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Elle est chargée, elle aussi : un chouette calibre à crosse d’ivoire que son petit garçon a dû lui offrir pour la fête des mères.

Elle me dit :

— Avec le vieux, placez-vous côte à côte contre le mur du fond, les mains levées et appuyées contre la cloison.

Le Ricain Steve, dominant sa mélancolie naturelle, se met à claironner, d’un ton qui se voudrait joyeux :

— Hello ! Miss Bulitt ! Vous arrivez à temps, regardez ce que ces salauds nous ont fait pour essayer de nous faire parler.

Miss Bulitt, tu sais, mérite qu’on la regarde de plus près, vu que c’est un personnage hors du commun. Elle a les joues molles et blafardes, constellées de points noirs gerbants, un triple menton, des cheveux d’un roux queue de vache, frisottés sur le front, un pif épaté sur lequel végète une sorte de fraise écœurante.

J’ignore si un mec se dévoue pour lui frictionner la tubulure, en tout cas, dans l’affirmative, la prouesse relève de l’héroïsme ; mais elle a un aspect trop hommasse pour laisser supposer qu’elle a des mœurs orthodoxes. Chemise déboutonnée qui laisse admirer un soutien-tripes pas propre, le jean qu’elle portait lors de notre première entrevue si fugace et un blouson de toile verte, tout froissé, avec du faux daim aux coudes.

D’emblée, à la manière dont Steve vient de s’adresser à elle, je comprends que cette vache est une huile dans « sa branche », dotée de pouvoirs étendus.

— Et vous n’avez pas parlé ? questionne-t-elle en s’approchant de son camarade de régiment.

— Vous nous connaissez, Miss Bulitt ! se défend le gars avec une énergie qui sonne aussi vrai que le baratin d’un marchand de tableaux.

Elle sourit et, de sa main libre, extrait du blouson un appareil chromé, à tête noire gaufrée.

— Tu oublies mon petit micro directionnel à infrarouge. Ça fait presque une heure que je suis dans la rue, au volant de ma voiture, à attendre Burky.

L’autre défaille, se tait.

Le Mexicano se met à gémir :

— Vous devez savoir alors ce qu’on a enduré, Miss Bulitt. Personne n’aurait pu résister. Regardez ma bite, Miss Bulitt, dans quel état elle est !

Elle n’abaisse même pas son regard :

— Tu crois pas que ta ridicule membrane va me faire chialer, Ducon ?

— Je vous en supplie, regardez !

Cette fois, elle regarde.

— Ils sont magnanimes, tes amis, ils t’ont laissé tes couilles de goret !

— C’est pas mes amis, Miss Bulitt !

— En tout cas, moi je suis moins gentille qu’eux, fait-elle en avançant son arme vers le bas-ventre du tueur.

Celui-ci devient fou.

— Qu’est-ce que vous allez faire, Miss Bulitt ? Non ! Non !

Mais le canon s’est logé entre les testicules du Mexicain. La sauvage presse la détente. Un calibre aussi mahousse, y a du sang partout : des bouts de roustons, de la bouffe canigouronron.

Le mec émet une plainte comme jamais je n’en ai entendu. Il a un cratère pourpre à la place de ses parties (parties sans laisser d’adresse !).

— Tu jouis, petit ? questionne l’ogresse impavide. Prends bien ton pied, je te finirai dans un moment, si tu es sage !

Elle braque son arme contre le Ricain.

— Et toi, Stevie, tu la veux où, la tienne ?

Le courage vient parfois aux désespérés quand ils savent que RIEN ne peut plus les sauver.

— Dans ton gros cul plein de merde, je la veux !

— Tiens, c’est une idée, fait-elle, une balle dans les couilles de l’autre idiot, et une dans ton trou de balle. C’est tout ce que méritent des traîtres.

Elle fait rouler le saucissonné sur le côté et, de la pointe de son foutu pétard, détermine la raie de ses fesses à travers l’étoffe de son pantalon.

Steve est une rage (provisoirement) en vie.

Il la regarde avec des lotos qui jaillissent à vingt centimètres de ses orbites et dit :

— Tu sais la différence qu’il y a entre ton con et ta bouche, grosse vache ? Y en a pas ! Ils sentent tous deux le con !

