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Cette vieille pie de Cathy les aperçoit et m’interpelle :

— Dites donc, Frenchie : vous recevez du beau monde !

Elle l’a regardé sommaire, le Gravos.

— Mes hommes d’affaires français, lui dis-je.

Les frères Lumière s’inclinent en la direction de la châtelaine et me rejoignent.

— Beau brin de fille ! note le Mastard.

— Tu peux l’avoir pour dix dollars avec un verre de gnôle en supplément pour te remettre de la partie de jambes.

Je les conduis jusqu’à la chambre, leur montre mes deux salamis et les ramène dans l’entrée.

— Les chiens sont lâchés, expliqué-je. C’est la première fois qu’on a des cartes en main. Jusque-là, on a été baladés, assaillis ; on nous a buté nos témoins. Je veux que ça cesse, je ne peux pas rester indéfiniment loin de la maison Pébroque. J’ai décidé que je rentrerai dans les vingt-quatre heures après avoir entièrement solutionné ce problème de mots croisés. Je reconstitue mon trio de choc : César, Alexandre-Benoît, Antoine. Un pour tous, tous pour un !

Grandiloquent ?

Toujours, un chef, avant l’assaut.

Qu’on le veuille ou non, le courage prend sa source dans les mots et on ne se fait jamais tuer en silence ; trompettes ou blabla, le héros a besoin de sons pour aller à la mort, comme l’âne pour porter sa charge.

Emus, mes deux chéris me pressent la main.

— Voici les rôles, poursuis-je. Toi, Pinaud, tu joues le renard ; et toi, Béru, le loup.

— Et toi ? demandent-ils avec un ensemble gênant.

— Moi ? fais-je. Moi je jouerai le perroquet. Je poserai des questions aux deux olibrius et Alexandre-Benoît fera LE NÉCESSAIRE pour qu’ils y répondent. Ils sont l’unique passerelle qui peut nous conduire à la vérité[23].

Pinaud tâte son mégot éteint pour s’assurer qu’il a encore « du corps », puis le rallume en se grillant les poils des narines.

— Ça consiste en quoi, le rôle du renard ?

— A explorer les terriers. Voyez-vous, mes chérubins, plus je m’enfonce dans mes gamberges, plus je pense que cette baraque a joué un rôle important dans l’aventure de la môme Fouzitout. La petite investigation à laquelle nous nous sommes livrés ici ne me satisfait pas, j’aimerais que tu reprennes cette perquise en faisant jouer à fond ta jugeote de vieux madré.

Et Baderne-Baderne de répondre :

— Je vais me concentrer.

Il s’assied dans un fauteuil du séjour et croise ses vieilles mains sur sa vieille bite.

17

CHAPITRE NOIRÂTRE

Un grand psychologue, Bérurier Alexandre-Benoît. Dans son genre.

Il me dit, une fois la porte fermée :

— Faut qu’j’vas les tester avant d’commencer.

Il quitte sa veste, l’installe sur un dossier de chaise, roule ses manches, rejette son bitos sur l’arrière de son crâne de bovidé et frotte doucement ses phalanges contre son pantalon.

— Voilions voir qu’j’ voye ! annonce-t-il en s’approchant du couple. Bien l’ bonjour, mes p’tits gars.

Avec une promptitude dont on ne l’estime pas capable à première vue, il lance ses deux pognes à la fois sur les braguettes des types, comme un matou papelard sur deux souris endormies. Et il serre.

Moi, assis à deux mètres, je m’efforce de m’abstraire. Néanmoins, je perçois des plaintes à travers les bâillons.

Le Gros se redresse, l’air flippeur.

— J’ent’prends çu-là, décide-t-il en montrant le Mexicano. Quand on y écrase les noix, il est plus porté qu’l’aut’ su’ l’vague à l’âme.

D’un geste doux, il arrache le bâillon du mec qui en profite pour gueuler putois dans le texte.

Le Gros place son poing à l’horizontale et, comme un postier donne un coup de tampon sur un timbre, il assène ses deux livres avec os sur la denture du gueulard. Quelques canines et autant d’incisives lâchent la rampe et se mettent à macérer dans du sang à l’intérieur de sa bouche.

