Je la borde en lui chuchotant des promesses concernant un bientôt enchanteur.
J’éprouve l’intime satisfaction des ménagères d’autrefois quand elles venaient de faire leur lessive mensuelle.
Dehors, un feu d’artifice crépite.
Rien que je trouve plus con au monde, ni plus décevant, que ces fugaces embrasements minutieusement élaborés et si vite anéantis. N’en subsiste qu’un peu de fumée entre les étoiles et nous, également une odeur de poudre et de carton brûlé. J’ai assisté, une nuit, à Marbella, à un féerique feu d’artifice, tiré chez un prince arabe, dont les sujets avaient faim. Il fêtait l’anniversaire de sa fille, la princesse Babouche, et les Rolls n’arrivaient pas à se parquer toutes aux abords de son palais. Je regardais monter et exploser en gerbes d’or ces configurations artificiaires, essayant de comprendre quel plaisir passager elles pouvaient bien donner à ces gens qui payaient cette séance de feu d’un torticolis mérité.
Malgré tout, je décide d’aller marcher un peu, histoire de me dégourdir les flûtes ; un spectacle pyrotechnique ne dure jamais très longtemps.
Y a de la viande soûle partout. L’alcool a déjà accompli une partie de son boulot. Les Ricains ont cela de commun avec leurs amis russes, qu’ils boivent sans discernement ; rapidos et en quantité.
On voit des hommes et des femmes, assis sur les trottoirs, dos aux façades, cuvant, accrochant les wagons, débloquant ou ronflant, tout respect humain banni.
Ceux qui se trouvent dans la phase intermédiaire, font des embardées dans la rue, flacon en main, flacon en poches (les prévoyants). Ça hurle, ça chante, ça célèbre la picole. Des couples font l’amour dans des bagnoles, presque au vu et suce de la foule. Des groupes entourent ces bagnoles-alcôves en tapant dans leurs mains pour encourager les protagonistes. Je vois un grand diable rouquin lancer à la foule, par la portière, la petite culotte de sa partenaire, tel un trophée durement acquis. Des garçons se battent en riant pour l’emparer. Ils la reniflent en yodlant ; l’un d’eux sort même son chibre pour en faire une hampe à ce délicat drapeau de l’amour.
Je pige que ces nuits de fête à Morbac City dégénèrent en orgies crapuleuses. Il n’existe plus de limites. C’est l’abandon total, la dégradation systématique. Dans les pays où les gens s’emmerdent, le vice devient ministre des loisirs.
On me bouscule. Trois gonzesses en goguette, plutôt jeunes, me prennent à partie et me demandent de leur payer à boire. J’ai grand mal à me dégriffer de ces pétasses. Le premier de mes compagnons que je trouve n’est autre que Pinuche. Il est assis sur une caisse de bourbon et ressemble à un échassier en somnolence. Il y a un côté grelotteux chez lui. Son clope n’est plus collé à sa bouche, mais à sa joue.
J’opère un premier sauvetage.
— César, vieux biquet, amène-toi, il est l’heure du dodo.
Et je le rentre chez le pasteur en le portant sur mon épaule. La chose est courante car on rencontre pas mal d’hommes agissant de même avec leur conjointe. Je me dis, l’ayant partiellement défringué et complètement couché, que mon altruisme ne doit pas s’arrêter là et qu’il me faut secourir mes trois autres guignolos.
C’est cela, aussi, avoir charge d’âmes !
Un rassemblement animé de cris m’attire irrésistiblement (certains de mes confrères, plus doués, diraient « comme un aimant »). Mon don du pressentiment m’annonce que si je m’approche, je vais découvrir Alexandre-Benoît Bérurier.
Je. Et c’est oui.
Imagine un grand cercle, au milieu de la chaussée. Cent personnes le composent. Au centre, deux types aux gabarits impressionnants, dont l’un est notre ami, avec sa crinoline. En face de lui, un malabar qui le dépasse de la tronche et qui porte un tee-shirt noir duquel émergent deux bras tatoués dont chacun ressemble à l’une des colonnes de l’église de la Madeleine. Sur le sol, près d’eux, il y a un chapeau.
Les assistants jettent quelques nickels dans ledit à titre d’encouragement. Que va-t-il se passer ? Car rien encore n’a débuté, j’arrive pour les prémices.
Ne voulant pas interrompre ce qui m’a l’air d’être un projet d’affrontement, en interpellant Béru, je m’enquiers de l’événement auprès d’un petit garçon qui, lorsqu’il se tourne vers moi, se révèle être mon petit copain Roy, notre chauffeur.
— Ah ! rebonsoir, Martien, me dit-il. Vous venez assister au duel de votre copain avec Teddy-le-Rouge ?
— Quel duel, môme ?
Il m’explique que, chaque nuit, il y a grand concours de gifles. Teddy en est le champion incontesté. Le jeu (si j’ose user d’un mot aussi anodin) est le suivant : les deux adversaires se placent face à face. Une personne de l’assistance tire au sort pour déterminer celui qui giflera le premier. Le gars envoie sa beigne. Ensuite, c’est au tour du second, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’un des gifleurs déclare forfait ou soit k.-o. Pendant le combat, l’assistance jette du pognon dans un bada (en l’occurrence, ce soir, celui du « Petit Gibus ») et le vainqueur enfouille la fraîche. Comme on le voit, ce genre de compétition est très intellectuel et ne nécessite pas d’accessoires particulièrement sophistiqués puisqu’une simple main droite (gauche si l’on est gaucher) suffit.
L’arbitre est un gros homme portant l’étoile de shérif sur sa chemise à carreaux. Il sort une pièce de son pantalon et la tient brandie entre le pouce et l’index.
— Il va sûrement donner la priorité du départ à Teddy, me confie Roy. Ici, on n’aime pas les étrangers.
Il ajoute :
— Et si c’est le Rouge qui commence, m’étonnerait que le combat se poursuive, vu qu’il leur décolle la tête au premier chtard. Y a deux ans, il a tué le représentant de Coca-Cola d’entrée de jeu !
Devant de telles révélations, j’hésite à intervenir pour enjoindre au Mammouth d’abandonner, mais au point où en sont les choses, nous nous ferions tous lyncher.
Le shérif demande à Sa Majesté quel côté de la pièce il choisit. Mon pote ne comprend pas l’anglais, mais le geste est assez explicite.
— Face ! fait le Français.
Le shérif ne comprenant pas, il se tourne vers Teddy-le-Red :
— Heads or tails, Teddy ?
— Heads ! grommelle la brute.
— Gagné, répond le shérif en empochant sa pièce sans l’avoir lancée.
Belle impudeur, révélatrice de l’impartialité de l’arbitre.
— Quand tu veux, Teddy ! déclare ce dernier.
Mais le Rouge désigne le chapeau, il engueule l’assistance comme quoi il va pas démonter la hure de ce porc d’étranger pour une pincée de févettes. Tisonnés par ses sarcasmes, les spectateurs mettent la main à la poche et ça se met à pleuvoir dru dans le bitos de mon petit pote. Je m’avance pour balancer un talbin, ce faisant, je dis au Gros :
— Gaffe-toi de ce monstre, il allongerait un éléphant d’une mandale ! Ote au moins ton râtelier.
Alexandre-Benoît ricane :
— L’est déjà dans la poche à Félisque, vu qu’j’ai pas de froc, je dépose toujours mon damier quand on est dans la foule mais fais-toi pas d’souci, grand, j’l’attends venir, c’grand nœud !