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— Si je le disais, je serais mort.

— Vous le serez aussi si vous le dites pas ! assuré-je en désignant Béru. C’est un choix, comme toujours dans la vie. Le vôtre se résume à mourir soit « sûrement tout de suite », soit « peut-être plus tard ».

— On en est où cela ? s’inquiète le Mastard que l’inaction dévalorise.

— Statu quo, réponds-je distraitement.

— T’vas voir les estatues qu’j’vais t’fabriquer av’c ces deux zozos !

Le Mexicano saigne de son gland fendu qu’il s’efforce d’apercevoir malgré ses entraves.

— Tu croives qu’on pourra y faire un point de soudure ? demande Sa Majesté, sans compassion, mais curieuse.

Je me penche sur le Ricain :

— Appuie l’oreiller sur la gueule de l’autre ! enjoins-je.

— Vous ne voulez pas parler devant votre acolyte, chuchoté-je. Maintenant je vous pose une question à l’oreille ; si j’ai deviné, battez des paupières. Vous appartenez au Syndicat du crime, n’est-ce pas ?

Il me regarde fixement et acquiesce.

Exprime-t-il la vérité ou me mène-t-il en bateau-mouche ? Peut-être lui tends-je une perche qui fait son affaire ? Nous allons bien voir.

Je passe à son compère.

Il étouffait sous l’oreiller solidement plaqué et suffoque. Je le laisse reprendre souffle.

— Traîne son copain dans l’autre pièce, Gros, César le surveillera, et reviens.

Sans requérir un mot d’explication, Bérurier m’obéit.

A son retour, il murmure :

— T’avais peur « qu’ils se gênent » de parler l’un devant l’autre ?

Pas si con que ça, Gradube.

— On reprend, annoncé-je, fin de la récré. C’est à présent qu’on va savoir si tu finiras tes jours en pissant avec un brise-jet de caoutchouc ou avec celui que ta mère t’a donné !

Le Mastard fait miroiter la lame de couteau qui, au fil des aiguisages, a perdu la moitié de sa largeur.

— Pour le compte de qui travaillez-vous, votre camarade et vous ?

Il marque un temps, mais réalisant que son tortionnaire vient de saisir sa queue à pleines mains, il s’empresse.

— Le Syndicat, chuchote-t-il, comme s’il était moins grave de trahir à voix basse.

Donc, le gonzier à la paupière tombante n’aurait pas menti ? Je te dis qu’on va finir par y arriver !

Ça nous prend beaucoup de temps. Rien de plus délicat que d’assembler les éléments épars d’aveux arrachés sous la contrainte pour, au fur et à mesure, constituer un puzzle pas trop bancal qui finisse par exprimer une vérité plausible.

Cela ressemble un peu à la composition d’un portrait-robot. On procède par tâtonnements et même, quelquefois, par divination. On obtient un détail qui vous comble d’aise, on croit qu’il est essentiel au portrait, et puis d’autres surgissent, qui le neutralisent, et on en arrive à le mettre au rebut en découvrant qu’il ne s’intègre pas dans l’esquisse qui commence à poindre.

Alors que nous sommes en plein turbin, la mère Cathy vient sonner à la porte. La soirée qui s’avance commence à la faire tourner en béchamel. Elle a besoin de réfections urgentes, mais son miroir manque d’éloquence à la mauvaise lumière des lampes et elle ne recharge pas son immense bouche de mérou qui, délayée, s’étale sur tout le bas de son visage ; non plus que le bleu de ses paupières qui pourrait donner à penser qu’un julot irascible vient de lui mettre une toise. Elle est carnavalesque, la dame voisine.

— Je venais voir si un café vous ferait plaisir ? dit-elle.

Elle a troqué sa robe pour fandango de brasserie sévillane contre un déshabillé à fleurs, fendu jusqu’aux seins et décolleté jusqu’au pubis.

Je lui réponds que non, merci bien, on s’apprête à dormir. Mais voilà que Béru, alerté par un organe féminin, abandonne ses « clients » et se pointe, joli cœur en diable.

— Qu’est-ce y a pour son service à ce petit trognon ? roucoule l’éléphant d’Afrique en roulant des charmeuses.

