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— Vous savez que c’est le number one d’Hollywood ?

— Je sais.

— Le gouverneur lui mange dans la main et les flics balaient de leur langue le trottoir qu’il emprunte.

— Cela va de soi.

— Quand il a envie de baiser, il fait téléphoner à n’importe quelle vedette et elle enlève déjà sa culotte en grimpant l’escalier de sa chambre !

— Une vie de rêve, quoi !

— Un jour qu’il était amoureux, il a fait colorer le ciel et l’océan en rose pour accueillir l’objet de sa flamme.

— Un type bien, apprécié-je.

— Quelqu’un ayant volé le bouchon de radiateur de sa Rolls, il a ordonné qu’on branche le suivant sur une batterie spéciale et deux types sont morts foudroyés dans la semaine d’après.

— Bien fait pour leurs pieds, James !

— Vous savez qu’il ne s’appelle pas Levy ?

— J’aurais plutôt pensé qu’il ne s’appelait pas Chesterton. Pourquoi a-t-il ajouté ce nom israélite au sien ?

— Pour inspirer confiance. En réalité, il est d’origine galloise.

— On joue beaucoup avec les patronymes dans votre beau pays, non ?

— Exact, Tony. Ce qui importe, ici, c’est l’efficacité.

— Ça paie !

* * *

On pénètre dans Venice, ville sans le moindre rapport avec son homonyme italienne.

Populeux, coloré, cradoche. Plages à bon marché. Ça fouette la friture inrenouvelée, le poisscaille mécontent, la sueur prolétarienne, le parfum-couvre-merde. Le quartier black bidonvillise à mort. Le matériau le plus usité est la tôle ondulée (et, comme dit Béru : les vaches aussi ont du lait).

Dans un premier temps, James Smith se plante car il n’est jamais venu voir la maison de feu Martine Fouzitout ; il y a dépêché un de ses collabos et, ce qu’il sait de la masure, c’est par ce messager d’élite qu’il l’a appris.

On stoppe pour finir (plutôt pour commencer, tu verras !) devant une crèche en planches peinte en vert et rouge, avec tout de même un soubassement de briques. Trois marches de bois, démises et plus branlantes que les ultimes dents d’un vieux cultivateur pyrénéen, permettent d’accéder à une porte vitrée. Smith essaie deux clés et, naturellement, c’est la seconde qui sésame. Nous pénétrons alors dans un singulier logis, sombre, où flotte une odeur indéfinissable, plutôt opiacée, je dirais. Une sorte de livinge où règne ce que les vrais écrivains qui ont leur patente et la Légion d’honneur appelleraient « un désordre indescriptible ». Ce n’est que souillerie, vaisselle sale, déchets, bris de meubles.

— Suivez mon conseil, fait James Smith : mettez cette baraque en état avant de la vendre car telle qu’elle est on vous en proposerait le quart de sa valeur.

Félix se déclare pleinement d’accord avec ce judicieux raisonnement.

La pièce contiguë au livinge est, bien entendu, une chambre. D’emblée, on sent qu’au départ elle fut aménagée avec goût : lit capitonné d’un beau tissu à fleurs, à présent taché de café, de sang, et constellé de brûlures de cigarettes. Tapis et rideaux troués, maculés, arrachés à demi de leurs tringles en ce qui concerne les derniers. Un secrétaire disloqué et une commode sans ses tiroirs attestent les débordements de la locataire, de même que des chaises Napoléon III, qui se sont mises à l’unisson en n’ayant également que trois pattes. Quelques dessins sont miraculeusement restés aux murs, d’autres, moins respectés, gisent sous le lit.

La mère Fouzitout devait se payer des crises d’éthylisme mimi tout plein, crois-je deviner. Ce n’est pas la drogue qui donne ce genre de réactions, mais l’alcool. D’ailleurs, je n’ai pas de mérite à deviner la chose vu que partout gisent des bouteilles de vin rouge vides.

— J’ai différentes pièces à vous faire signer, déclare Smith, essayez de trouver une chaise valide, Mister Legorgeon.

Il ouvre sa belle serviette à manettes rentrables et étale des papiers sur un coin de table préalablement débarrassé des saloperies qui l’encombraient.

