le bouton de son « short de pyjama ». Le menu vêtement glisse sur ses jambes lisses comme la goutte d’une bougie sur la bougie. D’un mouvement doux, elle caresse ma nuque ; généralement, ce sont les hommes qui ont ce geste pendant que les gonzesses leur pompent le nœud. Ça marque la reconnaissance. Et puis il permet de contrôler le rythme, d’infléchir ou d’augmenter la vitesse de la gloutonne.

Je quitte le fauteuil pour l’enlacer, passe mes mains sous sa veste flottante. Là, j’ai touché le gros lot, mon petit ! Fermeté et velouté se conjuguent. Les loloches ont « de la main ». Nous échangeons un lent et ardent baiser. Pas du tout du baiser de fête foraine, espère ! On parvient à faire un nœud avec nos deux langues, ce qui est peu commun. Ensuite, on est obligés de le délier avec les doigts.

Lorsque j’ai repris ma respiration, je murmure :

— C’est la divine surprise, Angela, car je n’avais pas l’impression d’être votre genre, tant vous me battiez froid.

— A cause du boss. Il ne peut supporter une collaboratrice qui regarde un homme ou, a fortiori, lui sourit.

— Il est jaloux ?

— Terriblement, mais pas de la manière que vous pouvez croire. Son brain-trust doit lui rester exclusif, au même titre que sa brosse à dents ou son stylographe.

— J’ai rencontré d’autres hommes comme lui. Donc, en son absence, vous vous défoulez ?

Elle rebiffe :

— Je ne suis pas une refoulée !

— Je veux dire que vous envoyez la ceinture de chasteté aux pâquerettes ?

Mais à quoi bon bavasser ? N’avons-nous pas mieux à faire, Césaire ?

— Où allons-nous ? demandé-je. Dans votre chambre ou dans la mienne ?

— On reste ici.

Comme cette décision me surprend, elle ajoute :

— Toutes les chambres sont équipées de vidéos enregistreuses.

— Charmant.

— Le boss a un goût marqué pour le voyeurisme.

— Alors, il doit être empêché du calbute !

— Oh ! non, laisse-t-elle échapper, ce qui en dit long comme le Chili sur ses relations avec le fameux produc.

Elle rougit de sa bévue, ce qui lui va bien.

Moi, pratique, de dégager les objets disposés sur le burlingue. Je place ensuite le vaste sous-main de cuir dans le sens de la longueur afin de lui constituer un matelas, puis réquisitionne le coussin d’un fauteuil en guise d’oreiller. Toujours veiller à ce qu’une dame ait ses aises quand elle se trouve « en délicatesse » avec toi. Les mecs qui niquent une sœur dans la paille d’une grange ou sur une fourmilière voient leur cote baisser à toute pompe. Panard, pas panard, leurs partenaires détestent emmagasiner des brins de paille dans leur chatte ou se faire piquer les noix à l’acide formique par des bestioles aventureuses.

Lorsque la couche est prête, j’y fais s’allonger Angela. Je reprends ma place dans le solide fauteuil recouvert cuir, place les pinceaux de ma dernière conquête sur chacun des deux accoudoirs et y vais de mon Te Deum.