Выбрать главу

Je compose. Ça sonne un bout, quelque part dans le désert, et puis une voix me répond :

— Boorisch Garage.

Je raconte que je suis à l’aéroport d’Hysterical Gold avec des amis et que nous aurions besoin d’une voiture pour nous conduire à Morbac City.

La voix (de femme, d’homme, d’hermaphrodite ?) répond brièvement « O.K. », ce qui ne m’aide pas à dissiper le mystère de son sexe.

Ne reste que d’attendre en vidant le frigo. Nous nous acquittons de cette tâche avec conscience. La vieille ivrognasse rousse tente de vider son verre, mais la force lui en manque, ou bien l’énergie ? Elle y renonce et, pour se faire un petit plaisir compensateur, se met à pisser sous elle.

Nous poireautons plus d’une heure dans le local torride (bien que toutes les ouvertures en soient ouvertes), et je me mets à croire au méchant lapin quand un ronflement non produit par le vieux de la tour de contrôle, naît et croît. Qu’en fin de compte, une dépanneuse déglinguée finit par arriver en sinuant et s’arrête devant la porte du club-house. Un nain en descend. Que dis-je, un nain ! Un projet d’enfant de nain ! Minuscule créature issue des « Rantanplan[9] ». Quatre-vingts centimètres en tout (dont cinquante de la queue à la tête), pantalon de velours, tee-shirt célébrant l’efficacité de la « Chase Manhattan Bank », chapeau de cow-boy trop large, heureusement stoppé par des oreilles décollées. J’oubliais : des santiags et un mégot de gros cigare complètent l’étrange silhouette.

Ce mutant s’avance et, de sa voix fluette, lance :

— O.K., les gars : c’est bon pour moi !

Je l’étudie, déconcerté.

— Are you a dwarf[10] ? je lui questionne.

— Non : j’ai six ans, répond « la créature ».

— Six ans, et vous pilotez une dépanneuse ?

— Il faut bien : ils sont tous « patafioles » à Mor.

L’étrange gamin désigne la rouquine écroulée.

— Vous voyez ? Mes vieux, c’est du kif ! Jusqu’à ma grande sœur de douze ans qui était en train de dégueuler son gin dans la cuisine quand je suis parti.

— Et vous, vous ne buvez pas ?

— Je vais commencer l’an prochain : j’aurai l’âge de raison.

— Les gens d’ici se poivrent tous les jours ?

— Pas à ce point ; mais le « Bench Holiday Making » a commencé hier et va durer jusqu’à la fin de la semaine prochaine !

— La fête du banc des amoureux ?

— Yes, mon pote : c’est pour ça que vous êtes venus, vous et votre bande de vieux ?

— Exact, mens-je.

— Vous allez avoir de la peine à vous loger, tous les natifs du comté rappliquent pour cette occasion.

Ma pomme de commencer par le commencement :

— Prends ça et arrange-nous le coup, fais-je au môme en lui tendant un billet de cent ; tu m’as l’air démerde, fiston.

Il enfouille la pauvre gueule de Benjamin Franklin sans trop s’émouvoir.

— Ça va rester difficile, assure le déluré, combien êtes-vous ? Cinq !

— On n’a pas besoin de cinq chambres ; deux suffiraient : une pour moi, une pour les quatre autres !

Ça le fait rigoler.

— Vous venez d’où, avec votre accent à la con ?

— France.

— C’est où, ça ? Au Canada ?

— Non, en Europe.

— Et c’est où, l’Europe ? Je me fous à rire.

— Il y a chez nous des politiciens auxquels j’aimerais bien te présenter, môme, tu leur ramènerais les pieds sur la terre. Bon, tu nous emportes ?

— O.K. ! O.K. ! Martien. Vous montez à côté de moi et on fout les quatre autres derrière, c’est bien ça ?

— C’est tout à fait ça, confirmé-je.

