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Pièces de théâtre

Histoire du vieux temps. Scene en vers

A Madame Commanville

Madame, je vous ai offert, alors que vous seule la connaissiez, cette toute petite pièce qu'on devrait appeler plus simplement « dialogue ». Maintenant qu'elle a été jouée devant le public et applaudie par quelques amis, permettez-moi de vous la dédier.

C'est ma première œuvre dramatique. Elle vous appartient de toute façon, car après avoir été la compagne de mon enfance, vous êtes devenue une amie charmante et sérieuse ; et, comme pour nous rapprocher encore, une affection commune, celle de votre oncle que j'aime tant, nous a, pour ainsi dire, faits de la même famille. Veuillez donc agréer, Madame, l'hommage de ces quelques vers comme témoignage des sentiments très dévoués, respectueux et fraternels de votre ami bien sincère et ancien camarade.

Guy de Maupassant

Paris, le 23 février 1879

Remerciements

Je ne publierai point cette frêle comédie sans adresser mes bien vifs remerciements à l'homme éclairé et bienveillant qui l'a accueillie et aux artistes de talent qui l'ont fait applaudir.

Sans M. Ballande, qui ouvre si généreusement son théâtre aux inconnus repoussés ailleurs, elle n'aurait peut-être jamais été jouée. Sans Mme Daudoird, si fine comédienne, si attendrie et si charmante dans le rôle de la vieille marquise, et sans M. Leloir, qui porte avec tant de dignité les cheveux blancs du comte, personne ne l'eût, sans doute, remarquée.

Le succès, grâce à eux, a dépassé mes espérances : aussi je veux écrire leurs noms à la première page pour les assurer de ma profonde reconnaissance.

Guy de Maupassant

Paris, le 23 février 1879

Personnages

– LE COMTE

– LA MARQUISE

A la Comédie-Française la mise en scène a été modifiée ainsi :

Chambre Louis XV. Vieux portraits pendus aux murs. Grand feu dans la cheminée. On est en hiver. La marquise regarde tomber la neige par la fenêtre au fond, puis elle se dirige vers son clavecin et joue un vieil air. Entre le comte.

Pièce

LE COMTE

Bonsoir, Marquise.

Version sans modifications

 Chambre Louis XV. Grand feu dans la cheminée. On est en hiver. La vieille marquise est dans son fauteuil, un livre sur les genoux ; elle paraît s'ennuyer.

UN VALET, annonçant

Monsieur le comte.

LA MARQUISE

Enfin, cher comte, vous voici ;

Vous pensez donc toujours aux vieux amis, merci

Je vous attendais presque avec inquiétude ;

De vous voir chaque jour on a pris l'habitude ;

Puis, je ne sais pourquoi, je suis triste ce soir.

Venez, auprès du feu allons nous asseoir

Et causer.

LE COMTE, s'asseyant après lui avoir baisé la main

Moi, je suis tout triste aussi, marquise,

Et lorsqu'on se fait vieux, cela démoralise.

Les jeunes ont au cœur cargaison de gaieté ;

Un nuage en leur ciel est bien vite emporté,

Et toujours tant de buts, tant d'amours à poursuivre !

Nous autres, il nous faut de la gaieté pour vivre ;

La tristesse nous tue, elle s'attache à nous

Comme la mousse à l'arbre épuisé. Voyez-vous,

Contre ce mal terrible il faut bien se défendre.

Et puis, tantôt, d'Armont est venu me surprendre

Nous avons remué la cendre des vieux jours,

Parlé des vieux amis et des vieilles amours ;

Et, depuis ce moment, comme une ombre incertaine,

Je revois s'agiter ma jeunesse lointaine.

Aussi je suis venu, tout triste et tout blessé,

M'asseoir auprès de vous, et parler du passé.

LA MARQUISE

Moi, depuis le matin, l'horrible froid m'assiége ;

J'entends souffler le vent, je vois tomber la neige.

A notre âge, l'hiver afflige et fait souffrir ;

Quand il gèle bien fort on croit qu'on va mourir.

Oui, causons, car un bon souvenir de jeunesse

Ravive par instants notre froide vieillesse.

C'est un peu de soleil...

LE COMTE

Mais dans un jour d'hiver ;

Mon soleil est bien pâle et mon ciel bien couvert.

LA MARQUISE

Allons racontez-moi quelque folle équipée.

Vous étiez, dit l'histoire, un grand traîneur d'épée,

Jadis, monsieur le comte, insolent, beau garçon,

Riche, bon gentilhomme et de fière façon ;

Vous avez fait scandale, et croisé votre lame

Avec plus d'un mari ; car une belle dame,

Un soir que nous causions, m'a raconté, tout bas,

Que tous les cœurs sauraient au seul bruit de vos pas.

Si l'on ne m'a menti, vous avez été page,

Grand coureur de ruelle et faiseur de tapage ;

Et vous avez dormi quatre mois en prison

Pour un certain manant pendu dans sa maison,

Lequel avait, dit-on, femme jeune et jolie.

La femme d'un manant, comte, quelle folie !

Quatre mois en prison pour cela ! C'eût été

Dame de haute race et de grande beauté,

Soit... Voyons, prouvez-moi quelque galante histoire

De grande dame ; amour romanesque, et l'armoire

Classique où le mari, dans ses retours subits,

Surprend l'amant transi parmi les vieux habits.

LE COMTE

Et pourquoi donc toujours, toujours la grande dame ?

Les autres, cependant, plaisent aussi : la femme

Est faite pour charmer, qu'elle soit noble ou non.

La grâce est sans aïeux et la beauté sans nom.

LA MARQUISE

Merci ! Je ne veux point de vos amours banales.

Vous avez autre chose au fond de vos annales,

Cher comte, et maintenant, je vous écoute. Allez !

LE COMTE

Il faut vous obéir, puisque vous le voulez.

Ah ! certes, le proverbe est bien vrai, sur mon âme,

Qui prétend que Dieu veut ce que veut une femme.

Quand je vins â la Cour j'étais sentimental ;

J'ouvris bientôt les yeux ; le réveil fut brutal

Par exemple. J'aimai, j'aimai la toute belle

Comtesse de Paulé. Je la croyais fidèle.

Je la surpris, un soir, aux bras d'un autre amant ;

J'en eus le cœur brisé, marquise, et sottement