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— Non : le ranch du vieux !

Son minuscule doigt d’enfant me montre l’endroit où se situait ce dernier. Effectivement, des fumerolles vésuviennes s’élèvent dans le ciel.

Il largue la route pour s’élancer dans le désert. La dépanneuse décrit des bonds et autres embardées qui achèvent de me réveiller.

Au fur et mesure qu’on s’approche du ranch, on réalise qu’il est complètement détruit par le feu. Ses ruines fumantes sont plus noires et sinistres que la bouche d’un centenaire hindou mâchant du bétel. Ne subsistent que des pans de murs calcinés, entre lesquels la charpente se consume comme dans un large foyer de haut-fourneau.

La vieille Jeep du Suisse est rangée près d’un buisson.

Le petit Roy, pâlot malgré son cran habituel, murmure en désignant les décombres :

— Lui, il est là-dessous !

Je hausse les épaules.

— Je crains bien que oui, petit.

J’imagine qu’après m’avoir plaqué, le cow-boy est revenu dans sa piaule. Il a dû vouloir se préparer du café mais, comme ses « travaux de terrassement » l’avaient fatigué, il se sera endormi et le réchaud à propane aura bouté le feu dans son antre. Sale fin pour le cow-boy suisse ; il a dû cramer comme un fagot de bois sec, ce vieillard tout en os.

Ainsi, ma piste concernant la môme Martine s’arrête-t-elle définitivement en cet endroit désespérant, comme le filet d’eau de la fontaine s’engloutit dans le sol desséché[19]

Nous allons devoir retourner en Europe sans savoir ce qu’aura été la vie de la Française dans l’Ouest américain.

Je m’assois sur la margelle du bassin, pensif, amer. Je porte cet énorme point d’interrogation comme Jésus sa croix. J’ignorerai toujours ce que ce vieil homme et cette jeune femme fabriquaient, ni quelle était l’étrange connivence qui les rassemblait une fois par mois.

Pareil à un jeune cabri, Roy bondit jusqu’au bâtiment incendié. Il tourne autour du brasier qui rend l’atmosphère plus irrespirable encore.

— Il y a des traces de pneus ! me lance-t-il de loin.

Il a l’œil, ce trouduc !

— Venez voir, Martien !

Je ne peux me dérober, répondre que je suis au courant, ce serait me trahir.

Le pas pesant d’un laboureur en fin de journée, il a, ton Sana joli, madame.

— Regardez, dit le Sherlock en herbe, excité comme un boisseau de morbacs dans la culotte de Madonna. Là, c’est les empreintes de la Jeep !

Il me montre d’épais dessins sur le sol, court plus loin et désigne d’autres traces :

— Ici, celles d’une bagnole ordinaire.

Une troisième cabriole le place non loin du buisson où sont enterrés les deux malfrats.

— Et ça, c’est un troisième jeu d’empreintes, Martien !

Je tressaille. Examine.

Tu sais qu’il dit vrai, ce chiare ? Il existe bel et bien, autour du ranch brûlé, une troisième série de traces ! Et elles sont fraîches, nettes, pour tout dire, récentes !

Alors de nouvelles perspectives s’ouvrent à moi. Je me dis que d’autres gars de la bande qui s’intéressent au vieux ont radiné et que c’est eux qui ont mis le feu au ranch. Ont-ils brûlé le cow-boy suisse avec ou l’ont-ils embarqué en repartant, histoire de le faire jacter plus tard ?

Les décombres brûlent encore, interdisant toute exploration.

— Rentrons ! décidé-je.

— On va aller raconter ça au shérif ? demande Roy.

Si je lui réponds que non, il va pas piger ; et comme c’est un enfant, il ne pourra s’empêcher de répandre la nouvelle autour de lui. Quand, à son âge, tu traverses une aventure comme celle-là, il est impossible de la « garder par-devers soi », comme disent les grandes personnes.

— Et comment qu’on va aller raconter ça à la police, Brin d’homme !

J’ajoute :

— Dis donc, il s’en passe des choses dans ton bled !

