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— Acré, les mecs ! lancé-je à mes potes en tas.

C’est éloquent pour le Mastard et Pinuche qui se dressent et, en parfaits poulardins rompus aux traditions policières, vont se placer chacun d’un côté du local.

Pour ma part, je choisis de me planquer à côté de la lourde. Le type est déjà là. Sa poche gonflée ? Tu penses ! Il y a un silencieux long comme le pot d’échappement d’un camion au bout du soufflant. Il entre, l’arme à son côté, en véritable pro.

— Hello ! il nous lance d’un ton pas tubulaire (Béru dixit).

Je profite de ce qu’il ne m’a pas encore aperçu pour décocher un coup de tatane entre ses jambes qu’il tient écartées. Mais quand t’es fané du haut, le bas perd de son efficacité ; il y a une solidarité dans le corps humain qui rend tes membres presque indissociables. Au lieu de lui télescoper les précieuses, la pointe de ma godasse lui meurtrit seulement le michier, or, le charnu encaisse mieux les chocs que les rognons.

Il volte et tire. La secousse me projette contre le mur. Touché ! Je souffre comme un cinglé. J’attends une seconde bastos, mais voilà le type chauve qui émet un hurlement démentiel.

Tu as déjà entendu des hurlements démentiaux, toi ? Non ? Ben je te prie de croire que ça fait de l’effet. Le gusman est là, hagard, livide, échevelé (non, pas échevelé puisqu’il est chauve, mais s’il avait des crins, crois bien qu’il le serait).

On le mate, indécis.

Tu veux savoir, bien sûr ? Alors laisse-moi te dire qu’il a une fléchette enfoncée dans l’œil droit, et ça, franchement, ça fait un drôle d’effet au gars d’abord, à ceux qui le voient ensuite. Surréaliste, comme scène. Film d’épouvante, genre « Le Monstre chie dans la vase ». Tu sais quoi ? Petit Gibus qui a lancé la fléchette. Il en tient une seconde dans sa petite pogne, prêt à crever le second lampion du mec. C’est seulement en apercevant l’objet à l’empenne rouge et verte que ce dernier réalise ce qu’il vient de bicher dans la lanterne et qu’il ne peut plus chausser ses lunettes. D’un geste fantomatique, il arrache le trait (d’esprit puisqu’il l’a dans la tête !). Du sang coule sur son visage lividien.

— Lâchez ce putain de pistolet ou je vous rends aveugle ! C’est moi le champion des fléchettes à l’école ! crie Petit Gibus.

L’autre, le sagouin, au lieu d’obéir à l’injonction défouraille sur mon petit Rantanplan, qu’heureusement le coup que je lui mets au coude est mieux réussi que celui que je destinais à ses couilles. La balle va fracasser une boutanche du bar. Cette fois, Béru intervient.

Avec lui, c’est vite fait. Il saisit le bras du méchant, soulève son propre genou et, d’un coup sec, lui fait craquer le coude. Ayant hérité l’arme, il passe dans la partie agency.

— Entrez donc, chère mahame, fait-il à la compagne du borgne ; et toi aussi, Œil-de-Vrai-Con. T’es tell’ment glandu qu’tu s’rais chiche d’alerter la volaille du coin !

Les interpellés ne comprennent pas la langue de Tapie, mais il est des gestes dont l’éloquence prime le verbe. Alors ils nous rejoignent.

C’est l’heure où le Marquis lance son chant du coq. Ça crée une diversion.

La femme bieurle en découvrant que son ami a un carreau en mayonnaise.

— Ne vous affolez pas, lui dis-je, on fait des prothèses fabuleuses dans ce domaine ; on va lui mettre un œil de verre qui aura l’air plus intelligent que l’autre.

Et j’ordonne à Pinaud de fouiller nos visiteurs du soir.

Sage mesure : la gonzesse avait un pétard dans la poche arrière de son falzoche, et son mec une espèce de dague plaquée contre son mollet.

— C’est le Seigneur qui vous envoie, assuré-je ; nous allons enfin pouvoir assainir la situation. Félix, soyez gentil : servez un verre de whisky à ce pauvre homme.

