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Horace qui n’a pas encore moufté, murmure, se parlant à lui-même :

— Benjamin Stockfield.

— Gagné, réponds-je. Oui, Benjamin Stockfield, matricule 6018.

— Il a été abattu, reprend McGuiness.

— Par un loustic nommé Witley Stiburne.

— Comment savez-vous cela ?

— Après l’avoir buté, Stiburne lui a pris sa plaque de fédéral, se disant probablement qu’elle pouvait constituer un bon sésame à l’occasion.

Horace qui vient d’achever sa gamelle, reprend son modelage. Le crocodile se mue en bite avec accessoires incorporés.

— Je pense, poursuis-je, que votre collègue et la Fouzitout ont dû rentrer pas mal de fric. Selon moi, la fille, méfiante, n’a pas dit à son complice qu’elle détenait le « matériel de chantage ». Quelque chose me dit même qu’elle s’est planquée derrière un paravent pour ses transactions avec Stockfield, en mettant dans le circuit un saint homme de prêtre, le père Machicoule, après lui avoir monté tout un cinoche. Le pauvre homme a laissé sa peau dans l’affaire, ainsi que sa servante noire.

« A la longue, le Syndicat a eu vent de ce racket. Il s’est ému et a constitué un commando de choc pour “régler” cette sale affaire. Y a eu du monde sur le chantier, les gars ont ratissé large, au point que mes hommes et moi avons failli y passer ! Ils ont buté ou malmené pas mal de personnes, y compris “le cow-boy suisse”. Cela dit, ils n’ont pas trouvé les dossiers qui subsistent. Il est probable qu’ils ont fait le grand jeu à votre ami Stockfield, avant de le zinguer. Heureusement que la fille Fouzitout s’était entourée de sages précautions. »

— Vous avez découvert les papiers ? demande McGuiness sans avoir l’air d’y toucher, comme s’il s’enquérait si je joue au golf.

— Vous aurais-je fait venir à New York, sinon ? Je vous promets une bonne régalade, Horace. Y a plein de gaziers qui sont en train de se faire dorer le nombril en Floride et qui vont dégueuler de frousse quand vous les interpellerez avec certains documents à l’appui.

Là, on l’entend mouiller, l’Irlandoche déguisé en Ricain. Comme dans une grotte, l’eau qui tombe des stalactites.

— La guerre déclenchée par Martine Fouzitout aura fait pas mal de victimes de part et d’autre ; les hommes de main du Syndicat ont vécu des instants assez dramatiques, eux aussi.

Là-dessus, un loufiat aimable amène triomphalement le soufflé à l’orange, gros comme le champignon atomique d’Hiroshima.

— Comment avez-vous pensé que la Fouzitout s’était mise en cheville avec un type de chez nous ?

— Je savais, à cause de la plaque, que Stockfield avait été zingué par Stiburne. Ensuite, j’ai découvert que ma compatriote avait tué avec une arme de fort calibre un Noir qui venait de la violer. Je n’ignore pas que, dans votre beau pays, les armes à feu sont en vente libre, pourtant j’imaginais mal une petite femme allant faire l’emplette d’un riboustin de pro. J’ai eu un flash ; j’en ai souvent. L’association s’est imposée à mon esprit. Stockfield lui a refilé le soufflant pour qu’elle puisse se défendre en cas de rébecca.

Mon confrère yankee opine.

— Visionnaire, dans votre genre ?

— Toujours, c’est ce qui fait mon charme et ma force. J’ai très vite compris, Horace, que, dans notre métier, on ne doit pas s’arrêter court lorsqu’une piste cesse. Ce que nous ignorons, il nous faut l’inventer ; quand on est un véritable poulet, ça finit par être conforme à la vérité.

— Je vois.

Il remodèle la paire de couilles pour fabriquer les nichons de sa secrétaire qui possède des embouts very érectiles.

— Bon, vous me dites où sont les documents ?

