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Il va finir son verre de fine champagne.

MADAME DE RONCHARD, à part

En est-il assez, du Havre !

MARTINEL, revenant à Mme de Ronchard

Là ! voir la paix faite entre nous, n’est-ce pas ? une vraie paix qui dure, que ne rompt pas une niaiserie comme celle qui a failli rompre ce mariage.

MADAME DE RONCHARD, se levant et passant à gauche

Une niaiserie ?... Vous en parlez bien à votre aise ! Mais puisque c’est chose faite... C’est égal, je rêvais pour ma nièce un autre... berger que celui-là. Enfin, faute de grive, on mange un merle, comme dit le proverbe.

MARTINEL

Un merle blanc, Madame ! Quant à votre nièce, c’est une perle. Et le bonheur de ces enfants fera le bonheur de mes derniers jours.

MADAME DE RONCHARD

Je le souhaite, sans oser l’espérer, Monsieur.

MARTINEL

Allez ! je possède bien la connaissance des mérites des femmes... et des vins supérieurs.

MADAME DE RONCHARD, à part

Surtout !

MARTINEL

Voilà tout ce qu’il faut dans la vie.

Scene II

LES MEMES, plus PETITPRÉ, paraissant au fond, avec LÉON.

PETITPRÉ

Puisque ça se passe comme tous les jours, voulez-vous faire une partie de billard avec moi, Monsieur Martinel ?

MARTINEL

Je crois bien. J’adore le billard.

LÉON, descendant

Comme papa !... Et il paraît que quand on aime le billard, c’est une passion. Vous êtes deux petits passionnés, quoi !

MARTINEL

Voyez-vous, mon garçon, quand on avance dans l’existence, et qu’on n’a pas de famille, il faut bien se réfugier dans ces plaisirs-là. Avec la pêche à la ligne pour le matin, le billard pour le soir, on possède deux goûts sérieux et captivants.

LÉON

Oh-oh ! La pêche à la ligne ! Se lever de grand matin ; s’asseoir, les pieds dans l’eau, sous la pluie et le vent, dans l’espoir de prendre tous les quarts d’heure un poisson gros comme une allumette... Un goût captivant, ça ?

MARTINEL

Mais sans doute. Croyez-vous qu’il y ait un amoureux au monde capable d’en faire autant pour une femme pendant dix, douze ou quinze ans de sa vie ? Allons donc, il y renoncerait au bout de quinze jours !

MADAME DE RONCHARD

Ah ! certes !

LÉON

Moi, je me connais... Je n’attendrais pas la semaine !

MARTINEL

Vous voyez bien.

PETITPRÉ

Allons, mon cher Martinel. En cinquante, voulez-vous ?

MARTINEL

En cinquante, ça va ! A tout à l’heure, Madame de Ronchard !

MADAME DE RONCHARD

En est-il assez, du Havre !

Martinel et Petitpré sortent par le fond.

Scene III

LÉON ; MADAME DE RONCHARD

LÉON

C’est un brave homme, ce M. Martinel. Peu cultivé, mais gai comme le soleil et droit comme une règle.

MADAME DE RONCHARD, assise à gauche

Il manque de distinction.

LÉON, s’oubliant

Et vous, ma tante !

MADAME DE RONCHARD

Tu dis ?

LÉON, se reprenant et allant à elle

Je dis : Et vous, ma tante... Vous vous y connaissez... et vous pouvez juger mieux que personne... avec votre grande habitude du monde.

MADAME DE RONCHARD

Mais certainement ! Tu étais trop gamin pour t’en souvenir, mais j’ai été beaucoup dans le monde autrefois, avant ma ruine. J’y ai même eu des succès. A un grand bal de l’ambassade ottomane, où j’étais costumée en Salammbô...

LÉON

Vous ! en Carthaginoise

MADAME DE RONCHARD

Certainement, en Carthaginoise... Et j’étais joliment bien, va ! C’était en mil huit cent soixante...

LÉON, s’asseyant près d’elle

Pas de dates ! je ne demande pas de dates !

MADAME DE RONCHARD

Ne sois pas ironique.

LÉON

Ironique, moi ? A Dieu ne plaise ! Seulement, comme vous ne vouliez pas de ce mariage et que moi j’en voulais et que ce mariage s’est fait... je suis content, que voulez-vous ? Je triomphe, je triomphe même bruyamment ce soir... Mais demain, envolé le triomphateur... Plus rien qu’un petit neveu respectueux, gentil... gentil... Allons, faites risette, ma tante. Vous n’êtes pas aussi méchante que ça, au fond, puisque vous avez eu la grandeur d’âme de fonder, à Neuilly, malgré votre fortune modeste, un hôpital... pour les chiens errants.

MADAME DE RONCHARD

Que veux-tu ? quand on est seule, quand on n’a pas d’enfants... J’ai été si peu mariée !... Qu’est-ce que je suis, moi, au fond ? Une vieille fille, et, comme toutes les vieilles filles...

LÉON

Vous aimez les petits chiens...

MADAME DE RONCHARD

Autant que je déteste les hommes !

LÉON

Vous voulez dire un homme, votre mari. Et en ça vous n’avez pas tort.

MADAME DE RONCHARD

Et tu savais pour quelle femme, pour quelle fille, il m’a abandonnée, ruinée !... Tu ne l’as jamais vue, toi, cette femme ?

LÉON

Pardonnez-moi... une fois, aux Champs-Élysées. Je me promenais avec vous et papa. Un monsieur et une dame venaient à nous, vous avez été très émue, vous avez pressé le pas, tiré fiévreusement le bras de mon père et j’ai entendu que vous lui disiez à voix basse : « Ne regarde pas ! C’est elle ! »

MADAME DE RONCHARD

Alors, qu’est-ce que tu as fait, toi ?

LÉON

Moi ? J’ai regardé !

MADAME DE RONCHARD, se levant

Et tu l’as trouvée horrible, hein ?

LÉON

Je ne sais pas, j’avais onze ans.

MADAME DE RONCHARD, passant à droite

Tu est insupportable ! Tiens, je te battrais.

LÉON, câlin, se levant

Eh bien ! non, là ! vrai ! c’est la dernière fois. Je ne serai plus méchant, je vous le promets ! Pardonnez-moi.

MADAME DE RONCHARD, faisant mine de sortir par le fond

Non !

LÉON

Si !

MADAME DE RONCHARD, revenant

Non ! Si tu n’étais que taquin à mon égard, passe encore. Je sais me défendre. Mais tu as été imprudent vis-à-vis de ta sœur. Et cela, c’est plus grave !