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C’est toi qui m’as donné l’amour de ta sœur. Tâche encore une fois de me le conserver !

Il sort vivement par la droite.

Scène IX

MARTINEL ; LÉON.

MARTINEL, assis à droite

Qu’est-ce que nous allons faire maintenant ? Qu’est-ce que nous allons dire ? Quelles explications allons-nous donner ?

LÉON

Laissez-moi annoncer ça ; c’est bien juste que ce soit moi, puisque j’ai fait le mariage !

MARTINEL, se levant

N’importe. J’aimerais mieux être plus vieux de vingt-quatre heures. Ah ! non, je n’apprécie pas les drames de l’amour. Et puis cette question d’enfant est épouvantable. Que va-t-il devenir, ce mioche-là ? On ne peut pourtant pas le mettre aux Enfants-Trouvés ! (Apercevant Gilberte.) Gilberte !

Scene X

LES MEMES ; GILBERTE, arrivant par la gauche. Elle a quitté sa robe de mariée et a revêtu une robe élégante. Elle tient un manteau de soirée qu’elle place, en entrant, sur une chaise.

GILBERTE

Où est donc Jean ?

LÉON

Sois sans inquiétude, il va revenir tout à l’heure.

GILBERTE, stupéfaite

Il est sorti ?

LÉON

Oui.

GILBERTE

Il est sorti ! lui ! Ce soir ?

LÉON

Une circonstance, une circonstance grave, l’a forcé à s’absenter une heure !

GILBERTE

Qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce que tu me caches ? C’est impossible. Il y a un malheur d’arrivé.

LÉON et MARTINEL

Mais non, mais non !

GILBERTE

Lequel ? Dis, parle.

LÉON

Je ne peux rien dire. Attends une heure, c’est à lui seul qu’il appartient de te révéler la cause imprévue et sacrée qui l’a fait sortir en un pareil moment.

GILBERTE

Quels mots tu emploies !... La cause imprévue et sacrée ? Mais il est orphelin... Il n’a pas d’autres parents que son oncle. Alors, quoi ? qui ? pourquoi ? Dieu ! que j’ai peur !

LÉON

Il y a des devoirs de toute sorte. L’amitié, la pitié, la compassion peuvent en imposer. Je ne dois rien dire de plus. Aie une heure de patience...

GILBERTE, à Martinel

Vous, vous, son oncle, parlez, je vous en supplie ! Que fait-il ? Où est-il allé ? Je sens, oh ! je sens un affreux malheur sur moi, sur nous. Parlez, je vous en supplie !

MARTINEL, les larmes aux yeux

Mais je ne peux pas parler non plus, ma chère enfant ! je ne peux pas. Comme votre frère, j’ai promis de me taire, et j’aurais fait ce que fait Jean. Attendez une heure, rien qu’une heure.

GILBERTE

Vous êtes ému ! Il y a une catastrophe !

MARTINEL

Mais non, mais non ! Je suis ému de vous voir ainsi bouleversée, car je vous aime aussi de tout mon cœur.

Il l’embrasse.

GILBERTE, à son frère

Tu as parlé d’amitié, de pitié, de compassion ?... Mais toutes ces raisons-là, on peut les avouer. Tandis qu’ici, en vous regardant tous les deux, je sens une chose inavouable, un mystère qui me fait peur !

LÉON, résolument

Petite sœur, tu as confiance en moi ?

GILBERTE

Oui. Tu le sais bien.

LÉON

Absolument ?

GILBERTE

Absolument !

LÉON

Je te jure sur mon honneur que j’aurais agi tout à fait comme Jean, et que sa probité’ vis-à-vis de toi, sa probité peut-être exagérée depuis qu’il t’aime, est la seule cause qui lui ait laissé ignorer jusqu’à ce moment le secret qu’il vient d’apprendre.

GILBERTE, regardant son frère dans les yeux

Je te crois, merci. Cependant, je tremble encore, et je tremblerai jusqu’à son retour. Puisque tu me jures que mon mari était ignorant de ce qui l’a fait me quitter en ce moment, je serai résignée, aussi forte que je le pourrai, et j’ai confiance en vous deux.

Elle tend la main aux deux hommes.

Scene XI

LES MÊMES ; MONSIEUR DE PETITPRÉ ; MADAME DE RONCHARD entrant en même temps et vite par le fond.

PETITPRÉ

Qu’est-ce que j’apprends ? M. Jean Martinel vient de partir ?

MARTINEL

Il va revenir, Monsieur.

PELLERIN

Mais comment est-il parti, un soir comme celui-ci, sans un mot d’explication à sa femme ? Car tu ne le savais point, n’est-ce pas ?

GILBERTE, assise à gauche de la table

Mon père, je ne le savais point.

MADAME DE RONCHARD

Et sans un mot d’explication à la famille ? C’est un manque de distinction !

PETITPRÉ, à Martinel

Et quelle est la raison qui l’a fait agir ainsi, Monsieur ?

MARTINEL

Votre fils la sait comme moi, Monsieur ; mais nous ne pouvons la révéler ni l’un ni l’autre. Votre fille, d’ailleurs, consent à l’ignorer jusqu’au retour de son mari.

PETITPRÉ

Ma fille consent... mais je ne consens pas, moi. Car enfin, vous seul avez été prévenu de ce départ...

MADAME DE RONCHARD, frémissante, à Martinel

C’est à vous qu’on a remis la lettre... C’est vous qui l’avez lue le premier.

MARTINEL

Vous êtes déjà bien renseignée, Madame. Il existe une lettre en effet. Mais je ne voulais pas garder la responsabilité de cette affaire, j’ai communiqué la lettre à votre fils, Monsieur, en lui demandant son avis avec l’intention de le suivre.

LÉON

Le conseil que j’ai donné est absolument conforme à ce qu’a fait mon beau-frère, de sa propre impulsion d’ailleurs, et je l’en estime davantage.

PETITPRÉ, allant à Léon

C’est moi qui devais être consulté et non toi. Si l’action est au fond excusable, le manque d’égards est absolu, impardonnable.

MADAME DE RONCHARD

Un scandale !

LÉON, à son père.

Oui, il eût mieux valu te consulter, mais l’urgence ne le permettait pas. Tu aurais discuté, toi ; ma tante aurait discuté, nous aurions tous discuté, toute la nuit ; et en certains cas il ne faut pas perdre les secondes. Le silence était indispensable, jusqu’au retour de Jean. Il ne vous cachera rien, et tu jugeras, je l’espère, comme j’ai jugé moi-même.

MADAME DE RONCHARD, allant à Martinel

Mais cette lettre ? De qui venait-elle, cette lettre ?