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Il l’extrait de sa poche et la dépose sur une table basse où elle devient objet insolite, donc artistique.

— Que t’est-il arrivé ? grondé-je.

— Les pompelards, grand ; les pompelards plein cadre, d’mande à monseigneur l’Marquis. Juste qu’on s’engageait su’ l’av’nue, v’là ces grands cons qui débouchent et nous bigornent, à nous envoilier dinguer cont’ un arb’. T’sais qu’y s’sont même pas arrêtés ? C’est des fauves, dans c’pays, les gens.

— Et le… le copain ?

— Ah ! lui, y n’pouvait rien y arriver d’plus grave. La merde, c’est qu’avait plus d’couverc’ au coffre et qu’m’sieur s’trouvait à l’air lib’. Dans un sens, ça nous a aidés biscotte on n’pouvait pas s’permett’ de traîner en ville cornac. Alors que fais-je-t-il ? J’voye l’usine à côté av’c juste une barrière rouge et personne dans la guitoune du gazier chargé de la lever. Moi, sans baragouiner, je l’embugne, au point où on en était ! On arrive vers un entrepôt de l’usine. Deux trois mecs allaient fermer. Y a un qui r’connaît la tire de Mémère, car l’usine y appartient. Un physionomiste, ce mec, dans l’état qu’est la brouette maint’nant. J’y fais signe qu’on vient placarder l’bolide dans l’entr’pot ; lui il s’en torchait le recteur. Les mecs s’en va. J’rent’ et tu sais c’dont on s’aperçoive ? Une fabrique d’charcutrerie en gros, un peu comme Olida, voilà c’que c’était, l’usine. Du coup j’pars à fureter avec l’marquis d’Moncul. Et c’est lui qu’a trouvé la soluce pour not’ macchab’. On l’a dessapé et balancé dans la broilieuse qui fait la chair à saucisses : un engin plus mahousse qu’c’te pièce ! En vingt s’condes, c’tordu était bon à tartiner su’ du pain d’mie.

Telle est l’oraison funèbre de l’inconnu chauve à l’œil crevé.

— Ses fringues ? questionné-je.

— Y a un incinarrateur dans l’usine.

Il attend que la belle Molly se rende à l’office pour décider du repas du soir avant de vider ses poches.

— Tiens, j’y ai taxé son larfouillet, son stylo, sa montre et sa plaque du F.B.I.

Le coup passa si près que la totalité de mon adrénaline sortit en force de mes capsules surrénales. J’éprouvai quelque chose qui ressemblait tellement à un spasme coronarien que ce dut en être un.

Ployé en deux, je pris mon cœur comme d’ordinaire je prends mon courage, c’est-à-dire « à deux mains ».

Pendant un laps de temps que je ne pus estimer car il variait entre une fraction de seconde et un siècle, je crus sérieusement que j’allais mourir.

— Antoine ! s’écria le professeur Félix, alarmé.

— Sana ! fit Pinaud à l’armée !

Mon malaise se dissipa. Je pris la bouteille de vodka ayant participé à mon bloody-mary et m’offris une rasade qui abaissa de cinq centimètres le niveau du flacon, mais remonta de dix mon moral.

— Sa plaque du F.B.I., murmuré-je, comme un paysan dit l’endroit où il a planqué le magot avant de clamser.

Ma voix était pâle, inaudible.

— On a fait disparaître un gars du F.B.I. ! repris-je pour donner un gros serti noir à la funeste réalité.

— Et alors ? objecta le Gros. Qu’y soive flic du F.B.I. ou berger landais, où est la différence ?

— Le tout-puissant F.B.I. ne se mobilisera jamais pour retrouver le meurtrier d’un berger landais, grand con ! On est fichus, archifoutus ! Laisse-les nous retrouver et ce sera l’équarrissage géant ! La femme qui accompagnait ce type a déjà filé notre signalement et tout raconté par le menu.

Béru hoche le chef :

— Si elle aura tout bonni, mec, ell’ a dit que c’est c’morpion qu’a fléché son pote. Nous, on ne l’a pas scrafé. Et on était en état d’éligible défense puisqu’y v’nait d’t’ défourailler cont’.

