— A quoi pensez-vous ? me dit-elle.
— Cathy, lui dis-je, vous sentez toujours la femme en fleur, votre chair reste tentante, vous feriez bander Rudolf Valentino s’il revenait, et il faudrait être impuissant ou pédé pour ne pas vous sauter dessus au premier regard, néanmoins, je n’aime pas vos cachotteries.
Elle commençait, non pas à mouiller de mes louanges car à son âge on a le frifri à marée basse, mais à se pavaner du croupion ; ma dernière apostrophe la pétrifie.
— Pourquoi cette méchanceté, garçon ?
— Voyons, fais-je, j’implore de vous des détails sur la vie de ma compatriote, vous avez passé des années dans son voisinage, et tout ce que vous trouvez à m’apprendre c’est qu’elle buvait volontiers et se faisait tromboner parfois. Une fille aussi avisée que vous, à laquelle rien n’échappe !
— Mais je vous assure, Frenchie…
Je vide ma tasse et dépose un billet de cinquante dollars sur la table.
— Bon, bon, n’en parlons plus, Cathy. Je suis déçu, mais ce n’est pas grave. J’avais cru qu’on allait former un couple, vous et moi, parce que le courant passait bien…
Elle s’enroue d’égosiller[22].
— Mais vous vous méprenez, garçon ! Loin de moi l’idée de vous cacher quoi que ce soit. Si je le fais, c’est parce que je ne vois pas ce que je pourrais vous dire, Chouchou.
Sa désolation me file des remords. Mais mon lutin intérieur me persuade d’insister ; probablement parce qu’il renifle les choses mieux que moi ?
— Cathy, ma belle, concentrez-vous. Au cours de ces années passées près de Mââârtiiiiiine, il a bien dû se produire quelque incident inhabituel qui vous aura paru anormal, puis que vous aurez oublié ; entrez en vous-même, chérie, étudiez le passé !
Elle réfléchit si fort que t’entends se craqueler sa cervelle. Puis elle radieusit ; une clarté de néon sort de sa vieillesse comme la lumière d’une cave.
— Bon Dieu, bien sûr ! s’écrie-t-elle.
J’attends.
Elle déclare :
— J’oubliais ce nègre qu’elle a tué, il y a deux ans !
Je deuxrondeflante.
— Martine a tué un Noir ?
— Oh ! en état de légitime défense, je vous rassure. Le gars avait forcé sa porte pour cambrioler. Elle est entrée pendant qu’il faisait main basse sur ses putains de tableaux. Alors il s’est jeté sur elle et l’a violée. C’était un vrai fauve, elle s’est laissé faire. Quand il a eu fini, il lui a dit qu’il allait lui couper la gorge et a sorti un couteau de sa poche. Heureusement, Martine gardait toujours un pistolet sous son oreiller. Elle a réussi à le saisir, pendant que le Noir ouvrait sa lame et lui a vidé le chargeur dans le ventre. L’homme est mort pendant qu’on le transportait à l’hôpital.
— Et vous oubliiez de me raconter cette affaire, Cathy ?
Elle est penaude.
— Vous savez, Français, le temps passe, les jours apportent leur poids de nouvelles emmerdes…
Et puis, à son âge, hein ? Mais ça, par coquetterie, elle s’abstient de l’invoquer.
— Quelles suites a eues cette histoire ?
— Aucune. Je vous le redis : la légitime défense a été rapidement établie et le gars avait un casier judiciaire long comme un tapis d’église. De plus, outre le viol, la gosse avait des contusions partout.
— Je sentais que vous saviez plus de choses que le Los Angeles Chronicle, Cathy.
Je dépose un baiser chaste sur son front aux rides mastiquées et vais rejoindre mes deux apôtres, pile comme ils commencent à redonner signes de conscience.
Leurs papiers doivent être bidons, je suis un trop vieux routier pour ne pas m’en rendre compte. Quand tu examines les fafs de gens douteux, tu as une réaction typiquement flicarde ; tel un joaillier, tu reconnais le vrai du faux.
