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Pour me stimuler, j’arque en fredonnant La Marseillaise, cette aimable comptine cent pour sang française. « Marchons ! Marchons ! » Tu parles qu’on en a fait marcher, des nœuds volants avec ça. Baïonnette au canon pour aller au boudin confectionné avec le sang qu’impur !

Je compte mes pas, les convertis approximativement en décamètres, hectomètres, kilomètres. Au bout de trois bornes, je déclare forfait. Anéanti, l’Antonio. J’aurais dû rester chez maman, à Saint-Cloud, à boire mon « vrai » cacao et à claper ses rôties croustillantes et beurrées. A chaque cruelle mésaventure j’éprouve ce regret infantile. J’ai jamais été totalement délangé, voilà la vérité. Drôle de superman, ton Antonio, l’aminche : le dur au cul talqué !

Après un long virage, j’avise une étendue tapissée de petites plantes mauves, genre bruyère. Harassé, je m’allonge sur ce que les romancières appelleraient « un tapis d’améthyste ».

Roupillage instantané. L’épuisement est le meilleur des soporifiques.

* * *

Cet ouvrage étant particulièrement copieux, je ne te raconterai pas le rêve qui vient me visiter pendant mon sommeil. A quoi bon tirer à la ligne, quand on songe au prix de l’impression, du papier, de la manutention, tout ça !

Donc, je fais l’impasse sur ce songe dans lequel je suis un militaire égaré en cours de déroute, qui demande son chemin à trois jeunes paysannes riches en fesses et tétons, lesquelles, diablesses moissonnantes, exigent d’être récompensées des renseignements fournis par chacune : un beau coup de bite sur la paille rêche. Tu me vois te narrer cette échevelade de culs ? Cette répartissade de tous mes dons en une simultanéité à grand spectacle : mon zob par-ci, ma langue par-là, mes paluches sur ce qui reste vacant ? Tu me vois, dis ?

Mahomet, le plus impitoyable des boxeurs, se met à me taper dans la gueule à pleins rayons, m’éveillant complètement.

Adieu, rêves voluptueux ! Je retrouve la sinistre réalité intacte. Moi, la route blanche, le ciel plus blanc encore, l’horizon brûlant, la ligne de montagnes qui semblent taillées dans du quartz.

Une préfiguration de l’enfer.

Déjà mes fringues collent à ma peau. Mon empire contre un bain frais ! J’ai soif, j’ai faim, j’ai envie de déféquer. C’est terrible de chier au milieu d’une telle désolation. Chez m’man, les gogues sont envoûtants à force de bien-aisance. Murs tapissés de papier cretonne (Hollandaises charriant des seaux de lait avec un fléau sur l’épaule). Rouleau distributeur en métal doré. Papier satiné double face. Petit lustre de Murano. Minuscule bibliothèque contenant des revues, les œuvres de Robbe-Grillet pour les constipés, les miennes pour ceux qui ont l’entraille généreuse. Un poste de radio pour pas rater quand Georges Le Pen cause dans un métinge, un cendrier pour les suicidaires, du déodorant qu’on se croirait aux îles Borromées, de l’eau de Cologne pour ceux qui s’embourbent les salsifis quand le papier crève. Ultraconfort, douilletterie totale. Tu y passerais ta vie !

Bon, là, je me mets à jour de mon mieux, explore mon portefeuille pour y trouver du faf à train. Soucieux de conserver mon permis de conduire, je sacrifie une lettre d’amour d’une certaine Lisette que j’avais commencé de déshonorer[17] en inscrivant, en marge, différents numéros de téléphone ainsi que l’adresse d’un certain Aloïs Dugadin, à Vitry-le-François, sans me rappeler qui était ce mec de rencontre.

Cette opération surintime me pousse aux réflexions désabusées et m’incite à écrire cet ouvrage que je porte en moi, sur la dégénérescence des fantasmes, seulement, comme je viens de te le dire, je suis à court de papier.

Je commence à me reculotter quand un coup de klaxon me fait sursauter. J’avise alors, à quelques encablures, une énorme limousine jaune à toit blanc, avec une dame au volant. Honteux, je voudrais qu’une faille s’ouvre dans le sol et m’engloutisse ; mais tes sentiments, dans un tel cas, ne prévalent pas et, sentant s’atténuer mon humiliation au profit d’un vaste soulagement, je vais à cette voyeuse de bonne aventure.

