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SUNSET BOULEVARD
LOS ANGELES

La babille est adressée à Mister Félix Legorgeon, 119 rue du Chemin-Vert, PARIS.

Elle est brève.

Je la traduis.

Monsieur,

Une demoiselle Martine Fouzitout, de nationalité française mais habitant Venice, Californie, vient de décéder à l’âge de 44 ans. Auparavant, elle avait laissé en notre étude un testament vous instituant son légataire universel. En conséquence, nous vous serions reconnaissants de prendre contact avec nous dans les meilleurs délais afin que nous puissions procéder au règlement de cette succession.

Veuillez agréer…, etc.

Je rends sa bafouille notariale à Félix.

— Très intéressant, le complimenté-je. La tradition veut qu’on hérite d’un oncle d’Amérique, en l’occurrence, il semblerait que ce soit plutôt d’une cousine ?

— Erreur, déclare le prof ; je ne suis pas apparenté à cette femme.

— Mais vous l’avez tout de même connue ?

— Au reçu de la lettre, je ne voyais pas de qui il était question. C’est en explorant ma mémoire que j’ai fini par trouver : Martine Fouzitout est une de mes anciennes étudiantes de la faculté de sociologie.

— Faut croire qu’tes cours étaient bons, rigole l’Infâme. Dis-nous tout, brigand ; tu l’as chibrée ?

Je m’attends à des protestations de notre ami, mais au lieu de dénéguer, il acquiesce :

— En effet, bien que ce ne soit pas dans mes habitudes.

— Raconte, Félisque, enjoint le Gros ; d’puis l’temps, y a circonscription, question s’cret !

— A vrai dire, on peut considérer qu’elle m’a pratiquement violé, déclare M. Félix.

— Oh ! hé, dis, tu bédoles dans les bégonias, mon vieux Tournesol ! Une jeune fille te violer ! T’as vu ça dans un film « X » !

— C’est cependant la vérité ! Les choses se sont passées fin juin. Il régnait une intense canicule sur Paris et je portais exceptionnellement un pantalon blanc très léger au point, qu’à mon insu, il était transparent !

— Compris ! pouffe le Mastard. La miss a vu ton calibre et ça l’a émoustillée ?

— On peut résumer les choses ainsi, convient le prof. Cette excellente étudiante, passionnée par la matière qu’elle avait choisie, se tenait toujours au premier rang de l’amphi, contrairement à ses condisciples qui avaient tendance à se mettre dans le fond pour déconner plus à l’aise. Ainsi a-t-elle eu la révélation du sexe anormal dont la nature m’a affublé. Elle en a été bouleversée, m’a-t-elle avoué par la suite.

« Jusque-là fille aux sens calmes, davantage tournée vers l’étude que vers la braguette, elle n’avait connu que de brèves et décevantes expériences sexuelles. Dès lors, elle n’eut de cesse d’entrer en relations privées avec moi. Un jour que je gagnais mon métro sous l’orage, elle stoppa son automobile à ma hauteur, me héla et me proposa de me raccompagner. Ne voyant aucun mal à la chose, j’acceptai.

« Parvenue devant mon modeste domicile, elle me demanda de monter jusque chez moi “pour parler”, prétendit la madrée. Je lui fis valoir que mon logis de célibataire ne m’autorisait guère des réceptions impromptues ; mais vous connaissez l’adage ? Ce que femme veut… Trente secondes plus tard, elle franchissait mon seuil et, séance tenante, s’emparait de mon membre.

« Je dois à la vérité de dire que la résistance que je lui opposai manqua d’énergie et mes protestations de véhémence. En fort peu de temps, je me retrouvai avec le pantalon sur les chaussures et la queue roide, ce qui contraignit la donzelle à s’éloigner de moi pour pouvoir l’emboucher, ou du moins tenter de le faire “car le museau du sire était d’autre mesure”.