Elle le plombe. La bastos ravage tout le circuit intestinal du truand. Il émet un râle préagonique. Sa douleur est indicible. Le pantalon est perforé et sent le roussi. L’hyène féroce enfonce le canon de son feu dans le rectum saccagé du Ricain.

— Tu dégustes, hein, saloperie de macho !

C’est le moment que choisit Béru Ier, roi des cons, pour opérer un retour remarqué.

Il entre en tenant un grand pot de porcelaine (imitation Limoges).

— Qui veut un bon caoua brûlant ? interroge-t-il à la cantonnière (dirait-il).

D’une œillée, il appréhende la scène et s’arrête, ahuri.

— Ah ! bon, ça se corse, chef-lieu Ajaccio, murmure le digne ami.

Le grêlé nous désigne à Mister Bibendum et lui indique d’un geste de nous rejoindre. Alexandrovitch-Benito a un acquiescement de demeuré.

Docile, il se dirige vers nous mais, en passant à proximité de l’autre pomme, lui balance le contenu du pot de café à travers la poire.

Il venait de l’annoncer : le breuvage est brûlant. T’imagines le hurlement du mec aveuglé par ce liquide bouillant ?

Bérurier lui fracasse le pot sur la tronche puis saisit le pétard de « Nez-en-pied-de-marmite ».

— Donne ! fait-il, t’es trop con pour jouer avec des armes à feu.

La suite, faut bien la passer au ralenti pour la faire piger. La femme veut faire front, seulement, ironie du sort, elle a trop engagé son feu dans le postère du Ricain ; la douleur contractant le sphincter du mourant, elle a du mal à le récupérer. Le temps de son effort suffit au Gros pour lui rincer les méninges au sirop de plomb. La houri s’abat, foudroyée, sur le corps de l’homme qu’elle vient de détruire. La justice immanente, comme on dit puis à Bourgoin-Jallieu, veut qu’elle trépasse avant lui.

Pinaud et mézigue abandonnons notre peu reluisante posture.

— Serais-je-t-il arrivé à poing dénommé, ou me gouré-je ? ricane l’Enflure vivante.

Il ne lui déplaît pas de rouler les mécaniques après un coup d’éclat.

Seulement il a tort de plastronner trop vite. Le grêlé, c’est pas le genre de petit chaperon rouge que tu estourbis avec un pot de beurre. Le voilà déjà avec une lame en main. Pas une lame : un long poinçon effilé à manche rond.

— Gaffe, Gros ! hurlons-nous de concert (car nous n’avons pas de conserves à disposition), Pinuche et moi.

Curieux comme un lourdingue de cent vingt kilos peut faire montre d’un tel réflexe ! Sans perdre le temps de « regarder le danger », il se jette à terre ; le poinçon se plante dans son épaule. Bérurier l’indomptable tire trois fois, à la volée de bas en haut. Bilan : une prune dans le bide, une autre dans le sternum, la dernière dans le cou. Le compte y est, et celui du mec est bon. Y a plus que le Mexicano qui respire encore sur les quatre, mais juste pour dire, juste pour avoir l’air de vivre un peu.

— La soirée a été rude, résume Pinaud qui, féru d’Histoire de France, n’a pas oublié la réflexion de Damiens quand ses juges le condamnèrent à être roué vif, puis écartelé.

On examine messire Béru. Le poinçon s’est planté en fait dans du gras (il en a de partout).

— Je pense qu’il serait bon de se retirer, dis-je. On marchera pour trouver un taxoche, pas question d’emprunter leurs bagnoles ; il faudra que la police croie à un règlement de comptes entre criminels.

— Tu oublies la voisine qui nous connaît ; son témoignage va nous foutre dans la merde ! soupire Pinaud.

Et il est rare qu’il emploie des gros mots.

— C’te p’tite poupée ? J’en fais mon affaire, assure le Mahousse. J’l’ai calcée si gigantesqu’ment qu’é veut absolut’ly v’nir en France av’c moi. J’vais y dire qu’é prépare son balluchon et on s’l’emporte vite fait, bien fait ; comaco, plus d’ témouine gênante !