La vraie gaillarde !

Son poids foutrait les jetons à une balance ordinaire de salle de bains. Pour comble, elle est en short, soutien-gorge de diplodocus femelle et porte une casquette à longue visière sur sa tignasse à ressort, d’un auburn qui flanquerait la chiasse à Mathias.

— Hello ! me dit-elle.

— Hello ! réponds-je du tacot-toc.

— Que faites-vous par ici ? s’enhardit-elle.

— Je cherchais un endroit tranquille pour déféquer, mais je m’aperçois que c’est raté.

Elle rit.

— Vous avez un drôle d’accent, assure-t-elle.

— Je sais : c’est de naissance.

Re-marrage de la grosse.

On devient sérieux. Je raconte que des tomobilistes rencontrés à Morbac City m’ont proposé une virée nocturne dans le désert. Comme c’était des femmes, j’ai accepté. Et ces abominables pétasses m’ont abandonné.

L’obèse, rien ne lui paraît plus farce au monde. Elle en pète d’hilarité, la chérie. Mais comme les gros sont sympas, elle me propose de me ramener à Morbac City où, précisément, elle se rend pour le « Bench Holiday Making ».

Ça y est, mon destin reprend sa trajectoire.

11

CHAPITRE RÉCURANT

Elle est plutôt sympa, Mrs. Molly, dans son genre. Boulimique, comme la plupart des obèses, elle se gave de pop-corn puisé dans le sac en papier bloqué entre ses monstrueuses cuisses et rit de tout et davantage de rien en postillonnant des particules de maïs sur son pare-brise. Elle a une délicate peau rose, grenue, qu’un tanneur achèterait volontiers pour la modifier en faux croco. Elle fouette un peu le rance aspergé de parfum à deux dollars la bonbonne, et aussi la sueur d’encoignures. Chez les gens de cent vingt kilos, ce sont les replis qui racontent le plus.

Elle me dit habiter Salome, dans l’Utah, où elle gère une entreprise de salaisons fondée par son défunt époux. Si elle vient à Morbac City, c’est en pèlerinage. Avant de se laisser épouser toute crue par Bob, ils ont mis leur deux culs sur l’illustre banc et se sont offert une soupe de langues carabinée.

Douze ans d’un bonheur sans nuages à égorger des porcs. Et puis, l’adieu !

Bob avait tellement d’urémie que ses veines lui servaient de vessie.

Là, son ton a flanché. Des larmes grosses et brillantes comme les gouttes de cristal d’un lustre vénitien délayent son crépi ocre.

— Prenez des pops, invite-t-elle en écartant ses bayonnes.

Je décline, elle insiste, je cède. A travers le mince papier, je sens sa grosse moulasse épanouie. Ma farfouille à l’intérieur du cornet la fait frémir…

— Vous devez vous y entendre en amour, vous ! diagnostique-t-elle.

Je grince des méninges. Ah ! non : je vais pas devoir payer mon voyage d’une tringlée ! C’est de la bidoche pour Bérurier, ÇA ! Moi, si je la grimpais, j’aurais l’impression d’affronter la face nord de l’Everest ! Faut vite dissiper le malentendu.

— N’en croyez rien, je suis membré comme un cacatoès.

Elle hurle de rire et pisse sur le pop-corn.

— Quelle blague ! Vous oubliez que je vous ai vu vous reculotter ! Des membres comme le vôtre, y a que dans les films « X » que j’en ai aperçu.

Dis, qu’est-ce qu’elles ont, toutes ces Ricaines, à vouloir déguster mon braque ? C’est la saison du frai ou quoi ?

Pour changer d’ambiance, je branche la radio sans lui demander son avis. Elle comprend que j’adhère pas à sa propose voilée et se renfrogne. J’espère qu’elle ne va pas me larguer de sa Buick, la grosse cochonne ? Sous sa casquette à longue visière elle remue des pensées torrides et peut-être même malsaines.

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17

La lettre, pas Lisette !