Je considère avec effroi le petit Roy lové sur un canapé et qui dort comme un ange.

Que faire pour nous tirer de là, tous ?

Logiquement, un auteur moyen clorait son chapitre sur ce point d’interrogation, histoire de filouter son lecteur. Lui donner un p’tit canapé au suspense pour tromper sa faim. Mais Sana, lui, n’a pas à user de ce genre d’artifice. Il déploie toute sa voilure et fonce.

Si les gens du F.B.I. se sont lancés dans cette affaire Fouzitout, en ne négligeant aucune de ses ramifications, c’est parce qu’elle est très grave. Dans cette honorable maison, on n’efface pas les gens à tout berzingue comme cela vient de se produire. Une petite fantaisie de temps à autre, quand vraiment ça merde trop, je ne dis pas ; mais ce genre d’hécatombe systématique n’a pas cours chez eux. Conclusion, je dois coûte que coûte percer le secret de la mère Martine pour pouvoir disposer d’une mornifle d’échange !

J’examine les fafs de l’agent déguisé en pâté. Je lis Witley Stiburne. Importateur. Né à Portland (Oregon) le 18 mars 1945. Domicilié 1111 Connection Boulevard à Los Angeles.

Sa plaque du F.B.I. porte le numéro 6018. Son permis de conduire a été délivré à Portland. Il dispose d’une carte de crédit de l’American Express. Son portefeuille recèle en outre : la photo d’une très vieille dame à cheveux blancs (sa mère ?), une carte d’abonnement à un fitness de Los Angeles et un millier de dollars.

J’apprends tous ces renseignements par cœur et, lorsque je suis bien certain de les avoir mémorisés, je brûle le tout (dollars compris) dans la cheminée, momentanément, éteinte, de Mrs. Molly.

Cela fait, je mobilise de nouveau mon cerveau exceptionnel afin de bâtir un schéma de nos activités très prochaines.

Ça vient gentiment, comme se précise le motif d’une tapisserie entre les mains d’une brodeuse.

Naguère, je me trouvais dans un T.G.V. S’y trouvait, assise en face de moi, une dame agréable, entre deux âges peut-être, mais toujours comestible et qui brodait. On ne voit plus de brodeuses dans les transports publics. Le spectacle m’a ému, et vaguement peiné, sachant qu’on ne peut broder et se montrer bonne baiseuse. Pour vérifier, j’ai tenté de lui faire du pied. La salope a changé de place. Si tu ne veux pas être cocu, épouse une brodeuse et va te faire pomper le nœud chez des pros.

* * *

A l’aube aux doigts d’or, Molly entre sans frapper dans ma chambre.

En la reconnaissant, je fais la grimace car je préférerais, à cette heure-là, bouffer des croissants chauds plutôt que le frigounet de la dame, quand bien même il est chaud aussi !

Mais ce n’est pas la bagatelle qui l’amène.

Elle est crispée, ce qui est malcommode pour une obèse. Me demande, la voix châtrée :

— Le Martien, c’est vous ?

— Enfin, c’est du moins ainsi que m’a surnommé le petit Roy.

Alors, sans ajouter un mot, elle m’en tend un, écrit au crayon feutre sur une serviette de baptiste brodée.

Je lis, en te passant les fautes, car, comme elles sont en anglais, elles ne t’amuseraient pas :

Martien,

On est trop nombreux pour qu’on va pouvoir s’en tirer ; je préfère filer tout seul. Comme j’ai pas de fric, j’ai tapé dans la boîte à bijoux de la Grosse (mais j’en ai laissé). Essaie de la calmer, t’as le secret pour causer aux femmes. Je te souhaite un bon retour en France, et aussi aux connards que tu traînes avec toi. On se sera bien marrés, non ? Quand je serai devenu riche, j’irai te voir à Paris.

Ton ami Roy.

La grosse fulmine :

— Vous parlez d’un petit voyou ! C’est de la graine de potence, ce gosse. Je vais immédiatement prévenir la police.