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Je remercie la dame à la choucroute.

— Vous êtes quelqu’un de la famille ? demande-t-elle avant que je m’évade.

— Non, je venais juste annoncer le décès de la fille ; mais puisqu’il n’y a plus personne pour porter le deuil…

* * *

Sur l’instant, elle a refusé mon invitation au restaurant, m’man, comme quoi elle avait un haricot de mouton tout prêt ; mais je lui ai fait valoir que c’est le genre de plat qu’on peut réchauffer indéfiniment sans qu’il perde sa succulence.

Elle en est convenue. J’ai ajouté que j’avais envie de fruits de mer et que, chez Marius et Jeannette, ils ont des clams gros comme des étuis à cors de chasse. Félicie, c’est son vice, le fruit de mer, alors elle a déclaré forfait et elle est montée se changer. A mis sa robe mauve, son améthyste montée en broche, son manteau gris à col d’astrakan. Un soupçon de fond de teint, une virgule de rouge à lèvres et la voici partante pour la virouze des grands-ducs, m’man.

Saboulée, franchement, elle paraît pas son âge ! Un jour j’ai même surpris un gazier de pas cinquante balais qui jouait des châsses pour la draguer. T’aurais vu son numéro de charmeur à ce nœud volant ! Qu’à la fin, je suis allé à sa table, j’ai versé son verre de bordeaux dans ses coquilles Saint-Jacques à la crème et lui ai dit de se casser d’urgence et que je réglerais sa note. Il est parti sans réclamer son dû ! Ma vieille était toute fiérote de me voir comporter ainsi. Un fils jalmince, c’est pas courant. Je sais des lecteurs qui vont parler de penchants incestueux, avec leur esprit tordu ; mais je m’en torchonne le fion.

Bon, m’man descend l’escadrin en tenant son beau sac à main sous le bras. Pimpante, la chérie, radieuse.

Elle éteint tout, partout, biscotte on est économes chez nous autres Dauphinois. P’pa m’expliquait que laisser de la lumière dans une pièce vide, c’est comme de pas fermer en plein le robinet d’un tonneau. A quoi bon « déperdre » le courant électrique ? Je tourne trois fois la clé dans la serrure (on ne peut pas davantage). Et nous voilà à traverser le jardin nu dans l’hiver. Juste quelques cardons entortillés de sacs à pommes de terre ficelés serré pour pas qu’ils gèlent.

J’ouvre la portière de ma 600 SL à Féloche. Et comme ma brave femme de mère s’insinue dans la prestigieuse tire, voilà qu’une Rolls très Royce stoppe devant chez nous. Une horde en jaillit : Pinaud, Béru, Félix, le Marquis. Juste le chauffeur de César qui demeure à son poste. Moi, ébahi, je regarde cette déversance, pas joyce de l’arrivage inopiné.

— J’ croive qu’on tombons à pique ! jubile Sa Majesté ; vous partassiez ?

— Nous sommes invités à dîner chez des amis, mens-je.

— On s’ra pas longs, promet l’Enflure, l’temps d’te siffler deux quilles de beaujolpif et on les met !

— Nous sommes en retard, argué-je.

— Tu fil’ras un coup d’ grelot à tes potes pour t’escuser ; on a quéqu’chose d’important à t’annoncecer, grand, rétorque l’Obstiné.

M’man qui est l’accueil fait femme est déjà à trottiner à travers le jardinet.

Ils entrent. Démocrate foncier, Béru a invité le chauffeur à se joindre. Une chose en amenant beaucoup d’autres, une heure plus tard, on est tous assis autour de la grande table de cuisine, à claper le haricot de mouton en manière d’amuse-gueule.

On se sépare à minuit trente, heure de Greenwich. Pascal, le chauffeur est bourré à mort car on a liquidé vingt-deux bouteilles de Fleurie sur les vingt-quatre que m’a offertes mon ami Louis Prin, de Ma Bourgogne, le champion de France des vins de comptoir. Dans l’intervalle, « ces messieurs » m’ont révélé l’objet de leur visite nocturne : Pinaud, toujours grand seigneur, nous invite tous à Los Angeles pour aller « toucher » l’héritage de M. Félix.

