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Et toi, bonne crêpe, avec la louche de pâté de campagne qui te sert de cerveau, de te demander ce qu’à présent je vais faire de mes deux prisonniers. Vrai ou faux ?

Tu te dis : « Il ne va pas avoir le toupet de les emmener chez le produc, tout de même ! ». Eh bien, non, rassure-toi ; j’ai une idée bien supérieure. Follow me !

Je commence à me repérer comme un chauffeur de bahut dans cette cité tentaculaire, tant acculée, tant enculée. Le chemin de Venice, c’est un jeu d’enfant de Marie que de le retrouver.

Tu m’as compris ?

Le coin peinard, idéal, c’est la maisonnette de M. Félix, éminent professeur en retraite, devenu correcteur de graffitis. Tout le monde l’a explorée, cette crèche, elle n’a plus de secrets à livrer ; à personne ! Donc, on peut s’y dissimuler en toute sécurité. Pendant la 14–18, les pauvres poilus se planquaient dans des trous d’obus, en vertu du fait que jamais deux obus ne tombaient à la même place. C’est un phénomène identique qui m’amène dans la gentilhommière de notre aminche.

Le soir tombe avec grâce. Je stoppe la Ford devant la maison. Manque de bol, une dame mulâtrée, fringuée dans les rouges agressifs et dont le parfum flotte sur tout le quartier, prend le crépuscule devant la maison voisine. Rocking-chair. Elle a les jambes ouvertes comme les arènes de Séville un jour de corrida et je crois apercevoir la tête noire et frisée du toro au fond du tunnel.

— Hello ! me lance-t-elle.

Je lui adresse un signe de la main.

Mais n’en suis pas compte à ce bas prix.

— Venez un peu par ici ! m’invite-t-elle sur un ton qu’on peut estimer comminatoire dans son genre.

Compte tenu de ma cargaison, il m’est difficile de me singulariser en la dédaignant. Je m’avance donc vers elle. L’ombre complice m’avait masqué les dégâts. Vacca ! Cent ans aux prunes, la mégère, et toujours pute ! Les asticots doivent déranger les ultimes clients qui la grimpent. Ravaudée à mort ! Peau maintes fois retendue, couches de plâtre successives. Ses nichemars sont moins beaux que ceux de Liz Taylor (qui est riche) mais son décolleté c’est Silicone Valley, à elle aussi. Elle s’est dessiné une bouche si grande qu’elle lui va du nez à la pointe du menton.

— Qui êtes-vous, garçon ?

— Le neveu de l’homme qui vient d’hériter cette maison.

— Le vieux dont me parlait toujours la pauvre Martine ?

Elle prononce « Mâârtiiine ».

— Vous la fréquentiez ?

— On ne peut pas appeler nos relations comme ça, mais enfin, oui, on se connaissait. Très bonne fille !

Elle me sourit avec un râtelier acheté d’occasion à une institutrice anglaise.

— Dites voir, Français, on va se payer une bonne petite partie de jambes en l’air, vous et moi. Un gars comme vous, je craque ; vous me donnerez ce que vous voudrez.

Une pareille propose, de but en blanc, me rend les couilles poreuses.

— Ça me serait impossible aujourd’hui, vu que j’ai déjà donné, et à quatre reprises, ce qui, même pour un Français constitue une honnête prestation. Par contre, ce qui me botterait, ce serait que vous me prépariez un bon café qu’on prendrait en bavardant ; je vous donnerais cinquante dollars.

Elle a un tressaillement d’aise dont je redoute qu’il lui provoque une crise cardiaque.

— Ça, c’est une foutue proposition, garçon. Après les pipes, le café c’est ma grande spécialité. Je vous demande dix minutes.

— O.K., je descends les bagages de tonton pendant ce temps.

Elle rentre dans sa masure en clopinant. Je balance un coup de périscope tout horizon. Nobody. La street est plus déserte qu’une rue de Tchernobilles après la déconne du réacteur.

Dix minutes plus tard, je me présente chez la mamie, après avoir sorti mes deux guignols et les avoir emballés dans la chambre de feue Martine Fouzitout.

— Vous avez le téléphone ? je demande à ma ravissante voisine.

