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Péremptoire, il reprend la fraîche de sa victime.

— Ce serait idiot d’y laisser perdre, assure ce Suisse indélébile ; je trouverai quelqu’un à qui ça fera plaisir.

Mon avis est qu’il n’aura pas à le chercher longtemps.

* * *

On a parcouru une quarantaine de kilbus. Le paysage me semblait de plus en plus féerique. Je n’y aurais pas passé mes vacances, pourtant, sincerely, il méritait le détour. On est vergif, les Terriens. C’est dommage que les autres planètes ne possèdent pas d’H2O. J’ai longtemps espéré que des michetons radineraient des au-delà, qu’ils soient verts ou avec une longue queue en trompette ; mais je finis par croire que c’est râpé et que nous sommes vraiment seulâbres sur la grosse boule bleue. Dommage, on aurait pu faire la guerre avec des extraterrestres pour changer, au lieu de se rabattre sur nous-mêmes, sans piger que chaque fois qu’un homme en tue un autre, c’est lui qu’il met à mort. Enfin, c’est pas la peine de rêver. Déjà heureux que le Seigneur nous ait permis, j’entends par là, créés. Certes, c’est chiant d’être vivant, mais comme il doit être démoralisant de ne pas exister.

C’est moi qui prends l’initiative de quitter la route. Pépère me filoche à distance, pas qu’on semble former convoi.

Je vois, à ma gauche, se profiler une vallée à travers des rochers vertigineux. L’endroit me semble propre à servir mes desseins. La Buick laisse pneus et amortisseurs dans cette expédition.

Je drive, drive, drive.

Lorsqu’un boudin éclate, je déclare forfait et décide d’abandonner la bagnole dans cet étroit défilé où, selon moi, ni hommes ni bêtes ne doivent pointer le bout de leurs museaux.

Avant de mouler le véhicule, je l’explore. N’y trouve qu’une longue matraque de caoutchouc noir, plus les outils de bord usuels et une carte routière.

— Si on y foutait le feu ? suggère le cow-boy.

Je lui montre le magnifique panorama développé devant nous, et presque sous nous, car nous avons pris quelque altitude.

— Ce feu de joie serait aperçu à des dizaines de miles à la ronde, réponds-je.

— Juste ! apprécie l’ancêtre.

On rejoint son monticule de rouille ferraillante et nous rallions cette coquette citée en délire qui a nom Morbac City.

Il me raconte, pour commencer, que, dans le silence du désert, son ouïe s’est surdéveloppée, pépère. Tu penses qu’il l’a entendue venir de loin, la bagnole blanche, ce madré.

C’est un homme de qui-vive, ça se comprend quickly. Il a tout de suite renouché du glauque. Une tire en pleine noye, alors qu’il ne vient quasiment jamais personne, même de jour, dans sa gentilhommière, il a pas aimé. Alors il a filé un paquet de hardes sous son drap pour donner la forme d’un dormeur, décroché son flingue et s’est hissé dans la partie mansardée de l’habitation, par un trappon à échelle rétractable. Et il a attendu.

Les méchants ont stoppé près du ranch et sont entrés. Il les surveillait grâce à une fissure du plaftard. Ils paraissaient connaître les lieux car ils ont filé droit à son lit sans la moindre hésitation. La chambre était cependant dans une presque obscurité. Le copain du clown (un homme d’une quarantaine d’années, courtaud, très brun, de type espagnol) a braqué un gros calibre sur ce qu’il croyait être le dormeur et a vidé tout son chargeur dans la literie. Le clown bichait et poussait un cri de liesse à chacune des détonations.

Quand le petit déclic indiquant que le chargeur était vide s’est produit, le cow-boy suisse a soulevé le trappon et a dit :

— Faites-moi un petit sourire, mes cons !

Effarés, ils ont levé la tête vers cette voix venue du plafond et alors le vieux leur a filé une volée de chevrotines à chacun. De la vraie, fignolée par lui, avec plein de déchets de ferraille pointus parmi les plombs. Ça a zingué recta les deux bricolos. Ne restait plus qu’à les enterrer.

Ce que nous fîmes.