— Dites, Horace, vous n’allez pas me prier de demeurer sur le continent amerloque jusqu’à l’aboutissement de votre enquête ?

Il rougit par-dessus sa couperose.

— Quelle idée ?

— Je suis un garçon qui phosphore beaucoup et qui, dans certains cas, a besoin de se surprotéger. Alors voilà ce que nous allons faire : nous quittons N.Y. ce soir à 23 heures par le Kennedy Airport. Venez nous accompagner. Grâce à vos fonctions, vous pourrez monter avec nous dans le zinc d’Air France qui est territoire français. Une fois nos ceintures bouclées, je vous mettrai au parfum. O.K. ?

Il a une grimace.

— O.K. Mais ma parole devrait suffire.

— De plus, enchaîné-je, je serais ravi que mon attaché d’ambassade de cousin soit avec vous. J’ai l’esprit de famille, que voulez-vous !

19

CHAPITRE FLUORESCENT

J’adore prendre un long jet, la nuit, quand l’air sent le mouillé et le kérosène, et que la piste éclairée ressemble à un film de science-fiction.

Nous gagnons nos places confortables, en first (noblesse oblige).

— Oh ! Horace, fais-je à l’Irlandais qui est resté debout dans l’allée, vous voulez bien mettre mon sac de duty free dans le caisson à bagages ? J’ai acheté du sirop d’érable pour ma mère qui adore ça et une mitraillette à air comprimé à mon fils adoptif qui veut devenir gangster.

Sans piper, le super-flic hisse le paquet. Il manque le laisser tomber, car le Marquis vient de balancer un cocorico cuivré et Bérurier une vesse qui n’évoque pas la brise marine.

— Merci, fais-je. Chose promise, chose due. Les terribles dossiers se trouvent dans la chambre de Martine. Le crochet d’un dessin de Magritte représentant un arbre transformé en placard, sert d’ouverture à la cachette.

Il me plante ses huîtres dans les yeux.

— Juré ? articule-t-il.

— Sur la vie de ma sainte mère, fais-je en levant la main droite.

Il profite de ce qu’elle est dressée pour s’en emparer et la presser fortement. Poignée de main de flics, puissante, fraternelle.

— O.K., Mister directeur. Merci et bravo pour la participation !

— Tout le plaisir aura été pour moi, Horace ; maintenant à vous de jouer !

C’est tout, il quitte le zinc sans même un regard à l’hôtesse des first, une irrésistible blonde qui te donne envie de rester, la tête levée, au pied de la grande échelle des pompiers pendant qu’on l’évacue d’un quinzième étage en flammes.

Le cousin qui ne s’est pas encore manifesté me donne l’accolade.

— Heureux et fier de te connaître enfin, Antoine. La mère Mathilde disait pis que pendre de toi ! Je la hais !

— Normal : c’est ta belle-mère.

Il a, avant de partir, un regard circulaire.

— C’est pas chargé, ce soir : vous êtes les seuls en first !

Le sort lui donne tort car, à cet instant, un steward pédé, donc aimable, escorte un vieillard qui est le sosie d’Einstein : calvitie sur le dessus, longs cheveux blancs en couronne, gros nez sur lequel il cultive le comédon, cette algue qui bouche l’entrée des pores. Forte moustache stalinienne. Il se déplace en prenant appui sur une canne anglaise. Il porte des lunettes de myope teintées à double foyer. On l’installe, on le coucoune, le mignarde, le chouchoute. Lui met des oreillers partout, une couvrante sur les jambes.

Il est dans la même travée que moi, mais de l’autre côté des steppes de l’allée centrale. On lui propose du champ’ et du jus d’orange, il refuse l’un et l’autre, prend une posture nocturne et n’attend que le décollage pour ensuite s’endormir avec un colin-maillard noir devant les yeux.

Naturellement, ça commence par un souper aux chandelles : caviar, œufs brouillés aux truffes, médaillons de veau au citron.