— Tais-toi, et parle ! gronde Béru. Aboule tes questions, grand !

Je m’approche du lit.

Et tu vas voir mon diabolisme. Au lieu de l’interroger sur ce qui m’intéresse, je fais le grand tour, histoire de déconcerter ces messieurs, leur donner à croire des tas de choses :

— Qui a buté Benjamin Stockfield, agent du F.B.I., matricule 6018 ?

Là, il dérape de la matière grise, le petit brun. S’il s’attendait ! Voilà qu’il échafaude des hypothèses à mon sujet. Serais-je-t-il un mec affilié au F.B.I., moi aussi ?

— Je ne sais pas ! éructe le « patient » du Mastard.

— Qu’est-ce y dit ? demande ce dernier.

— Qu’il ne sait pas.

— Ben faut qu’y susse ! assure le Dodu.

Porté décidément sur les génitoires du Mexicain, il sort son vieil Opinel à manche de bois, l’ouvre, fait tourner la virole qui bloque la lame et l’enfonce dans les braies de sa victime. Son ya, c’est une partie de sa vie, à mon pote. Il passe ses loisirs à l’affûter sur une pierre, et tu trouveras pas un seul Arbi à Pigalle disposant d’un rasif mieux aiguisé que ce brave Opinel de nature pourtant rurale.

Le zig pousse un nouveau cri, car la pointe du lingue l’a piqué. Béru la retire légèrement et découpe slip et pantalon en remontant jusqu’à la ceinture. Les parties sont dégagées, offertes au sadisme de mon valeureux assistant.

— N’v’là à pied d’œuv’, déclare Alexandre-Benoît. Tu vas espliquer à c’ pas-beau qu’j’va y peler l’gland. Son paf, c’est pas Bizerte, mais il est valab’, av’c un’ bonn’ tronche. J’ pourrais lu sélectionner tout d’sute le nœud au ras des moustaches, mais j’lu donne une chance : la der. Si y s’décidera quand l’ galure du champignon s’ra parti, un’ fois cicatrisesé, y pourra encore grimper sa polka av’c la tige.

Je traduis fidèlement.

Une expression horrifiée convulse la face du mec.

— Ecoutez, vieux, lui fais-je, conciliant, vous devriez vous mettre à table ; ce gros type va faire ce qu’il dit et bien plus encore si vous vous obstinez. Attila était un bricoleur, en comparaison !

— Je ne peux rien dire, je ne sais pas de quoi vous parlez, vous entendez ? Je ne sais pas, je le jure sur ma mère !

— Qu’est-ce y cause ? demande mon robot de service.

— Il jure sur sa mère ne rien savoir.

— Oh ! que j’aime pas ça ! Une moman, ça s’respèque !

Délibéré, il saisit la chopine du gars et, avec l’indifférence d’un boucher préparant une pièce de viande, se met à entailler la tête du nœud.

L’autre brame si fort que Béru lui flanque un oreiller sur la frime avant de poursuivre.

Et voilà que le second, le Ricain, commence à s’agiter de la tronche et à émettre des inarticulations. Je pige qu’il veut communiquer, aussi le débâillonné-je.

— Laissez-le, il ne sait rien ! me dit-il.

Je stoppe Béru d’un geste.

— Si vous savez qu’il ne sait rien, c’est que vous vous savez ! objecté-je.

Il a un signe soumis.

— En effet.

— En ce cas, mon cher ami, je vous écoute.

— Le gars dont vous parlez a été démoli par un nommé Witley Stiburne.

Ouf, cette fois on paraît démarrer du bon pied.

— Chez lequel vous avez perquisitionné tout à l’heure ?

Nouveau point marqué par l’éminent, le surdoué Sanantonio. L’homme comprend qu’il n’a pas affaire à une pelure mais à un homme supérieurement informé.

— Exact.

— Vous travaillez pour quelle maison ?

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23

Ah ! la splendeur des métaphores chez San-Antonio !

Jérôme Garcin