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Je caresse mes phalanges meurtries, regarde l’étal de boucher qu’est devenu le physique du gros lard.

— Y a un bureau de poste dans ce joyeux pays ? je demande.

— A deux pas. Vous voyez le panneau « Post Office », à droite ?

— Attends-moi là. Quand il reprendra ses esprits, dis à ce goret plein de merde que je vais revenir !

Du bol dans mon malheur !

En quatre-vingts secondes, chrono en main, j’obtiens l’ambassadeur de France à Vagin-se-tond (Béru dixit). Lui déballe mon numéro de code, prétends être sur une formidable affaire aux ramifications internationales, tout ça… Je raconte le comportement odieux du shérif, suivi de ma réaction cocardière, certes, mais légitime.

Quelqu’un de bien, l’Excellence. Elle me connaît de répute, sait mes façons « directes » (surtout du droit).

— Ce genre d’incident est fâcheux, me dit-il. Ces shérifs arriérés sont des tyranneaux de bourgades et règnent sans partage ; mais je vais intervenir immédiatement en haut lieu.

Le grand mot composé est lâché : haut lieu !

Il s’en passe des choses, dans ce mystérieux endroit.

Un peu rasséréné, je retourne vers ma victime qui est déjà en position assise (toujours à l’emplacement du banc envolé). Son regard pendant encore sur ses paupières du bas, mais il est en train de récupérer. Dur dur de se laisser mettre k.-o. après sa cuite de la nuit.

La foule muette attend, espérant fort que ça va chier des bulles carrées et sachant que cet espoir ne sera pas déçu.

Moi, à toutes fins utiles, de la haranguer.

— Chers habitants de Morbac City, lui fais-je, accompagné de ce délicieux petit Roy, je suis venu faire mon devoir en prévenant votre shérif que le ranch du cow-boy suisse avait brûlé, probablement à la suite d’un acte criminel, et que le vieux devait se trouver dans les décombres. Au lieu de prendre ma déclaration en compte, ce gros sac, incapable, soit dit en passant, de surveiller et de garder le banc le plus prestigieux du monde, m’a traité d’enculé, vous l’avez tous entendu ; ce qui m’a conduit à faire ce que vous rêvez tous de faire, hélas sans l’oser. Cette baudruche qu’un simple coup de poing déguise en vache crevée est-il digne de représenter la loi dans votre magnifique cité ? Moi, je ne le pense pas ! Je viens de téléphoner en haut lieu car j’ai le bras long. Je compte sur votre probité américaine, que toute la France admire, pour répéter ce qui s’est passé à ceux qui vont venir régler cette histoire. Alors vous aurez l’occasion rêvée de démettre ce shérif à la gomme qui n’est bon qu’à infliger des tracasseries à ses administrés.

Ma diatribe galvanise. On me réacclame.

Garson qui est conscient, à présent, en prend plein son mouchoir.

Fou furax, il dégaine son pétard, un Colt gros comme un canon à longue portée ; mais, avant qu’il l’assure dans sa pogne velue, je shoote dedans et l’arme part à dache.

— Calmos, vieille viande, lui dis-je. Si tu veux régler ça en homme, bats-toi à poings nus, ne serait-ce que pour montrer aux habitants d’ici que t’es mieux qu’un baril plein de graisse rance !

Je me mets en garde.

Le voilà au pied du mur, l’emplâtre.

— Larry ! il hèle, Larry, sacré bordel !

Je suppute qu’il s’agit de son adjoint, mais ce dernier s’est empressé d’aller vaquer ailleurs.

— Alors ? lancé-je au monstre du salt lake, on se bat ou vous vous défilez, grosse loche ? Il ignore ce qu’est une loche.

— Au nom de la loi, bredouille-t-il.

— Au nom de la loi, va te faire poser des points de suture, connard, je l’interromps. Si on a besoin de moi, je loge chez le révérend Marty. Tchao, la Gonfle, grosses bises à ta dame. J’espère qu’elle trouve de la main-d’œuvre de sommier pour t’oublier un peu !

