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Bon : l’aéroport. Bérurier achète des hot dogs, par précaution, ainsi que quatre bouteilles de vin californien (il s’y est mis). Félix écrit en douce une carte postale… au Marquis, afin qu’il reçoive un message de ce pays plein de tribulations. Tu veux que je te dise ? Je crois qu’il est amoureux de son nobliau demeuré, le prof. Oh ! rien de sexuel. Mais l’amour c’est si bizarre. Tu comprends, il a toujours été si seul, Félix, avec juste sa grosse queue pour lui tenir compagnie. Seulement, à la longue, tu t’aperçois qu’une queue c’est pas suffisant. Ça n’a jamais remplacé un enfant.

J’éloigne précipitamment ma troupe du magasin où l’on vend les journaux, biscotte une manchette s’étale à la une des canards californiens : « Tuerie à Venice ».

Je recommande à Sa Majesté de ne pas laisser prendre de baveux à sa conquête au moment de la distribution, dans l’avion. Il remédie au danger en la poussant vers un bar de l’aéroport. A la tequila, il l’entreprend, sa brune. En un quart d’heure, elle a oublié jusqu’à son nom de famille !

C’est au moment où nous nous dirigeons vers les portes d’embarquement que je m’entends héler (et que je regrette de ne pas l’être, ailé).

Un homme se pointe en courant, avec le Los Angeles Morning à la main.

Il l’agite en criant mon nom.

Tu sais qui ?

James Smith, de l’étude Smith, Smith, etc.

Pour enrayer le grabuge, je vais à sa rencontre.

Hors d’haleine (parfois, après le mot haleine, j’ajoute du Pingouin, parce que ça fait « laine du Pingouin », tu comprends, et que c’est assez drôle, ma foi, dans un moment où on se fait chier et qu’on n’a rien de mieux à se mettre sous l’humour), il me crache dans la foulée :

— Ouf ! J’arrive à temps. Je vous ai appelé chez Chesterton-Levy où l’on m’a dit que vous veniez de partir pour l’aéroport. Vous avez su ce qui est arrivé avant-hier ?

Il me tend théâtralement le baveux.

— Ça, alors ! béé-je.

— Sidérant, non ?

— Plus !

— Qu’en pensez-vous ?

— Rien !

— La Fouzitout devait fricoter avec le Milieu, non ?

— Probable.

— Les quatre morts sont tous fichés dans le grand banditisme.

— Bon débarras !

— Vous n’aimeriez pas suivre l’enquête ?

— Un flic français ! En Californie ! Mes collègues d’ici m’arracheraient ma culotte si je me pointais sur leur os à moelle !

— Le propriétaire rentre également en France ?

— Il est attendu à la Sorbonne pour une communication de la plus haute importance à propos du sexe de Satan dans la littérature scandinave. Ravi de vous avoir connu, mon cher maître, gardons le contact, vous me tiendrez au courant des développements de l’enquête. Pardon de vous quitter si vite, notre vol a été appelé.

On s’actionne le bras de pompe comme pour emplir une citerne de deux mille litres.

— Cette fille n’était pas catholique, n’est-ce pas ? demande Smith James, de l’étude Smith, Smith et consorts.

— Si, dis-je, elle l’était. Mais c’était tout !

* * *

Partis d’un Los Angeles ruisselant de soleil, nous arrivons dans un New York pluvassieux, couleur de coliques de plomb. Pourtant, je préfère N.Y. à L.A. La Californie n’a pas l’air vraie. Là-bas, les gens sont en toc, comme leurs maisons rivalisant d’époustoufle. Vie de guingois, je dis. Mi-vacancière, mi-businessarde. Pour l’Européen qui débarque, c’est une sorte de planète pas finie. La lumière n’y est pas joyeuse, et quoi de plus démoralisant qu’un soleil morose ?

A New York, au contraire, tu trouves une sorte d’allégresse grondante. C’est sombre, souvent cradoche, mais le pittoresque succède à la poésie, et tous les gratte-ciel reflètent les nuages.