Très bien, ce documentaire. A peu de chose près, je l’avais plus ou moins reconstitué dans ma tronche aussi performante que celle de Blaise Pascal. Seulement, ce qui m’intéresse, c’est le reste, tout le reste ! A savoir l’histoire de ses accointances avec la môme Fouzitout.

Je me risque à entamer le sujet, mais il me coupe d’un sec :

— Moment ! Maintenant, c’est à vous de parler, l’ami.

Catégorique !

Je me dis benoîtement que le moment est venu pour moi de grimper à la tribune.

Pour la énième fois (au moins) j’y vais de mon récit. Je le sais déjà par cœur et pourrais le débiter sur la scène de l’Olympia, en fin de première partie, un jour que mon pote Pierre Perret y passerait en vedette. Je bonnis l’héritage de Félix, vieux prof fauché. Je brode, comme quoi quelques potes et moi le sponsorisons pour qu’il vienne toucher son lot. Et alors, des types dont nous ne savons pas qui ils sont et ce qu’ils veulent, nous sautent sur le poiluchard et se mettent à équarrir tous les gens qui ont approché la petite Martine. Je parle du père Machicoule, montre la photo que sa servante m’a donnée, tout bien. Le cow-boy pilote en silence. A un moment, il tire une carotte de tabac de sa poche et mord dedans afin de se confectionner une chique à grand spectacle comme même la reine Elisabeth II d’Angleterre n’en a jamais mâché.

Il semble méditer mes révélations.

Et soudain, il grommelle :

— Feu de mes couilles ! j’ai un pneu crevé à l’arrière, à cause de ces putains de roches !

Effectivement, depuis un instant, sa brouette embardait.

— Vous voulez jeter un œil, gars ? il me demande.

Tu trouveras jamais plus serviable que moi avec un vieillard. D’ailleurs tu as vu comme je l’ai aidé à enterrer ses victimes ? Gentil, non ? J’en connais qui ne l’auraient pas fait.

Je descends et me dirige vers l’arrière de la Jeep. Je n’ai pas atteint l’aile droite que la bagnole repart aussi vite que son moteur naze le lui permet.

Le vieux passe sa main par la portière, un doigt (celui du milieu) dressé pour bien me confirmer que je l’ai dans le cul.

Ce qui te prouve que la bonté n’est pas toujours récompensée.

* * *

Ce qui prédomine en moi, homme bienveillant et d’une bonté foncière, c’est le chagrin davantage que l’humiliation. L’agissement du cow-boy suisse me navre. Quand tu aides un homme à enterrer les cadavres de ses ennemis (cadavres réalisés par lui) et à effacer les traces de son acte, tu te sens, bon gré mal gré lié à lui.

Là, avec une impudence inqualifiable, le vieux me laisse quimper, en pleine fin de nuit, en plein désert, en plein épuisement. Salaud ! Ah ! sale salaud sans vergogne ni foi ni loi, ni rien de bon !

Hébété, je poursuis ma marche à pincebroque. Que faire d’autre ? Mon cher Michel Audiard a suffisamment déclaré qu’un con en marche était plus performant qu’un intellectuel assis.

Au bout de cent deux mètres zéro cinq, j’avise un petit objet rectangulaire qui luit à la lune parce qu’il est plastifié.

Ma brème de flic ! Dessus, il est encore écrit que je suis commissaire car, par fétichisme, j’ai conservé le document, ne m’étant pas habitué à mon nouveau titre de dirlo.

Elle apporte une explication sur l’attitude du Suisse à mon égard. Pendant que je piochais dans la fosse, il a fouillé mon veston pour s’assurer de mon identité, a découvert qui je suis et, comme je lui ai menti par omission, me le fait payer. Vieux brigand ! Il a jeté ma carte sur la route, à mon intention, afin de me faire comprendre pourquoi il agit de la sorte ; ce qui indiquerait qu’il lui reste un fond de savoir-vivre.

Cela dit, je pourrais le foutre en béchamel, pépère. Il me suffirait de prévenir la police qu’il y a deux cadavres inhumés derrière sa maison, près de la fontaine où la terre est moins aride. Seulement, ce faisant, je me flanquerais moi aussi dans un bain de gadoue pas parfumé à l’O-Bao.