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Gilberte ! Gilberte !

GILBERTE, quittant le bras de Jean

Ma tante ?

MADAME DE RONCHARD

Le café, mon enfant !

GILBERTE, s’approchant de la table

J’y vais, ma tante.

MADAME DE RONCHARD

Prends garde à ta robe !

LÉON, accourant

Mais non, mais non, ce n’est pas ma sœur qui sert le café aujourd’hui. Le jour de son mariage ! C’est moi qui m’en charge. (A Mme de Ronchard.) Vous savez que je peux tout faire, ma tante, en ma qualité d’avocat.

MADAME DE RONCHARD

Oh ! je connais tes mérites, Léon, et je les apprécie...

LÉON, riant, en lui présentant une tasse

Trop bonne.

MADAME DE RONCHARD, après avoir pris la tasse, sèche

... pour ce qu’ils valent !

LÉON, à lui-même, retournant à la table

V’lan ! le petit coup de patte... Ça ne manque jamais. (Offrant une autre tasse à Martinel.) Trois morceaux, n’est-ce pas, Monsieur Martinel, et un peu de fine champagne ? Je sais vos goûts. Nous vous soignerons bien, allez !

MARTINEL

Merci, mon ami.

LÉON, à son père

Tu en prends, père ?

PETITPRÉ

Oui, mon fils.

LÉON, aux jeunes mariés qui se sont assis à gauche et causent à voix basse

Et vous les jeunes époux ?

Les jeunes gens absorbés ne répondent pas.

La cause est entendue !

Il replace la tasse sur la table.

PETITPRÉ, à Martinel

Vous ne fumez pas, je crois ?

MARTINEL

Jamais, merci.

MADAME DE RONCHARD

Ça m’étonne. Mon frère et Léon ne s’en passeraient pour rien au monde, même un jour comme celui-ci... Quelle horreur que le cigare !

PETITPRÉ

Une bonne horreur, Clarisse.

LÉON, allant à sa tante

Presque toutes les horreurs sont bonnes, ma tante ; j’en connais d’exquises.

MADAME DE RONCHARD

Polisson !

PETITPRÉ, prenant le bras de son fils

Viens fumer dans le billard, puisque ta tante n’aime pas ça !

LÉON, à non père

Le jour où elle aimera quelque chose en dehors de ses caniches !...

PETITPRÉ

Allons, tais-toi.

Ils sortent l’un et l’autre par le fond.

MARTINEL, à Mme de Ronchard

Voilà les mariages comme je les aime et comme on n’en fait pas souvent ici, dans votre Paris. Après le lunch, offert en sortant de l’église, tous les invités s’en vont, même les demoiselles d’honneur et les garçons d’honneur. On reste en famille, puis on dîne avec quelques parents. Partie de billard ou partie de cartes, comme tous les jours ; flirt entre les mariés...

A ce moment, Gilberte et Jean se lèvent et sortent lentement par le fond, en se donnant le bras.

…puis, avant minuit, dodo.

MADAME DE RONCHARD, à part

Ce qu’il est commun !

MARTINEL, va s’asseoir à droite, sur le canapé, à côté de Mme de Ronchard

Quant aux jeunes gens, au lieu de partir pour l’absurde voyage traditionnel, ils se rendent tout bonnement dans le petit logis préparé pour eux. Je sais bien que vous trouvez que ça manque de chic, de genre, de flafla. Tant pis ! j’aime ça, moi.

MADAME DE RONCHARD

Ce n’est pas dans les usages du monde, Monsieur !

MARTINEL

Le monde ! Il y en a trente-six mille mondes. Tenez, rien qu’au Havre...

MADAME DE RONCHARD

Je ne connais que le nôtre...

Se reprenant.

le mien, qui est le bon.

MARTINEL

Naturellement. Enfin, Madame, tout simple qu’il soit, il est fait ce mariage, et j’espère que vous avez admis en grâce mon pauvre neveu, qui jusqu’ici...

MADAME DE RONCHARD

Il le faut bien, puisqu’il est le gendre de mon frère et le mari de ma nièce.

MARTINEL

Ça n’a pas été tout seul, hein ? Je suis joliment content que ce soit fini, moi, quoique j’aie passé ma vie dans les difficultés...

MADAME DE RONCHARD

Vous ?

MARTINEL

... les difficultés commerciales et non matrimoniales.

MADAME DE RONCHARD

Vous parlez de difficultés, vous, un Crésus, qui donnez cinq cent mille francs de dot à votre neveu ! (Avec un soupir.) Cinq cent mille francs ! ce que m’a mangé feu mon mari...

MARTINEL

Oui... Je sais que M. de Ronchard...

MADAME DE RONCHARD, soupirant

Ruinée et abandonnée après un an de mariage, Monsieur, un an !... Juste le temps de comprendre combien j’aurais pu être heureuse ! Car il avait su se faire adorer, le misérable !

MARTINEL

Une canaille, enfin !

MADAME DE RONCHARD

Oh ! Monsieur ! C’était un homme du monde.

MARTINEL

Ça n’empêche pas...

MADAME DE RONCHARD

Mais ne parlons pas de mes malheurs. Ce serait trop long et trop triste. Tout le monde est si heureux ici.

MARTINEL

Et moi plus que tout le monde, je l’avoue. C’est un si brave garçon que mon neveu ! Je l’aime comme un fils. Moi, j’ai fait ma fortune dans le commerce...

MADAME DE RONCHARD, à part

Ça se voit.

MARTINEL

... le commerce maritime ; lui, il est en train de faire la gloire de notre nom par sa renommée d’artiste ; il gagne de l’argent avec ses pinceaux comme j’en ai gagné avec mes bateaux. Les arts, aujourd’hui, Madame, ça rapporte autant que le commerce et c’est moins aléatoire. Par exemple, s’il est arrivé aussi vite, c’est bien à moi qu’il le doit. Mon pauvre frère mort, et sa femme l’ayant suivi de près, je me suis trouvé, garçon, seul avec le petit. Dame ! je lui ai fait apprendre tout ce que j’ai pu. Il a tâté la science, la chimie, la musique, la littérature. Mais il mordait au dessin plus qu’à tout le reste. Ma foi, je l’ai poussé de ce côté. Vous voyez que ça a réussi. A trente ans, il est célèbre, il vient d’être décoré...

MADAME DE RONCHARD

Décoré à trente ans, c’est tard pour un peintre.

MARTINEL

Bah ! il rattrapera le temps perdu. (Se levant.) Mais, je bavarde, je bavarde... Excusez-moi. Je suis un homme tout rond. Et puis, je suis un peu animé par le dîner. C’est la faute à Petitpré, son bourgogne est excellent, un vrai vin de conseiller à la Cour. Et nous buvons bien, au Havre !