Pendant qu’ils ébrouent du cervelet, je retourne chez Cathy pour téléphoner à Malibu. J’obtiens Bruce, qui me passe Angela, à laquelle j’explique que tout va bien et qu’elle serait gentille de m’expédier Bérurier et Pinaud le plus rapidement possible à Venice. Elle m’assure qu’elle va s’en charger personnellement, mais je l’en dissuade car je ne veux pas qu’elle se fasse remarquer dans ce quartier pourri. Alors, bon, elle va mobiliser le chauffeur. J’ajoute qu’il devra repartir dès que mes larrons seront sortis de son carrosse.
L’un des mecs prétend se nommer Mortimer, l’autre Wilson, ce qui dénoterait un manque d’imagination caractérisé de leur part.
Ayant décidé de ne pas démarrer la séance sans mes assistants de choc, je prends place à leur côté dans un fauteuil et me mets à rêvasser, comme j’en ai la manie dans les cas graves, en contemplant l’intérieur de ce modeste logis qui est hors du commun de par les œuvres qui le tapissent.
Elle arrivait de Paris, la Martine, toute jeunette, mais déjà sans illuses. Y avait eu du rebecca avec son dabe que je pressens pas « blanc-bleu ». Curieuse, elle s’était fait chopiner par le monstrueux braque de M. Félix. Une téméraire que rien ne devait arrêter ! Aventurière, probablement. Quel fut son parcours avant d’échouer à Venice ? Là, se situe un hiatus dans son curriculum.
Mon instinct me chuchote qu’elle a été mêlée à du pas banal qui avoisinait l’étrange. Une chose d’envergure qu’elle a manigancée avec le cow-boy. Tu sais ce qui me frappe ? C’est que la môme Fouzitout, dans sa cage à rats de Venice, et le Suissaga dans son ranch perdu et pourri de Morbac City, obéissaient à un motif identique : la peur. Ils se cachaient ! Quelles autres raisons auraient eues ces deux Européens exilés, de vivre pendant des années dans des endroits pareils ? Oui ! Oui ! Oui ! Adopté ! C’est sûr que l’un et l’autre se planquaient. Mais ils avaient la nécessité de se rencontrer une fois le mois.
Un jour, un grain de sable s’est glissé dans l’existence de Martine. A la suite de quoi ? De ses relations avec le père Machicoule ? Parce qu’elle a abattu un violeur noir ? Pour une autre raison encore invisible ? Sa maladie, peut-être ? Curieuses relations que celles qui la liaient au cow-boy suisse. Elle allait le voir par devoir ou nécessité, Grace, la servante noire du prêtre, n’a-t-elle pas rapporté que c’était pour elle un pensum, ce voyage mensuel en terre brûlante et désertique ? Que lui portait-t-elle, ou qu’allait-elle chercher ? En tout cas il s’opérait un échange entre eux. De l’amour ? Ça m’étonnerait.
Les deux compères, entravés et muselés en travers du lit de la défunte, me coulent des regards furibonds où l’on sent la haine et l’inquiétude. Ils doivent se demander pourquoi je reste inactif après les avoir neutralisés. C’est bon pour préparer des gens aux confidences, l’indifférence passive. Que ça bouillonne sous leur chignon ! Et que leur couvercle saute au plafond !
Quarante minutes passent. Mes idées prennent des développements inattendus, puis se rembobinent comme la bande magnétique d’un enregistreur.
L’un des deux prisonniers : le Mexicano, se met à émettre des sons inarticulés pour attirer mon attention. Il espère que je vais ôter son bâillon afin de le rendre audible. Au lieu de cela, très calmement, je me penche sur lui et lui colle au bouc un petit crochet sec, de ceux qui te mettent du flou artistique dans la moulinette sans te foutre k.-o. Après quoi, je me rassieds et reprends le cours de mes déductions.
Une tire ralentit devant la maisonnette. Je me rends sur le seuil. La grosse limousine de Harold J.B. Chesterton-Levy stoppe, obstruant la ruelle. Lord Bérurier et le comte de Monte-Cristo en descendent avec dignité.
22
Une phrase pareille, tu ne peux la trouver que dans un San-Antonio.