* * *

Les hommes, faut reconnaître, penchent toujours vers l’optimisme. Quand ils s’en ramassent un grand coup dans la gueule, ils restent un moment prostrés mais, très vite, trouvent des raisons d’exulter.

Ça me rappelle une nuit à Rome. L’Italie disputait la finale d’une coupe du Monde (ou d’Europe, ma mémoire patine). Tout était prêt pour la victoire : feux d’artifice, musiques, défilés de chars (romains).

Et poum ! La cata ! Les Ritals se font niquer. Alors le désespoir tombe sur la ville. Rues désertes, silence de mort. Cela dure environ vingt minutes, et tout à coup, c’est le déferlement ! Les trompettes, les drapeaux aux portières des bagnoles klaxonnantes, la foule gesticulante, hurlante sur le thème de « On est deuxièmes ! On est deuxièmes ! » Quand la liesse est prête, il faut la consommer, tout comme le vin tiré, car elle ne se conserve pas.

Eh bien, ce qui se passe à Morbac City, à propos de vin tiré, est du même tonneau. A la consternation causée par le vol du banc succède un retour à l’euphorie. Non ! On ne décrochera pas les lampions, ne démontera pas les tréteaux, n’arrêtera point de se pinter à mort.

Le banc a disparu ? Et alors ? Il n’était qu’un symbole. La municipalité le remplacera par une stèle, voire un obélisque de marbre érigé à son emplacement. Et on continuera de vénérer la mort follement romantique de Suzy et Max, les « suicidés du bonheur », comme l’a écrit le journaliste local qui a rédigé un texte à leur propos pour le syndicat d’initiative.

Si bien qu’aux premières lampes, tout se remet en branle, avec peut-être davantage de passion que les autres jours.

Ivy dessoûle son époux : café ammoniaqué, douche froide. Le révérend récite quelques oraisons et repart, toujours poussé vers de nouveaux breuvages. César Pinaud, homme de foi, l’accompagne. Ils sont faits pour s’entendre. Y a que nos éclopés de la membrane qui s’attardent at home pour soigner leurs blessures mal placées.

Je les approvisionne en boissons fermentées et leur conseille de tromper le temps de la convalo en ripaillant sans tapage.

Ensuite de quoi, tu l’auras deviné, Ivy me reçoit dans sa chambre matrimoniale afin d’y perpétrer une nouvelle phase de son adultère. Elle m’informe que je deviens sa drogue et assure, les larmes aux cils (notre perle qui êtes aux yeux), qu’elle n’envisage plus l’existence sans moi, ce qui suppose une alternative : soit que je m’établisse dans ce pays à la con, sait qu’elle largue le révérend et m’accompagne dans le mien où le con pullule également mais où le climat est plus tempéré. N’étant enclin à aucune de ces deux solutions, je la besogne en silence ; mais bien !

Ses exaltations l’ayant amenée à la posture de prise en levrette, je la pratique dans cette figure animale, laquelle requiert beaucoup d’assurance quant à la qualité de son érection. L’homme qui s’amène avec un sexe évasif se prépare à de tragiques déboires car il est rare qu’une bite partant pour une telle croisade se raffermisse en cours d’épanchement ; ce serait plutôt le contraire. Il faut faire montre d’impétuosité et d’autorité pour mener à bien sa besogne en pareille conjoncture. La jeunesse y excelle, tandis que les hommes en fin de parcours, malgré leur belle science, regardent à deux fois avant de s’y risquer.

Bien que n’appartenant pas aux fougueux triqueurs des débuts, je tiens parfaitement ma place dans cette joute, car la chagatte d’Ivry est bien située dans sa mappemonde et son accès ne présente pas de ces difficultés majeures qui obligent le mâle à des contorsions anormales. Or, donc je la satisfais de mon mieux (un mieux qui est supérieur aux « top-niveaux » de beaucoup) et l’orgasme qui en résulte lui vaudrait illico un contrat de Harold J.B. Chesterton-Levy, le maître de la Gloria Hollywood Pictures.

Quand Mme Marty a connu l’extase qu’elle espérait, elle s’abat au travers du lit, les jambes en « V », dans cette posture familière aux femmes les plus prudes quand elles ont bien pris leur panard.