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JACQUES DE VALDEROSE, irrité.

Moi, je n’ai rien dans l’esprit que je cache,

J’ai le cœur assez grand pour aspirer à tout,

Assez haut pour ne rien craindre.

LUC DE KERLEVAN

Tu n’es qu’un fou.

JACQUES DE VALDEROSE

Allons, viens ; je parie un baiser de ma dame ;

Et si je perds, eh bien ! par le Christ et mon âme,

Je te paierai ma dette avant qu’il soit un an !

LUC DE KERLEVAN

Tiens, laisse-moi jouer.

JACQUES DE VALDEROSE

Ah ! tu crains, Kerlevan !

LUC DE KERLEVAN

Je crains que ta beauté soit vieille, borgne ou louche !

JACQUES DE VALDEROSE

Par le ciel, tu seras baisé de telle bouche

Que tu t’en vanteras le reste de tes jours !

LUC DE KERLEVAN

Toi, tu seras baisé par le bec des vautours !

JACQUES DE VALDEROSE

As-tu peur ? As-tu peur ?

LUC DE KERLEVAN, se levant.

Eh bien ! soit, mais prends garde,

Je te malmènerai, Jacques.

Boisrosé et Lournye s’approchent pour voir.

JACQUES DE VALDEROSE

Qu’on nous regarde.

YVES DE BOISROSÉ, riant en faisant danser son ventre.

Son épée est, ma foi, plus haute que son front.

Çà, lequel soutient l’autre ?

JACQUES DE VALDEROSE

Oh ! toi, l’homme tout rond,

Je te défie après.

YVES DE BOISROSÉ, riant.

Tu n’y tiendras plus guère !

Mon gros ventre est sorti sans trou de tant de guerres

Qu’on ne le crève pas.

Jacques de Valderose porte à Kerlevan plusieurs bottes sans pouvoir l’atteindre. Celui-ci, d’un revers de son épée, désarme le page et jette sa toque à dix mètres de lui, puis pose son arme tranquillement contre le mur.

YVES DE BOISROSÉ

C’est pour toi, cette fois ;

Kerlevan la veut jeune avec un frais minois.

ÉTIENNE DE LOURNYE, ramassant la toque de son camarade.

Il aurait pu du coup te fendre la cervelle.

Scene II

LES MÊMES, plus PIERRE DE KERSAC

PIERRE DE KERSAC, entrant vivement.

Messieurs, je vous apporte une triste nouvelle :

Le duc est prisonnier !

LUC DE KERLEVAN

Charles de Blois ?

PIERRE DE KERSAC

Montfort

L’emporte, et son soutien, l’Anglais, est le plus fort.

Il est maître partout, la Bretagne est sa proie :

Et Jeanne de Montfort, ravie en grande joie,

Jusqu’à la nuit venue, au seuil de son palais,

Sur la bouche baisa les chevaliers anglais !...

LUC DE KERLEVAN

Si l’Anglais règne ici, ce sera son ouvrage.

JACQUES DE VALDEROSE

Elle est brave du moins.

LUC DE KERLEVAN

Qu’importe le courage ?

Elle ouvrit la Bretagne aux Anglais.

JACQUES DE VALDEROSE

Mais les droits

Paraissent fort douteux entre Montfort et Blois.

LUC DE KERLEVAN

Mais Montfort c’est l’Anglais, Charles de Blois la France.

JACQUES DE VALDEROSE, à Kersac.

Tout est perdu ?

PIERRE DE KERSAC

Jamais on ne perd l’espérance !

Car Jeanne de Penthièvre appelle auprès de soi

Tout Français et Breton resté fidèle au Roi ;

Elle est fière et hardie autant que sa rivale.

Pour ceux qui n’ont point peur la fortune est égale.

Soyons les plus vaillants si les droits sont douteux.

Or, les chefs à présent sont partis tous les deux.

Blois prisonnier, Monfort tué par la Bastille.

La Bretagne est l’enjeu des femmes.

ÉTIENNE DE LOURNYE

On la pille,

On l’écrase, on la tue.

LUC DE KERLEVAN

Eh bien ! tant mieux pour nous,

Car je voudrais qu’on eût du sang jusqu’aux genoux !

Il laisse, ce sang-là, dans la terre inféconde

La haine des Anglais acharnée et profonde.

ÉTIENNE DE LOURNYE

Et nous ? Qu’allons-nous faire ?

LUC DE KERLEVAN

Espérons bien au moins

Ne pas rester ici d’inutiles témoins.

PIERRE DE KERSAC

Hélas, vous vous trompez, nous resterons encore

Comme garde laissée à la comtesse Isaure ;

Car le comte est parti tout à l’heure, emmenant

Tout son monde, soldat et gueux, noble et manant.

Ah ! le comte de Rhune est loyal et fidèle ;

Mais j’ai peur de sa femme, elle est fourbe.

JACQUES DE VALDEROSE

Et bien belle !

PIERRE DE KERSAC

On ne comprend jamais ce qu’elle a dans l’esprit,

Car son front est méchant quand sa bouche sourit.

JACQUES DE VALDEROSE

Elle a des yeux ainsi qu’on rêve ceux des anges.

HUGUES DE KERSAC

Mais on y voit passer des lumières étranges

Comme des feux d’Enfer.

JACQUES DE VALDEROSE

Elle est bien belle.

LUC DE KERLEVAN, sévèrement à Valderose.

Elle est

Notre maîtresse.

PIERRE DE KERSAC

Moi, je pense qu’elle hait

Quelqu’un obstinément.

JACQUES DE VALDEROSE

Ou peut-être qu’elle aime.

Scene III

LES MÊMES, LA COMTESSE et SUZANNE D’ÉGLOU

LA COMTESSE

Messieurs, je vous salue, ayant voulu moi-même

Voir tous les défenseurs demeurés avec moi ;

Car le comte est parti joindre le camp du Roi.

Nous restons seuls avec quatre-vingts hommes d’armes ;

Mais votre grand courage empêche mes alarmes.

Elle s’assied sur un fauteuil que lui présente Kersac. Suzanne d’Eglou s’appuie au dossier.

Que faites-vous ici du matin jusqu’au soir ?

Vous maniez les dés, vous jouez blanc ou noir ?

YVES DE BOISROSÉ

Non, madame, nos mains sont souvent occupées

A manier les pieux et les lourdes épées,

Pour n’être point trop gros quand Monseigneur le Roi