C’est quand on quitte la piste pour la route que j’apprécie pleinement la conduite de « Petit Gibus[11] ». Il roule d’un bord à l’autre, tutoie le talus, passe de la première à la quatrième, freine hors de propos, accélère, par contre, dans les croisements, foutant la diarrhée aux automobilistes de rencontre, écrasant deçà, delà, un chien errant, un oiseau au vol trop lourd qui n’a pu décoller avant son arrivée, emboutissant des panneaux de signalisation, bref, se comportant en tout comme s’il faisait joujou sur la piste du Lac Salé.

Je finis par me demander, après qu’il eut défoncé l’arrière d’un autobus, s’il pilote une dépanneuse ou plutôt une « panneuse ».

— Tu ne voudrais pas que je conduise ? demandé-je au bout de dix kilomètres et un litre de sudation.

— Non. Pourquoi, Martien ?

— Tu arrives à peine à toucher les pédales.

— Quelle idée ! Regardez mes pieds, Martien.

— D’accord, mais quand tu parviens à les toucher, tu as la tête plus basse que le pare-brise.

— Faut choisir, tranche le moutard. Est-ce qu’on serait chassieux, dans votre pays ? Comment s’appelle-t-il, déjà ?

— France.

— C’est un prénom de femme, ça. La fille du shérif s’appelle France.

— Elle est jolie ?

— Elle louche.

— Eh bien, mon pays est plus beau que la fille de votre shérif ; toi, tu te nommes comment, fiston ?

— Roy Clark.

— Tu iras loin si tu ne te renverses pas dans un ravin avant !

Il désigne en riant la plate immensité qui nous environne.

Ce simple geste suffit à nous faire quitter la route. Je l’aide à redresser le volant et il termine sa phrase :

— Les ravins, ici…

Mes potes de l’arrière se mettent à hurler. Je dis à Roy de stopper. Renseignements pris, on a perdu le Marquis dans l’embardée. On le voit qui se relève, à cinquante mètres en arrière et qui survient en clopinant.

— Recule, il boîte, fais-je au pilote d’essai.

— Je ne peux pas : y a plus de marche arrière.

— Et vous vous en passez ?

— Chez nous, à Morbac City, on va toujours de l’avant !

Morbac City, je pourrais t’en dresser le plan les yeux fermés. C’est des maisons au bord de la route, une église, un bâtiment avec le drapeau ricain. Pas une seule voie perpendiculaire, pas une place, voire un simple renfoncement. Tu dirais une branche de dattes, les constructions comme les fruits que je cause, sont collées à la branche.

Cela, comme toujours, commence par des masures, on passe à des crèches plus importantes, il y a quelques boutiques, la chapelle entourée de son cimetière, et puis, à l’extrémité du pays, après quelques centaines de mètres, voilà que la route s’élargit en forme de tulipe (j’ai la description végétale, aujourd’hui). Et c’est cet évasement qui est complanté pour former un petit espace vert au centre duquel se trouve le fameux « banc des amoureux ».

Au-delà de ce banc, quelques massifs floraux, puis, plus loin, le fameux poteau indicateur que j’ai eu tant de mal à déchiffrer. Après l’évasement, ça redevient rectiligne, on retrouve des masures ; le désert reprend, puis vient une espèce d’oasis qui se manifeste par un boqueteau de pins gris de poussière au centre desquels on a bâti un motel qui devait être délabré avant sa finition. Cela s’appelle, avec beaucoup d’à-propos, Desert Motel. Et cela se résume en six bungalows évoquant les cabanes des « jardins ouvriers » où les manars vont cultiver le haricot à rames, la tomate et la carotte, pendant le week-end, histoire de se donner des émotions de gentlemen-farmers.

Quelques véhicules sont garés sous un toit de roseaux secs ; j’en compte davantage qu’il n’y a de cases.

вернуться

9

Album de bande dessinée de jadis narrant les aventures d’un garçonnet nommé « Bicot » (c’était avant le problème algérien).

вернуться

10

Etes-vous un nain ?

вернуться

11

Personnage immortel d’un film d’Yves Robert : La Guerre des boutons.