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Je l’empare par une bretelle de sa combinaison.

— Voyons, baby, lui dis-je, pourquoi montez-vous sur vos grands chevaux ? Ça baigne pour vous : vous avez une situation élevée et la greffe de votre tête de veau n’a pas l’air d’entraîner le moindre phénomène de rejet.

Les faux durs, suffit de leur déballer des drôleries pour qu’ils perdent aussitôt pied. Pour le finir, je lui sors ma carte de poulet. Ecrite en français, certes, mais comme je me tue à te le répéter : le mot « police » est international.

— Tentative de chantage, fais-je, sur la personne d’un haut fonctionnaire, c’est punissable de prison, ça, p’tit blond ; j’espère que vous le savez ?

Comme il ne répond pas, je tire un coup sec sur sa bretelle et elle me reste dans la main. Ensuite, j’empoigne la seconde.

— Allez, dites-moi que vous le savez, sinon votre combinaison va se déguiser en socquettes.

Il fait « Yes ».

— O.K., approuvé-je, faites gaffe de ne pas noyer vos poissons rouges quand vous changerez leur eau !

Sans plus attendre, je reprends ma place au volant. Angela se tient les côtes.

— Vous êtes étourdissant, chéri, me déclare-t-elle ; ça vous dirait de m’épouser ?

— Je préfère être amoureux de vous, réponds-je. Alors, votre mission ?

Elle me rapporte que Witley Stiburne habite un loft au dernier étage d’un immeuble déjà ancien, lequel ne comporte pas de gardien. Elle est carrément allée sonner chez mon agent du F.B.I. Deux hommes lui ont ouvert. Se payant de culot, elle a prétendu appartenir aux services de l’habitat de la mairie, une enquête étant en cours pour classer l’immeuble ; elle établissait un descriptif de ce dernier, pouvait-elle visiter l’appartement ?

Les types lui répondirent qu’en l’absence du locataire, ils n’avaient pas qualité pour accorder une telle autorisation. L’un d’eux lui demanda si elle avait une lettre accréditant sa démarche. Elle rétorqua que c’était une enquête des plus banales et que la mairie n’avait pas jugé nécessaire de la munir d’un tel document, et elle avait pris congé avec désinvolture en annonçant qu’elle repasserait.

— Vous pouvez me décrire ces deux hommes, mon cœur ?

Elle me dresse un tableau scrupuleux des amis ( ?) du mort que j’assimile avec cette puissance mnémonique qui me permet de me rappeler le plus infime grain de beauté à la cuisse d’une fille que j’ai sautée il y a douze ans dans un compartiment de chemin de fer obscur.

— Vous avez pu couler un œil dans ce loft, depuis la porte ?

— Facilement, car on y pénètre de plain-pied. C’est, comme la plupart des lofts, une immense pièce sur deux niveaux, éclairée par une verrière. Une loggia sert de chambre à coucher. Dans la pièce elle-même il y a un désordre effroyable : tout est sens dessus dessous.

— Vous ne pensez pas que les deux visiteurs étaient en train de fouiller quand vous avez sonné ?

— Possible.

Le monte-charge du parking, un appareil poussif, nous apporte au niveau de la chaussée. Qu’à peine nous y sommes-t-on engagés qu’Angela pousse une exclamation :

— Regardez ! Ils traversent la rue.

Pas besoin de lui demander d’explications, j’ai tout de suite compris qu’il s’agit des deux gars qui se trouvaient chez Stiburne. Comme le hasard ne rechigne jamais, il va au bout de son propos en conduisant ces messieurs droit au parking que nous venons de larguer. La chose s’explique du fait qu’aux U.S.A. on ne stationne pas dans les rues et que le parking de l’albinos est le plus proche du loft qui m’intéresse.

Moi, ni une, ni douze : je sors de la voiture.

— Je prendrai un taxi pour rentrer, mon âme. Gardez l’auto.

Elle n’a pas le temps de m’interroger, je suis déjà devant l’ascenseur réservé aux « automobilistes à pied », si je puis ainsi m’exprimer.

