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Vaste chambre avec salle de bains en marbre tabac, dressing en palissandre, bar rempli de boutanches rarissimes (il y a même de l’Yquem 67), vibromasseur à quatre vitesses, poupée gonflable à peau satinée (elle suce, dit des conneries et a ses ragnagnas comme une vraie femme), salle de culture physique attenante, et aussi de projection, avec une filmothèque comportant deux mille cinq cents cassettes, aérateur émettant, au choix : de la brise de printemps, de l’air marin, de la douceur angevine et de la chaleur d’août réelle.

Depuis les vitrages de ma chambre, je découvre un paysage qui ferait mouiller plus d’un mais qui cependant me laisse tiède, car je hais les chromos (ils stéréotypent les rêves des gens, leur insufflant des désirs d’évasion qui deviennent pacotille, passés au filtre de leur sottise). Je distingue de somptueuses propriétés étagées dans une verdure hors de prix, d’immenses piscines aux architectures bizarres et qui font appel à tous les bleus et tous les verts jamais conçus par la nature ou par l’homme.

Tout en bas : l’océan, dit Pacifique, avec des voiles, des bateaux à moteur, des véliplanchistes, des Daboville, des carcasses bronzées, des paquebots au loin, des cerfs-volants au plus près, des taches d’huile, des lutins, des butins, des hutins, des mutins, des putains qui grouillent sur le sable blanc. A droite, des palaces, à gauche, des restaurants. Un peu partout, des oriflammes qui claquent au vent (en cas de défaillance d’Eole, chaque mât est équipé d’une soufflerie).

Je me décide enfin à appeler l’ultime Smith de l’étude Smith, Smith, Larson and again Smith. Il me répond, sachant que je suis moi, s’exclame de satisfaction parce que nous sommes à Los Angeles et paraît fortement impressionné d’apprendre que nous logeons chez Harold J.B. Chesterton-Levy, l’empereur d’Hollywood.

— Je viens tout de suite ! annonce-t-il en produisant déjà un bruit de moteur d’auto avec la bouche.

Je m’attarde un instant devant la poupée gonflable installée dans un fauteuil. Sur le guéridon posé près d’elle, se trouve une sorte de tableau constellé d’une série de touches dont chacune comporte une indication. Sur la première, y a écrit « voice » (voix). Je l’enfonce. Le mannequin se met alors à jacter. Voix de Marilyn (c’est d’ailleurs le nom de la poupée). T’ai-je informé qu’elle portait des bas, un porte-jarretelles, une culotte noire fendue et un boléro d’hermine ? Sa chevelure est d’un blond pétasse très platiné.

Elle dit :

— Bonjour, beau gosse. Je m’appelle Marilyn et tu me fais mouiller de désir. Si tu veux que je te commence par une pipe, enclenche la touche numéro deux. Si tu veux me bouffer la chatte, use de la touche numéro trois. Pour baiser, il faut me porter sur le lit et revenir enclencher la numéro quatre. En ce qui concerne l’étreinte anale, enduis ton sexe de vaseline (le pot est près des commandes) car je suis neuve et mon anus est encore en rodage. Pour d’autres fantaisies, reporte-toi à la notice qui se trouve sous mon bas de la jambe droite. Terminé.

N’ayant pas la perversité robotique, je délaisse cette compagne des temps futurs et vais me servir un verre de Château-Yquem.

Tandis que je le déguste, regard clos, comme il sied, et les genoux parfaitement parallèles au bord de mon siège, l’écran de télévision s’allume et surgit du néant un gros plan d’Angela.

— Tout est O.K., monsieur San-Antonio ? demande la collaboratrice du produc.

— Ça baigne, my dear.

— Il y a-t-il quelque chose ou quelqu’un que vous souhaiteriez ?

Tu connais ton pote Sana ?

— Vous, réponds-je, mais je me doute que c’est impossible, alors je rêve.

Elle a un sourire métallique (alors que la poupée en possède un plus humain) et l’écran redevient un rectangle con de verre inerte et troublasse.

J’ai déjà éclusé la moitié de la fabuleuse bouteille (je préfère appeler la chose un flacon, le mot me semblant plus aristocratique) lorsqu’on m’annonce l’arrivée de Mister Smith.

Je vais l’accueillir sur le pas de ma porte.

C’est un grand garçon d’une trentaine d’années, aux cheveux ondulés, de couleur déjà grise, vêtu d’un costard prince-de-galles et d’une chemise bleue, ce qui est d’un classicisme propice à sa profession. Visage allongé, basané et rieur, regard clair, direct.

Jeu du serrement de paume.

Il sent bon l’eau de toilette virile. Tout comme moi, il porte une Pasha Cartier au poignet, équipée d’un bracelet bleu intense.

— Ainsi, vous avez décidé Mister Legorgeon à venir jusqu’ici ?

— Affirmatif ! conné-je, pour dire de. Je vais lui demander de nous rejoindre ; mais auparavant j’aimerais discuter un peu avec vous.

— Facile.

— Vous savez de quoi est décédée la fille Fouzitout Martine ?

— Pas la moindre idée.

— Qui vous a informé de sa mort ?

Il sourit très nacré :

— Elle, monsieur le directeur.

— Pas banal. De quelle manière ? Un guéridon tournant ?

Il puise dans une mince serviette à manettes un fourre contenant un seul feuillet et me le présente. C’est une lettre non datée adressée à l’étude Smith, Smith, Larson and again Smith. Je la lis :

Messieurs,

Quand la présente vous parviendra, je serai morte et incinérée ; vous voudrez bien, dès lors, procéder aux formalités testamentaires inhérentes à mon décès et prévenir au plus vite M. le professeur Félix Legorgeon, mon héritier, en l’invitant à faire jouer ses droits. La personne chargée de vous faire tenir cette lettre y joindra la photocopie de mon permis d’inhumer certifié par les autorités locales.

Veuillez agréer l’expression de mes salutations empressées et définitives.

Martine Fouzitout

Au verso de la bafouille se trouve la reproduction d’un certificat de décès signé d’un docteur Douglas Ferblan, de Venice. Le document comporte une apostille de la police.

— Vous pouvez le conserver, assure joyeusement Smith, il s’agit d’une reproduction.

— Qui vous l’a fait tenir ?

— Le prêtre d’une paroisse catholique de Los Angeles ; le père Machicoule. Voici son adresse.

Il arrache un feuillet collé à l’intérieur de sa serviette.

— Merci de votre efficacité, Smith. Larson va bien ?

Il sourcille.

— De quel Larson parlez-vous ?

— Eh bien, de votre dernier partenaire, celui qui figure sur le papier de votre maison.

Il rit de plus rechef.

— Oh ! lui, il n’a jamais existé. Grand-père avait intercalé ce patronyme dans la raison sociale, histoire de couper un peu cette foutue litanie des Smith.

Ils sont farceurs dans leur famille !

Je mande M. Félix et il se pointe, muni de ses pièces d’identité. Présentations, gratulations. Un chant de coq retentit dans la vaste demeure.

— Tiens ! Déjà midi, note le professeur.

— Je me suis muni des clés de votre maison, déclare le notaire, désirez-vous que nous nous y rendions tout de suite ?

— Volontiers, accepte Félix.

Il va ramasser son monstre et nous partons à bord de la Mercedes (dernier chic en Amérique) de Smith.

— Appelez-moi James ! nous dit-il. Ainsi vous êtes lié avec le grand Harold J.B. Chesterton-Levy ?

— Intimement, mens-je.