En homme avisé, le prof me prie de lui traduire les documents proposés à son paraphe.

Tout me paraissant O.K., je laisse Félix distribuer des autographes.

Ensuite de quoi, l’ultime survivant de la maison Smith, Smith, Larson and again Smith nous ramène à Malibu et nous prend un gros congé, après avoir remis les clés de son héritage à l’Eminent.

Son départ étant acquis, M. Félix me chope pour un concile à Bulle (Canton de Fribourg).

— Pensez-vous, Antoine, que cette ignoble bicoque méritait que nous nous déplacions ?

— Sans aucun doute, fais-je-t-il.

— Mais elle ne vaut pas tripette ! regimbe « la queue du siècle ».

— La construction, certes, je vous l’accorde (à violon), mais ce qu’il y a à l’intérieur vaut une petite fortune, mon bon.

— Que me baillez-vous là, mon petit ? Ce n’est que mobilier réduit en épaves, ordures et déjections séchées. Cette malheureuse était retournée à l’état sauvage. Les draps de son lit témoignaient de menstrues incontrôlées, ce qui est le bout de la nuit chez une femme !

— Seulement, il y a le reste, cher Félix.

— Et c’est quoi, le reste ?

— Les dessins accumulés dans la chambre.

J’empare le vieux calepin qui me vient de mon papa et trouve la page sur laquelle j’ai établi l’inventaire :

— Onze Magritte, lis-je. Cinq Botero, deux Gnoli, une gouache de Nicolas de Staël, deux de Delvaux, le tout représente plusieurs millions de francs.

Rempochage du carnet à couverture de moleskine noire, papier jauni et rayures. Je t’en ai souvent parlé : il s’agit d’un lot racheté jadis par papa à un papetier en déconfiture (de coings).

Il est siphonné complet, le prof.

— C’est sérieux, Antoine ?

— Elémentaire, mon cher Watson ! Nous retournerons tantôt dans votre nouvelle maison, nous prendrons l’une des œuvres dont je vous parle et la ferons expertiser pour vous convaincre.

Il secoue la tête, comme accablé.

— Riche, moi ! s’exclame-t-il. Il ne pouvait rien m’arriver de pire ! Comment vais-je employer tout cet argent ?

— Vous pouvez ne pas convertir la collection en dollars, mais la conserver telle qu’elle est et continuer de vivre votre quotidien auprès d’elle, lui fais-je. Après tout, ce sont des dessins qu’elle vous lègue, votre élève d’autrefois ; pas de la money.

— Très juste, dit Félix, brusquement soulagé.

Le majordome vient nous annoncer que le lunch est servi.

— Sir, ajoute-t-il, la clinique Santa Tempaxa vient de téléphoner pour dire que votre ami souffre d’un red-backside purulent consécutif à un frottement des parties lésées par une plante tropicale vénéneuse bien qu’elle soit d’agrément. Cela s’appelle le basic-instinct-corrosif. L’on va lui faire l’ablation de ses parties charnues inférieures et tenter de lui greffer le séant d’un chimpanzé, en remplacement.

— Rien ne saurait mieux lui convenir, assuré-je.

4

CHAPITRE QUI FAIT APPEL AU GALVANISME

L’église Santo Prosibus est modeste. Très ricaine : mi-pierre, mi-bois ; mi-figue, mi-raisin. Clocher minuscule d’où sort la cloche comme une orchite double d’une braguette.

Le père Machicoule est occupé à cueillir les dattes de son jardin lorsque nous survenons, Pinuche et moi ; d’énormes fruits gros comme des saucisses de Francfort, charnus, mielleux et presque sans noyau.

L’ecclésiastique porte un long short qui découvre ses jambes velues, un tee-shirt blanc sur lequel est imprimée une pub pour Coca, des tennis éculés, une barbe profuse, des lunettes de soleil à monture de plastique bleu. Il pète en trombe toutes les vingt secondes, because, nous apprendra-t-il, il se nourrit exclusivement de lait et de chili sin carne, plus du bourbon si j’en crois son pif pareil à une fraise de Bû (Eure-et-Loir) primée dans un comice.