Nous avons décidé d’y faire une escale de vingt-quatre heures, non pour amortir le délabrement consécutif au décalage horaire, mais parce que j’y ai rendez-vous pour dîner avec mon cousin Josmiche et l’une des huiles du F.B.I. Cette rencontre se fait à mon initiative car je déteste coltiner un fardeau qui ne m’appartient pas. Faut que je le refile à qui de droit, ce bébé d’un autre.

La rencontre a lieu au restaurant du Méridien, donc pratiquement en territoire français. A trois, car mes scouts m’auraient encombré.

Le cousin Lionel est un long garçon maigre, brun et pâlot, avec juste le bout du nez rose. Son regard est vif, amusé, sans cesse au bord de l’ironie. Il est habillé par Cardin, please : chemise blanche au col et poignets taillés dans un tissu imprimé, veste prince-de-galles droite, au boutonnage spécial, cravate cognante, mais non trébuchante, pochette groupant deux impressions antagonistes. Une vraie gravure de mode qui, dans les salons d’ambassade, sert la gloire de notre académicien du dé à coudre.

L’huile du F.B.I. se situe à ses antipodes, question de la mise : grosse veste de tweed à boutons de chasse, pantalon de gabardine froissé, limouille à carreaux, avec un lacet de cuir tressé en guise de cravate. Il avoisine le demi-siècle, a le tif grisonnant par-dessous une méchante teinture négligée, les babines pendantes, du foin dans les naseaux et, derrière des lunettes en forme de guidon de course, un regard devant lequel les malfrats doivent déféquer dans leur bénouze, tant il est polaire, fixe, hostile, scrutateur et je te laisse un blanc pour écrire les adjectifs qui te sembleraient mieux appropriés.

Voilà, merci de ton aide.

Présentations. On fait sissite. Apéros. Un porto pour le cousin, un bourbon-gin pour le chef volailler, un bloody-mary pour moi.

On ne perd pas de temps à évoquer, Josmiche et moi, l’anus artificiel de la cousine Mathilde. Non, c’est le branchement immédiat sur mes aventures et mésaventures californiennes (en atténuant certains passages « délicats », voire en en occultant d’autres pour la qualité du récit).

Pendant que je jacte, sans perdre Horace McGuiness (il est d’origine irlandaise) des yeux, bien lui signifier que son regard décortiqueur je me le fous au cul pour prévenir d’éventuelles hémorroïdes, le maître d’hôtel tape au menu. Interruption. Asperges sauce hollandaise et carré d’agneau aux flageolets (ainsi Horace sentira-t-il la présence de la France éternelle au cours de la nuit), et comme dessert, un soufflé à l’orange. Vin unique : un Bouzy dans la glace. N’après quoi, je reprends mon histoire ; elle le mérite !

Je vais jusqu’au bout.

Une fois fini, je goûte le vin. Tip-top !

— Et vous dites, monsieur le directeur, que cette fameuse cachette vous a livré le secret de l’affaire ?

— Affirmatif, Mister McGuiness.

Je lève mon verre.

— A l’amitié franco-américaine ! toasté-je.

Le efbuyin m’imite :

— A l’amitié américano-française !

— A présent, chers amis, je dois reprendre les choses une vingtaine d’années en arrière. A cette époque, le tout-puissant Syndicat du crime a à sa tête un émigré polonais du nom de Witold Slaza, personnage impitoyable qui tient le monde de la pègre d’une main de fer. Il est craint et haï comme le furent la plupart de ses devanciers. Sous son règne, tout homme qui bronche est un homme mort. Il a des résidences un peu partout et se déplace énormément.

« Au cours d’un séjour dans sa maison de Californie, il est contraint de subir l’ablation d’un méchant calcul rénal. A la clinique où il est opéré, il s’entiche d’une petite aide-infirmière nommée Martine Fouzitout et la saute à sa sortie de clinique. Ce ne sera pas le grand amour, mais “autre chose” : une amitié amoureuse. Il achète une bicoque à la môme. Oh ! pas le luxe, car il n’attache pas ses dogs avec des hot dogs. Une bicoque sans histoire dans le quartier coloured de Venice. Puis il repart pour sa vie de potentat du meurtre.