Je chope la cage avant eux, me hisse sur le toit-parkinge et cours m’embusquer près du vaste monte-charge des véhicules, en m’appliquant à ne pas être repéré de l’albinos garde-chiourme.

Une minute quarante plus tard, les deux lurons débarquent à leur tour et se dirigent vers une Ford beige. Que je te les explique, ils sont à peu près du même âge : une quarantaine dépassée. L’un est de type mexicain, avec une chiée (au moins) de grains de mocheté sur le cou. Graines de tumeur qui ne doivent pas être reluisantes vues au microscope. Il porte des lunettes dont les verres forment miroirs. Besicles d’hypocrite, je trouve, qui dérobent le regard, c’est-à-dire ce que l’homme possède de plus révélateur. L’autre est un peu plus enveloppé, c’est le Ricain type, carré de frime, grisonnant de poils, coiffé court, du chewing-gum plein la gueule, une paupière tombante et des yeux comme le dessus d’une boîte de sardines entamée.

Il n’y a pas beaucoup de cachettes dans un monte-charge, je vais donc devoir travailler sans filet. Mais je suis très calme, très déterminé : deux conditions primordiales pour risquer une folie pouvant entraîner la mort sans intention de la recevoir.

Survenance de la Ford crème. Comment ? J’ai dit beige ? Alors là tu chipotes, grand zob ! Un bouquin écrit en deux mois, tu ne voudrais pas qu’il soit aussi impec et chiant qu’un vrai qui se vend à deux mille exemplaires (dont quinze cents sont achetés par l’auteur !) ?

L’auto s’engage. Courbé en deux, je me glisse à sa suite. Depuis son siège, le conducteur (le Mexicano) enclenche le bouton de descente par la portière dont la vitre est baissée. Pour moi, c’est le moment unique. Avec un courage qui n’est pas à la portée de toutes les bourses, je prends dans ma poche gousset l’une de ces minuscules ampoules contenant ce fameux soporifique instantané inventé par Mathias, retiens ma respiration, casse l’ampoule et n’ai que le temps de la jeter dans la tire avant que la vitre ne soit entièrement remontée.

Pour ce faire, j’ai dû me découvrir et le conducteur m’aperçoit. Je le vois porter la main à son holster. Je t’ai précisé la fulgurance de l’effet produit ? Surtout dans un petit espace clos, tu penses ! Il n’a pas le temps d’achever son geste et bascule contre son pote, lequel a déjà trouvé l’appui-tête pour se faire un oreiller. Alors je m’approche des boutons de commande et j’engage la touche « stop ». Le descend-charge s’arrête. Le plus duraille, pour ce qui me reste à faire, c’est d’agir en ménageant ma respiration. Une seule reniflée et je pars à dame avec mes victimes. Heureusement que le gaz est bouclarès avec eux. Je vais à la porte doublement coulissante de la cage et plaque mon pif contre l’interstice, après avoir ménagé un trou dans les deux bandes de caoutchouc avec mon stylo. Je respire au chalumeau l’air alourdi par les échappements de ce vertigineux conduit.

Au boulot, petit mec ! Tu vas devoir faire des efforts en te passant de renifler pendant des périodes d’une minute.

J’agis vite, sans mouvements inutiles. Ouverture du coffre ! Ensuite de la portière (Achtung !) ! Sortie du driver, coltinage du mec jusqu’à la malle où, plouf ! Kif pour le second. Fermage du couvercle. Attente, le nez presque enfoncé entre les joints de caoutchouc qui puent le moisi.

Au bout de quelques minutes, j’actionne le bouton de descente et retourne faire mon plein d’oxygène jusqu’à ce que nous soyons parvenus au raide-chaussée (selon Béru, qui emploie également « reste-chaussé », suivant son inspiration de l’instant).

Quand les portes sont ouvertes, je me mets au volant pour la manœuvre de sortie, laquelle s’effectue dans le sens opposé à celui de l’entrée. Deux gaziers en attente me filent des coups de klaxon rageurs. Je leurs réponds en sortant mon médius brandi.