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Ne tarde pas à s’assoupir du sommeil d’amour, le plus merveilleux qui soit. Elle dort, la tête sur mon ventre dont elle mordille les poils un moment avant de disjoncter pour de bon. Le fracas de la fête environnante ne m’incommode plus : je l’ai assimilé.

Je regarde, sur le plafond blanc de la chambre, le kaléidoscope des lumières et des ombres de la rue. Encore trois jours de ce commerce ! Ça va être gai.

Je pense au vieux cow-boy suisse, à ses deux macchabées qu’il enterrait, à sa vieille Jeep pourrie depuis laquelle il m’adressait « un doigt d’honneur ». Drôle de bonhomme ! Que manigançait-il avec Martine Fouzitout, ce ouin-ouin exilé ? Quel secret ou quel crime les liait ? Et qui sont ces gens acharnés qui recherchent tous ceux ayant approché la petite Française ? Ou du moins qui ont « fait des trucs » avec elle ? Pourquoi attaquent-ils impitoyablement son notaire, son ami curé, son copain suisse, moi ? Et qui encore à venir ?

Tu sais que c’est excitant, dans un sens ?

Dans un autre aussi.

En cette période vaporeuse du post-amour, le temps passe comme coulent les rivières. Longue somnolence, puis rebaisage languissant, sur le côté. Madame lève une jambe vers le Parthénon, tandis que je lui légifère le frifri. Pendant que je promène mon archet à tête ronde sur son violon à moustaches, voilà qu’on tambourine contre la porte.

A la violence des coups, je reconnais le doigté de Bérurier.

Et sais-tu ce qu’il me crie, soudain, le Mondain ? Cornac, d’une voix de « centaure », comme il dit :

— Grouille-toi de déculer, mec ! C’urge !

Je vais ouvrir la plume au ventre.

— Le pasteur s’est réveillé ? m’inquiété-je.

— Pas z’encore, mais quand il sortira des bras de l’orfèvre, ça va z’être joyce pour c’ con volant !

— Metz-Angkor ?

— Sape-toi et va mater dehors !

Quand il reste mystérieux, le gros fougueux, c’est que la situation est d’importance.

Je me loque, sors, enjambe une flaque de dégueulis nauséabond dont j’ignore le ci-devant propriétaire, et gagne la sortie, suivi du Gros qui ressemble à un gros chat taillé.

La street est encore à peu près déserte, mais mon attention est attirée par des affichettes fraîches collées sur les façades des maisons, à commencer par notre porte. Elle comporte une photo couleur accompagnée d’un texte en caractères gras dont la xénophobie est indiscutable. La photo me représente, en train d’enfiler la chère Ivy en levrette. Cliché pris entre les lattes du store, ce qui ajoute un côté feutré à la capiteuse image. On a écrit dessous : « Quand notre pasteur loue ses chambres à des étrangers. »

Travail rapide, précis, et qui a dû mobiliser l’imprimerie du journal local.

Pas si con que cela, le shérif. Il a la vengeance féroce, ce gros sac !

Les premiers habitants qui se hasardent dehors, commencent à s’agglutiner devant l’image dont la ville est inondée. Les palabres commencent.

Un coup de klaxon me fait sursaillir. C’est la dépanneuse de « Petit Gibus » qui vient se ranger tant mal que bien devant le presbytère.

Le môme qu’on ne peut pratiquement pas apercevoir quand il est au volant saute de son carrosse carabosse.

— Vos valises sont prêtes, Martien ? il me demande de sa voix flûtée.

— Mais il n’a jamais été question de mon départ !

— S’il en est pas question « à présent », fait-il en montrant l’affichette, c’est que vous avez le cerveau voilé, Martien ! Dès que les hommes d’ici se remettront à picoler, leur esprit va s’échauffer, et avant minuit, vous serez pendu par les couilles à un arbre du square, tandis que la mère Marty devra défiler à poil dans la rue, avec le mot « pute » écrit par-devant et par-derrière. Filez la chercher, ainsi que vos potes et vos bagages, faut qu’avant la nuit vous soyez loin d’ici.

