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SUZANNE D’ÉGLOU

J’en sais d’autres encore, et ce n’est point ici.

L’amitié d’une femme est un moindre souci

Pour un cœur noble et fort que l’amour de la France.

JACQUES DE VALDEROSE

Quand l’amour du pays est une âpre souffrance,

Que le fer le ravage et que la flamme y luit,

Et que l’on n’y peut rien que de pleurer sur lui,

L’amitié d’une femme un instant nous console.

SUZANNE D’ÉGLOU

L’homme qui s’y repose a l’âme vile et molle

Et trouve son plaisir plus cher que son devoir.

Acte deuxieme

Scene premiere

LA COMTESSE, JACQUES DE VALDEROSE

Le théâtre représente une salle du château de Rhune qui sert d’oratoire à la Comtesse. Sorte de chapelle à gauche. Portes des deux cités de la scène ; fenêtres au fond.

Valderose est aux genoux de la Comtesse assise dans un fauteuil et tient une main dans les siennes en la regardant avec amour.

JACQUES DE VALDEROSE

Oh ! je voudrais rester ainsi ma vie entière.

Vous m’aimez ! c’est donc vrai ! vous, ma maîtresse altière,

Puissante et noble, à l’œil sévère et redouté ;

Vous dont je contemplais la sereine beauté

Ainsi que l’on regarde une étoile lointaine ;

Vous dont je redoutais la parole hautaine.

LA COMTESSE

Savez-vous maintenant ce que c’est que l’amour ?

JACQUES DE VALDEROSE

On ne le sait jamais, on l’apprend chaque jour.

LA COMTESSE

Comment l’apprenez-vous ?

JACQUES DE VALDEROSE

En vous voyant sans cesse.

LA COMTESSE

Et cela vous suffit ?

JACQUES DE VALDEROSE

C’est trop pour ma bassesse.

LA COMTESSE

L’amour ne connaît point bassesse ni grandeur.

S’aimer, c’est être égal.

JACQUES DE VALDEROSE

Je vous aime.

LA COMTESSE

Candeur

D’enfant ; un mot n’est rien ; mais l’amour est immense,

Qu’est-ce que c’est ?

JACQUES DE VALDEROSE

Le ciel espéré qui commence.

Un bonheur si parfait qu’on ne le comprend point.

LA COMTESSE

Non, ce n’est pas cela, qu’est-ce donc ?

JACQUES DE VALDEROSE

Un besoin

De tenir dans ma main votre main qui la touche,

De respirer l’air pur qui vient de votre bouche,

D’écouter votre robe en vous voyant passer,

De sentir tout à coup votre œil me caresser,

M’emplissant de chaleurs et de clartés d’aurore,

Superbe et doux, tout noir de choses que j’ignore,

Que je voudrais comprendre et que je crains un peu.

LA COMTESSE

Non. Ce n’est point cela. Qu’est-ce que c’est ?

JACQUES DE VALDEROSE

Un feu

Qui change la poitrine en un brasier de forge,

Un volcan de baisers qui montent à la gorge

Prêts à jaillir.

LA COMTESSE

Non.

JACQUES DE VALDEROSE

C’est l’âme du bonheur.

LA COMTESSE

Non.

JACQUES DE VALDEROSE

C’est l’infini qui s’ouvre ainsi qu’un horizon.

LA COMTESSE

Non. C’est le dévouement sublime et la souffrance ;

Le moment de la vie où finit l’espérance.

On aime, c’est assez. Aimer, c’est l’abandon

Complet de soi, l’entier sacrifice, le don

De son corps, de son sang, de son cœur, de son être,

De tout rêve, de tout désir qui nous pénètre,

Et de l’honneur humain pour un autre plus grand :

Un besoin de donner plus encor qu’on ne prend,

De vivre l’un pour l’autre et de mourir de même ;

Comprenez-vous cela ? Mourir pour qui l’on aime !

JACQUES DE VALDEROSE

Je ne vois, je ne sens, je ne comprends enfin

Que ceci : « Je vous aime. » Ô maîtresse, j’ai faim

De votre voix, j’ai soif de vos regards ; j’adore

Votre être tout entier. Je vous aime. J’ignore,

Je méprise, je hais tout ce qui n’est pas vous.

Oui, je voudrais mourir d’amour à vos genoux.

LA COMTESSE, impatientée.

Oh ! que tu comprends mal l’amour, enfant timide !

Tu parles de tendresse avec ton œil humide

Et des roucoulements d’oisel. Qu’est tout cela

Près de l’emportement terrible que j’ai là ?

As-tu pendant des nuits senti ta chair se tordre

Et ton corps sangloter, et la rage te mordre

A la gorge, et sonner dans ton sein, comme un glas,

Le dégoût d’un passé qui ne s’efface pas.

Dans ton cœur déchiré que le désir affame

As-tu jamais songé que, moi, je fus la femme

D’un autre, qu’il m’aima d’amour, qu’il me fut cher,

Et qu’on n’arrache pas ses baisers de ma chair,

Que l’âme comme un corps se flétrit aux caresses,

Et qu’elle est moins entière aux secondes tendresses.

Es-tu jaloux ?

JACQUES DE VALDEROSE

Jaloux de qui ?

LA COMTESSE

De mon passé.

JACQUES DE VALDEROSE

Non, puisque vous m’aimez.

LA COMTESSE

Songe qu’il a laissé

Sa trace dans mon cœur ainsi que sur ma lèvre.

JACQUES DE VALDEROSE

Taisez-vous ; chaque mot me brûle d’une fièvre

Atroce, je ne veux rien savoir.

LA COMTESSE

Me crois-tu,

Enfant faible et craintif, de si courte vertu

Que je cède au premier empressement d’un homme,

Ainsi qu’au son du cor une ville qu’on somme ?

Pour entrer dans la place, il faut être vainqueur,

Il faut avoir souffert pour entrer dans mon cœur.

Mieux qu’une forteresse on doit savoir me prendre,

L’assaut est périlleux, car, avant de me rendre,

Je te ferai verser des larmes et-du sang.

JACQUES DE VALDEROSE

Pourtant, je ne vois point de péril si pressant

Qui me force à subir une pareille épreuve.

LA COMTESSE

Mais si le roi Philippe apprend que je suis veuve,

Moi qui tiens trois châteaux de France en mon giron,

Alors, il m’enverra quelque puissant baron,

Pour accomplir du Roi la volonté jalouse