— Elle venait nous proposer du caoua.

— Riche idée !

— Tu veux qu’elle voie nos potes d’à côté, Gros ?

— Non, mais j’vas faire une pause-café : je commence à fatiguer d’ m’êt’ tant tell’ment dépensesé.

Il saisit Cathy par la taille et l’embarque sans attendre mon avis.

Il n’a pas tort, mon gros Nounours : la fatigue se met à peser lourd.

D’ailleurs, le « renard » Pinaud a moulé ses recherches pour entamer une dorme de champion dans son fauteuil. Moi je retourne aux deux délabrés qui portent les stigmates d’un interrogatoire béruréen extrêmement « poussé ». A les voir, on peut les croire rescapés d’un accident de chemin de fer. Ils ont des gueules de post-déraillement. Leurs costards sont en lambeaux et il y a dans leurs regards cet abattement plein de langueur des poilus de retour de Verdun.

Nous les avons remis ensemble et ils savent qu’ils ont l’un et l’autre doublé le Syndicat.

Le Ricain, qui prétend s’appeler Steve, demande avec les deux boursouflures qui remplacent son ancienne bouche :

— Et maintenant ?

Pour lui, son siège est fait : il va prendre une bastos dans le cigare avant l’aurore. Quelle autre conclusion donnerait-il à nos brèves relations, s’il était à ma place ?

Et moi, comme lui, je me susurre dans les touffeurs de ma gamberge : « Et maintenant ? »

Ces deux bandits sont flambés, comme que comme[24].

Quand ils vont retourner au bureau, leurs employeurs verront tout de suite qu’ils sont passés à la moulinette et, dans le triste état où ils se trouvent, ne douteront pas qu’ils ont parlé. Pour en avoir le cœur net, ils les « entreprendront » à leur tour, si bien que ces deux zouaves n’ont pas une chance sur un milliard de s’en tirer.

Ce que j’éprouve à cette perspective ressemble presque à de la gêne. Ça a beau être des meurtriers, je ne suis pas fier de les avoir précipités dans une pareille fosse à merde.

— Maintenant ? répété-je à intelligible voix. Maintenant, il ne vous reste qu’une solution, les gars : vous faire foutre au trou dix ans, car le monde sera trop petit pour vous puissiez échapper à votre putain de Syndicat. En partant d’ici, braquez une banque ou une bijouterie et laissez-vous serrer par les perdreaux.

Un filet rouge dégouline de ses commissures.

— Vous croyez que la taule est une protection contre le Syndicat, vous ! Il y est aussi actif qu’ailleurs. En moins d’un mois on nous retrouverait pendus dans notre cellule, suicidés comme la bande à Baader !

Et puis on en est là de leur destin quand voilà Pinuche qui paraît, le regard encore chassieux de sommeil.

Oui, il entre, de sa démarche flottante qui donne à croire que c’est le pli de son falzar qui lui permet de se tenir debout.

Mais pourquoi tient-il ses deux mains levées au niveau de ses épaules de héron ?

Je te dis ?

Parce qu’il a le canon d’un flingue dans le dos.

Et le mec qui tient le canon du flingue est un immense gaillard, à la frime grêlée, au nez aplati par des chiées de coups de poing, ce qui lui compose la tête d’un chourineur comme on en trouvait plein les films B américains en noir et white.

Le plus beau est qu’il n’est pas seul, ce galant. Une dame l’escorte (ou alors c’est lui qui accompagne la personne du sexe). Et l’égérie n’est autre que la gonzesse qui se trouvait en compagnie de Witley Stiburne lorsqu’il est venu nous rendre visite au motel de l’Indien, à Morbac City. Tu te souviens ? La garce s’est tirée pendant l’échauffourée (lait chaud fourré). Eh bien, la revoilà, mon pote. Toujours aussi mastoc et locdue, fagotée comme une qui, autrefois, faisait payer les chaises dans les jardins publics. C’est marrant : je l’avais oubliée, cette niqueuse ; et puis tu vois, le retour écœurant…

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24

Expression helvétique signifiant quelque chose comme : « de toute façon ».