En sous-impression sonore, je crois percevoir la voix du lutin privé qui me sert parfois d’ange gardien quand, dans ma vie, il pleut des chieries. Et ce précieux ami me chuchote :

— C’est le Seigneur qui vous envoie ce garnement. Faites ce qu’il vous dit !

Ma décision est prise sur l’heure.

* * *

Elle a fait une crise de nerfs, l’Yvy livide en mordant l’affichette. Sa vie qui basculait, faut la comprendre ! Et devant une telle photo, elle ne pouvait pas prétendre à un viol. Ça se voyait sur l’image qu’elle se payait une royauté culière de première grandeur ! Son expression pâmée, ses yeux chavirés, sa langue à demi sortie, tout révélait le grand fade bien sublime, l’emplâtrée géante : délices et grandes orgues ! Elle rayonnait du fion, la mère. Des centaines d’habitantes de Morbac City allaient se triturer la moulasse devant une telle photo, l’envier à la mort, cette gente dame si bien dardée.

Elle a commencé par crier de détresse, puis par pleurer, ensuite par me traiter de suborneur, me reprochant de me laisser flasher en cet attelage. Mais qu’y pouvais-je ? Un objectif sournois, embusqué derrière un store qu’on croit hermétique, échappe à toutes les précautions. Je lui ai fait valoir que si elle restait auprès de son vieux, ça risquait de mal tourner pour son frais minois et son beau cul si comestible. Elle devait s’enfuir.

Elle a été transfigurée, Vyvy !

— Avec vous, j’irai au bout du monde, a-t-elle déclaré en nouant ses bras à mon cou.

Entre nous, je ne lui en demandais pas tant !

* * *

On est montés le plus discrètement possible dans la dépanneuse, sitôt le retour du pasteur et de Pinuche. La mère Marty a passé des fringues de son singe pour moins attirer l’attention. Elle se tenait tassée sur la banquette avant, entre Roy et moi, son feutre noir rabattu sur la vitrine.

Avant de partir, elle s’est penchée sur le révérend qui riait aux anges au fond de sa soûlerie.

— Adieu, pauvre abruti ! lui a-t-elle chuchoté, en épouse aimante qui a à cœur de prendre congé.

C’est le Marquis qui avait gerbé dans le couloir, et il a remis ça sur le trottoir. On l’a embarqué comme un paquet de linge sale. Félix qui me paraissait atteindre les banlieues du gâtisme geignait sur sa bite mordue.

Une vraie déroute. Seul, l’imperturbable Pinaud rallumait sa clope en conservant son sourire de vitrail.

Le gars Roy a opéré une embardée à la sortie du village, because un chat noir traversait la rue. Il a alors fait demi-tour pour corriger le sort, sa maman d’origine mexicaine lui ayant inoculé le virus de la superstition. Il a décrit un arc de cercle pour contourner la ville, puis est allé chercher la route, en deçà du ranch du cow-boy suisse, prenant ainsi notre chemin de la noye au vieux et à moi.

J’ai su, par la suite, que ce putain de chat noir m’avait peut-être sauvé la vie car, bien avant qu’il fit noir, l’enfoiré de shérif avait harangué les habitants et mis sur pied une expédition de représailles pour tenter de m’intercepter à l’aéroport d’Hysterical Gold par lequel nous étions arrivés.

* * *

On se met à côtoyer les montagnes et je reconnais, au passage, la vallée où je suis allé semer la voiture des tueurs tués.

— C’est loin, la prochaine agglomération ? m’enquiers-je auprès du valeureux conducteur.

— Je ne sais pas.

— Tu as de l’essence ?

— Ma jauge est détraquée, on verra.

Au lieu de m’alarmer, son insouciance juvénile me gaillarde.

La chance sourit toujours aux optimistes.

On roule d’une allure endiablée, enregistrant des écarts de direction, mordant « les » talus, écrasant quelque bête rôdeuse : coyote ou chat sauvage.