« Il restait de la pucelle en elle, aussi ne parvint-elle à ses fins qu’une dizaine de jours plus tard, après force exercices préliminaires dont je vous épargnerai les détails mais qui mettaient un comble à l’impatience de mes génitoires. Je compensais son désappointement (et aussi le mien) par mille prévenances allant de la prothèse de fortune aux palliatifs classiques, toutes choses qui conduisent à l’écume du plaisir sans vous en accorder la félicité.

« Enfin, à force de louches bricolages, de manigances lubrifiées, de courage aussi, cette admirable fille put engouffrer mon infernale bite, si vous voulez bien me pardonner l’emploi douteux de ce verbe transitif. Ce fut pour elle, certes un déchirement, au sens premier du terme, mais surtout une splendide victoire, ardemment et chèrement acquise.

« Elle me dispensa une période de vrai bonheur, m’assurant que, malgré notre différence d’âge, je resterais à jamais l’homme de sa vie et qu’elle ne m’oublierait plus. D’après la lettre que voici, je constate qu’elle a tenu parole. »

Est-ce un pleur qui fait briller le regard du bonhomme ? Comme pour faire diversion, son « assistant » se met à imiter (à s’y méprendre) le chant du coq, ce qui fait tressaillir tous les occupants du bistrot, bougnat compris.

Calmement, M. Félix tire son oignon de nickel du gousset où il le chauffe.

— Exact, Marquis, il est bel et bien midi, approuve-t-il.

Et de nous expliquer que son protégé possède un don étrange qui le fait « chanter le coq » dès six heures et réitérer à chacun de ses multiples.

— Ton Marquis, il aurait pas une araignée dans l’donjon ? suggère Béru.

— Oh ! que cela est vite dit ! proteste Félix. Quelle hâtive classification, mon pauvre Bérurier. Comme on met vite au ban de notre misérable société un être frappé d’anormalité ! Tu vois de la folie, là où il n’y a que poésie. Ce cher et tendre et frêle garçon qui prend la voix du coq pour chanter l’aurore et les heures belles de la journée n’est pas un dingue, mais un elfe. A preuve ? Quand il pleut, il se tait. Son hymne à la vie doit te mettre l’amour au cœur au lieu du mépris. Sauriez-vous lui expliquer cela, Antoine ?

— Moins rapidement que vous ne lui apprendriez le grec ancien, cher Félix. Mais revenons à votre élève de jadis. Vous avez pris contact avec ces tabellions d’outre-Atlantique ?

— Presque d’outre-Pacifique, plaisante l’éminent bonhomme. Oui, mon cher petit : je me suis fendu d’une communication qui m’a coûté la peau des bourses. J’ai dû ânonner mon anglais à quinze donzelles de bureau avant d’obtenir le secrétaire d’un secrétaire qui ne parlait ni le français, ni les langues orientales. Il n’a pas compris grand-chose à mes questions et moins encore à mes réponses.

— T’aurais dû apprend’ le ricain au lieu du grec ancien, se marre Bérurier, ça t’eusse été plus profitable.

— Il est tout de même ressorti quelque chose de votre coup de turlu ? insisté-je.

— Fort peu. Il semblerait que ma gentille « violeuse » de jadis n’a laissé qu’une masure sans étage dans le quartier noir de Venice. Smith, Smith, Larson and again Smith veulent que je me rende là-bas pour signer je ne sais quoi, ou que je délègue un avocat californien.

— Conclusion ?

— Pas de conclusion, mon petit. J’existe chichement en France et n’ai pas les moyens d’aller de l’autre côté du continent américain pour recueillir une cabane pouilleuse qui, je le pressens, me coûterait plus cher qu’elle ne me rapporterait.

— T’es pas curieux, Vieux Nœud, grommelle le roi des cons en faisant signe au taulier de ramener des boissons fermentées.

— Je suis, en effet, plus sage que curieux, admet le prof.

— Félix, soupiré-je, vous, hypersensible, vous venez de le prouver en nous parlant du marquis, vous n’êtes pas ému en songeant à cette fille qui, à douze mille kilomètres de là, vous a légué ce qu’elle possédait après plus de vingt années de silence ?