— Vous rigolez, garçon ; c’est mon instrument de travail ! J’ai une liste de clients, des hommes seuls ou dont la femme est malade, auxquels je téléphone régulièrement. C’est moi qui les relance ; je leur raconte les trucs que je leur ferais s’ils venaient me voir. J’ai la voix radiogénique, si vous avez remarqué. Un sur dix s’amène après mon baratin ; les vicieux principalement, ceux qui aiment l’amour de caractère : le fouet, les chaînes, le godemiché, vous connaissez tout ça.

— Par ouï-dire, chère voisine, mon système glandulaire étant suffisamment performant pour que je puisse me passer de ces stimulants sexuels qui sont à l’amour ce qu’une bouteille d’eau de Javel est à un flacon de Château-Yquem.

Là-dessus, je vais au bigophone posé sur une pile de brochures licencieuses dont la couverture de celle du dessus représente un bel éphèbe blond, tout de cuir vêtu, en train de se faire lécher la ligne bleue des Vosges par un officier de la Police montée canadienne en uniforme de parade.

Je compose le numéro de mon « cousin » de l’ambassade de France, le gendre à Mathilde-la-Teigne.

— Des nouvelles, Lionel ? l’attaqué-je, bille en tronche.

— Elles viennent de tomber, cousin. Le matricule 6018 du F.B.I. a été tué la semaine dernière. Il ne s’appelait pas Witley Stiburne, mais Benjamin Stockfield.

Un hymne de grâce se met à musiquer dans mon âme si noble. Ainsi donc, Petit Gibus n’a pas crevé l’œil d’un agent spécial, mais celui d’un malfrat. Dieu en soit chaleureusement loué !

— Je m’appelle Cathy, m’apprend la vénérable pute en versant un café odorant dans ma tasse.

— Et moi Tony.

— Faudra quand même qu’un de ces jours vous m’asticotiez les miches, garçon, rêvasse-t-elle pendant que je souffle sur le breuvage brûlant. Ça fait au moins dix ans que je n’ai pas vidé les bourses d’un Frenchie ; ça me ferait rudement plaisir d’en ajouter un de plus à mon palmarès.

— Ça devrait se faire, promets-je témérairement en pensant le contraire de ce que j’énonce. Et si vous me causiez un peu de Martine, Cathy ? Mon oncle l’avait perdue de vue depuis mille ans et aimerait savoir un peu ce qu’elle a bricolé à Los Angeles pendant leurs années de séparation.

— Elle n’en foutait pas lourd, assure la copine de Mathusalem. Une fois par mois elle faisait un petit voyage de trois jours environ et le reste du temps, elle picolait ou s’envoyait en l’air avec des messieurs de passage ; mais je crois que c’était pour le plaisir car elle semblait ne manquer de rien. Son vice, si on peut appeler ça comme ça, c’était d’acheter des tableaux. Or les tableaux, c’est chérot, vous le savez. Elle prenait un pied terrible devant des dessins que j’aurais pas voulu pour accrocher dans les lavatories. Il lui arrivait de m’appeler pour me les montrer, tant elle avait besoin de partager son plaisir. Moi, pour lui être agréable, je lui disais que je les trouvais beaux.

Elle rit frêle.

— Quand on n’aime pas quelque chose, c’est pas une raison pour en dégoûter les autres, pas vrai ?

Je tente d’imaginer ce que fut la vie de Martine Fouzitout dans cette ville si étrangère à la France. Pourquoi cette maison de couleur criarde dans le quartier noir ? Pourquoi ces visites régulières au cow-boy suisse ? Et surtout, pourquoi soudain, après sa mort, cette horde de tueurs qui se mettent à s’intéresser aux gens qu’elle a connus, ainsi qu’à ceux (comme moi) qui se penchent sur son passé ? Peut-être que les deux loustics que je détiens de façon très arbitraire vont pouvoir me tuyauter ?

Je souris à mon hôtesse d’un instant.

« Cathy, songé-je, vous fouettez le rance, votre chair est ferme comme l’étoffe d’un drapeau mouillé, vous feriez dégueuler un rat en rut, et quand on vous contemple, on se persuade qu’une miction bien conduite est préférable à un coït avec vous. Néanmoins, vous me plaisez par votre gentille obstination galante. »