* * *

Toi qui me lis fidèlement, tu dois te souvenir que j’ai déjà traité de l’Os-en-gelée et de sa banlieue Venice dans une œuvre colossale intitulée Al Capote, ouvrage dont le retentissement fut énorme car il apporte enfin la solution sur l’affaire Kennedy. Dans ce livre exceptionnel, je te parlais d’un ancien détenu nommé Bolanski, crois-je bien, auquel je rendis une visite mouvementée au cours de laquelle Béru déclencha un sombre patacaisse avec la police du cru pour avoir montré sa queue à notre taxiwoman noire. Si tu n’as pas pris connaissance d’un tel roman, cours le demander à ton libraire et, pour le cas où tu ne le trouverais plus, écris de ma part à la librairie Choc Corridor, rue des Trois-Marie, à Lyon, où Jacky, le directeur, se consacre à la permanence de mes zœuvres sur le marché, comme les jésuites au culte de Sainte Tignasse de l’Aïoli (Béru dixit).

Bref, de retour dans la capitale du cinéma par un beau soleil capiteux, j’éprouve le sentiment de ne l’avoir point quittée. Le prestigieux mot « Hollywood » s’inscrit toujours en immenses caractères blancs sur le vert de la colline où l’on a tourné tant de conneries, plus quelques chefs-d’œuvre en noir et white que la télé nous repasse parfois sur le coup (unique) d’une heure du matin.

Cette fois, nous descendons à l’hôtel Sacramento, lequel se trouve à gauche de la gare routière quand tu regardes les côtes japonaises depuis le front de mer.

Notre richissime ami n’a pas lésiné. Non seulement il nous a fait voyager en first, mais de plus, il a pris une suite pour chacun de nous, y compris pour le Marquis bas de plaftard, qui continue de « chanter le coq » sans tenir compte du décalage horaire. Dans l’avion, il a mis les hôtesses en émoi, le pauvre Lagrande-Bourrée car il est rarissime que des passagers d’Air France, longs jets, se livrent à de telles fantaisies vocales. Et le voici qui remet le couvert dans l’immense hall du Sacramento, au grand dam des employés.

Cette criée de gallinacé, heureusement, apporte une diversion judicieuse à l’exploit intestinal de Béru. Il faut te préciser que notre cher compagnon d’équipée, profitant de son voyage en premières, a abusé des blinis au caviar arrosés de crème aigre. Il a consommé ceux de Félix qui a horreur de la chose, ceux du Marquis et en a redemandé quatre fois à l’hôtesse. Il en résulte un déséquilibre digestif, rarissime chez ce puissant bâfreur, lequel se traduit sous la forme peu avenante d’une diarrhée incoercible.

Une cruelle débâcle le saisit lorsque nous passons la porte tournante de l’hôtel. Le Gradu s’élance avec tant d’impétuosité que la lourde pivote en force et décrit deux tours complets avant de rejeter son passager à la rue.

Cela complique la situation critique d’Alexandre-Benoît lequel, saisi de folie furieuse, se met à hurler :

— Les chiches ! Les chiiiiches, bordel, sinon va y avoir des traces de freinage dans mon bénoche !

Il réussit sa deuxième expédition, pénètre dans l’hôtel, biche un groom bleu et or par le colback :

— The gogues, mec ! The gogues immédiatly, que sinon j’incline tout’ responsabilitance !

Mais l’autre pomme, tu penses, il est mexicano ; le discours de l’arrivant, il y entrave ballepeau. Là-dessus, le Marquis joue Chantecler, ce qui fait sursauter tout le monde. Exténué des sphincters, le Mammouth se rue dans le salon proche, tombe son bénouze et se met à chier comme un fou sur une plante tropicale en pot, qui passait par là sans rien demander à personne.

Le pilonnage est intense et évoque Pearl Harbor dans sa phase la plus épique. Deux vieillardes occupées à vider une théière cessent de boire leur eau chaude pour tenter de comprendre ce qui se passe. L’une d’elles, presque aveugle, mais qui parvient pourtant à discerner le sexe béruréen, demande s’il s’agit d’un éléphant échappé du zoo. Bérurier continue de tirer ses salves impitoyables.