Avant de s’exécuter, le prof vient m’examiner.

— Vous n’avez pas été touché ? s’étonne-t-il.

— Si, mais la balle de ce brave homme a ricoché sur l’armature métallique assurant le maintien de mon bras à l’équerre.

— Vous êtes indestructible, Antoine.

— Il le faut bien, cher Félix, quand on assure la continuité d’une série policière. Qui d’autre, dans ce monde littéraire si chichois, serait susceptible d’écrire des santantonios, hormis moi ?

L’alcool redonne un semblant de couleurs au calvitié.

— Il me faut l’hôpital, dit-il.

— Ça pourra se faire quand vous aurez répondu à mes questions.

Toujours la même antienne, que veux-tu. Notre job ? Des gens à questionner et qu’il faut souvent houspiller (sans bavures) pour les amener aux confidences. C’est ça, flic ! Arracher des renseignements à des êtres nuisibles la plupart du temps. Et tu ne peux pas passer outre.

Je n’ai pas terminé ma phrase qu’il laisse tomber son verre et qu’il part en avant, d’une masse. Sa tête (dont ce n’est pas le jour, si je puis dire) percute l’appareil à sous qui se met à dégueuler des jetons, comme dans un film comique.

Le mec demeure inanimé kif un objet qui a peut-être une âme. Est-ce du chiqué ? Pour couper à l’interrogatoire ? Ou bien vient-il de nous faire une hémorragie cérébrale consécutive à la fléchette ?

Je le retourne, palpe son cou. La carotide ne raconte plus rien. Même silence de la poitrine. Alors là, notre position cacate pour tout de bon et ce n’est pas mon ambassadeur qui pourra nous ouvrir un pébroque suffisamment large. M’est avis que le fameux directeur de la police parisienne va aller faire de la reliure ou du rempaillage de chaises dans les geôles de l’Utah !

Je me redresse et cherche la grosse femme des yeux. Mais elle s’est éclipsée discrétos, la garce. Je passe dans le bureau, dont la porte donnant sur l’extérieur bée. Plus de Cadillac couleur vanille !

Là, j’ai les meules en serre-livres ! On l’a dans le Laos, comme dirait le prince Souphanouvong. Un meurtre vient de se perpétrer, on pourra toujours plaider la légitime défense.

Je suis accoudé à la banque de la réception (avec mon coude valide) et je réfléchis. Une sorte de prière muette sort de moi. L’imploration va à Félicie qui me sert fréquemment d’interprète quand je négocie avec le Seigneur : « M’man, arrange-moi ces bidons de merde ! Envoie-moi une idée, je t’en conjure. On ne va pas se laisser poirer comme des malpropres ! »

La porte s’ouvre sur l’Indienne qui vient de défoutrer un représentant en machines agricoles (Mortimer Johnson, de Denver, marié, trois enfants, une vieille maman à charge).

Elle me sourit malicieusement car je lui plais. Je ne te dis pas ça par vantardise mais parce que c’est la vérité. Elle mouille du regard en me visionnant, ce sont des choses qui arrivent, moi quand je regarde une photo de Mme Weill, c’est pareil.

— Ça n’a pas l’air d’aller, remarque-t-elle devant ma mine gravissime.

— Jetez un œil là à côté, ma princesse inca, conseillé-je.

Elle.

Puis, revenant à moi :

— Qu’est-il arrivé à cet homme ?

A quoi bon finasser ? Je lui raconte. Tout.

Elle me dit :

— Roy va être enfermé dans un pénitencier pour mineurs.

Je suis sensible à la peine que cela paraît lui causer.

— Partez tous ! décide-t-elle.

— Et le cadavre ?

— Emmenez-le et débarrassez-vous-en quelque part, les coyotes seront tout contents.

— Mais votre père sait la vérité !

Elle hausse les épaules.

— Je vais lui faire boire une bouteille de rye, il la cuvera et, au réveil, je vous fous mon billet qu’il aura tout oublié. Il est toujours ivre, c’est à peine si, certains jours, il se rappelle encore son nom !

Pour la remercier, je lui roule une pelle à lui en bouffer les amygdales.