12

CHAPITRE FARINEUX

Nous retrouvons le gros shérif (dans les westerns, les shérifs sont généralement gros et méchants, ils rotent bruyamment et leur haleine sent le hamburger aux oignons) en point de mire à l’emplacement du banc où il se fait photographier. Il est en décuite avancée. Pour l’activer, il a pris beaucoup d’Alka Seltzer, aussi rote-t-il avec véhémence et son haleine pue effectivement le hamburger aux oignons frits.

Comme c’est lui qui a arbitré le match Teddy-le-Red-Bérurier, il reconnaît en moi le supporter du vainqueur et me présente une bouille hostile. Ce mec ressemble à un éléphant sans trompe (on aurait remplacé ladite par un groin de porc). Ce matin, il a mis une chemise bleu marine, sur laquelle son étoile brille comme dans un ciel de crèche, un pantalon beige, en tissu léger, à travers quoi, quand il est au soleil, on voit la raie de son cul comme je te vois, ainsi que son gros pacsif de couilles inutiles et son foisonnement de poils sombres troisième choix (de ceux qui fouettent la ménagerie sans exciter les dames).

Mon lectorat captif n’ignore point combien je suis sensible aux personnages pittoresques, car ils donnent du piment à la vie. Seulement ce n’est pas le cas du shérif Garson qui n’est que con, repoussant et souilleur de rétines.

Il me regarde venir à lui, une paupière mi-close, comme un qui a la fumée de sa tige ou bien le soleil dans l’œil.

— Le môme et moi venons vous déclarer un sinistre, shérif, annoncé-je.

— Pas possible !

— Le ranch du cow-boy suisse a brûlé.

— J’espère qu’il était dedans et a grillé avec, ricane cet être pétri d’altruisme.

— C’est très probable, confirmé-je.

— Alors le diable a du boulot ! oraisonfunèbre-t-il.

— Vous devriez peut-être aller jeter un œil, il se pourrait qu’on soit en présence d’un acte criminel.

Son regard se transforme en deux glaves de tubard, fortement injectés de sang. Il chope un revers de mon veston et profère :

— A votre putain d’accent, je parie que vous venez d’ailleurs, l’ami ?

— De France, le renseigné-je-t-il.

— M’étonne pas ! Et vous croyez sérieusement, l’ami, que j’obéis aux ordres d’un enculé de Français ?

Moi, y a des choses sur lesquelles je ne pourrai jamais passer. Etre traité « d’enculé de Français » vient en tête des choses en question. Ce serait le prince Charles qui me dirait ça, illico, je lui ferais bouffer ses longues dents. La patrie c’est sacré pour moi. Je te raconterai peut-être un jour une bataille rangée homérique, avec des Allemands qui m’avaient traité de « sale Français ».

Mais pour l’instant, l’heure est grave.

— Shérif, fais-je sourdement, êtes-vous conscient de nous avoir gravement insultés, mon pays et moi ?

— Arrêtez de m’échauffer les oreilles, enculé de Français, sinon vous risqueriez de vous trouver derrière les barreaux.

A peine dit qu’il mange mon poing ! En ai-je déjà distribué des directs du droit, mais celui-là est le plus percutant de tous. Il lui fait exploser le groin que je causais y a pas deux minutes, lui effeuille les ratiches de devant, transforme sa bouche en deux tartares sanguinolents et, de surcroît, le foudroie.

Tu me croiras si tu voudras, mais la foule applaudit ; preuve de l’immense cote de popularité dont jouit le gros sac !

— Qu’est-ce que vous venez de faire là, Martien ! bredouille « Petit-Gibus ». Il va vous arracher le nez, les oreilles et tout ce qui dépasse de vous, le Garson ! C’est une pure terreur ! Vous devez foutre le camp avant qu’il se réveille ! Et ne vous fiez pas aux gens. Ils sont contents d’avoir vu ça, mais vous n’en trouverez pas la moitié d’un qui témoignera pour reconnaître que le shérif vous a insulté. Allez ! Partez !

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19

Très bel effet de style. Bravo !

B. Poirot-Delpech