Celui en ut (KV 467) est bien le « Jupiter » des concertos ; celui en mi bémol (KV 482) est un pur ravissement, qui n’ignore pas pour autant la peine profonde et la fine mélancolie des fins d’automne ou le lyrisme de Cosi. Mais le chef-d’oeuvre des chefs-d’oeuvre, c’est l’ultime concerto en si bémol (KV 595), écrit quelques mois avant la mort du musicien : extrême économie et concentration des moyens, rondo débouchant sur une sorte de chanson enfantine appelant le « beau mois de mai » et larghetto central qui est une des plus profondes révélations de toute la musique.
Pour l’église et
pour les loges
Sur les soixante grandes partitions destinées à l’église, deux seulement ont été commandées à Mozart : la messe en ut mineur (KV 139 ou, plus exactement, KV 47b) et le Requiem. Or, cette messe (KV 47b) du musicien de douze ans ne relève en rien de l’esthétique de la musique sacrée de son temps ; sans même recourir à des cantus firmus gré-
goriens, aux modes ecclésiastiques ou apparentés — ce qu’il fera ailleurs —, il y a là un recueillement et une gravité, une intensité dramatique et spirituelle qui nous surprennent encore.
Quelle profondeur d’accent, étrangère
à toutes les habitudes du genre, dans le Salus infirmorum de telles litanies (KV 186d) de l’adolescent, dans le Kyrie de Munich (KV 368a) ou dans tel psaume des Vêpres (KV 321 et
339), surtout l’inoubliable Laudate Dominum (KV 339) ! Et que dire de la grande messe « votive » en ut mineur (KV 417a), de son double choeur sur le Qui tollis ou de ce sommet solitaire de l’Et incarnatus est, où Mozart atteint plus que le « jubilus » grégorien, presque le chant d’un oiseau louant naturellement la source d’amour de l’univers. L’Ave verum (KV 618) demeure une référence démontrant qu’il est parfaitement possible au génie d’unir le style le plus neuf et le plus personnel à une profondeur d’expression immédiatement perceptible au point de paraître intemporelle. Mais, même dans une oeuvre aussi parfaitement conforme aux canons de l’époque que la Messe du Couronnement (KV 317), les mots
« et sepultus est » sont traduits par un motif que l’on retrouvera dans l’Ode funèbre maçonnique (KV 479a). Et
depuis que nous connaissons l’histoire exacte du Requiem (KV 626) et que nous savons ce qui est de la main de Mozart, nous pouvons mieux apprécier ce chef-d’oeuvre inachevé. Il faut espé-
rer que le temps n’est pas loin où l’on comprendra l’envergure de l’oratorio Betulia liberata (KV 118, mais qui devrait être KV 75c ou 93e), si curieusement négligé par la postérité.
La musique destinée à la liturgie des loges maçonniques dont il fit partie constitue l’autre volet de la musique sacrée de Mozart. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve dans l’Ode funèbre (KV 479a) le cantus firmus grégorien emprunté à la musique traditionnelle des défunts et que le musicien reprendra dans le Requiem. Il ne reste que deux pages d’une suite instrumentale destinée à la tenue des loges (KV 440a et 440d), mais elles se situent dans l’univers spirituel du trio KV 593, du dernier concerto pour clavier et du concerto pour clarinette. Dans certaines cantates maçonniques (KV 420a, KV 471, KV 619 et KV 623), on trouve des pages atteignant les sommets des messes et de la la Flûte enchantée. Enfin, il ne faut pas oublier que Mozart, auteur d’admi-
rables mélodies, est aussi l’inventeur du lied, de cette création réputée schu-bertienne et romantique, dans cette Abendempfindung an Laura (KV 523), qui est déjà un chef-d’oeuvre du genre.
Opéras de jeunesse
Le centre de gravité du monde musical de Mozart, sa référence essentielle, se situe dans le théâtre lyrique. Mais l’opéra mozartien constitue une réussite si solitaire qu’il ne se trouve rien qui puisse lui être comparé ; seule l’intimité prolongée permet d’en entrevoir les lignes de force. Les dons exceptionnels de l’enfant se révèlent dès les premières partitions ; dès Apollo et Hyacinthus (KV 38), La Finta semplice (KV 46a) et Bastien et Bastienne (KV 46b), oeuvres d’un enfant de onze ans, le génie de la caractérisation musicale des personnages et des situations apparaît clairement ; le « Singspiel »
sur le livret d’après la bergerie de Fa-vart permet d’entrevoir déjà les lieder downloadModeText.vue.download 20 sur 625
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 14
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scéniques de l’Enlèvement au sérail et de la Flûte enchantée.
Avec la « festa teatrale » ou « se-renata » Ascanio in Alba (KV 111), Mozart fait son apprentissage dans l’« opera seria », mais avec un tel éclat que le grand Hasse, assistant à la création, affirme que ce jeune homme de quinze ans « nous fera tous oublier un jour [...] ». Et, de fait, on y perçoit déjà cette vérité musicale nouvelle, ces soupirs et ces battements de coeur qui font passer de la convention à la vie frémis-sante et qui nous émeut encore. Dans Lucio Silla (KV 135), Mozart tentera même, comme il le fera une fois encore à la veille de sa mort dans La Clemenza di Tito (KV 621), de mettre en scène les grands idéaux de liberté et d’amour de l’humanité en s’adressant pour ainsi dire directement aux spectateurs à travers ses personnages. À Prague, l’im-pératrice s’en rendra si bien compte qu’elle traitera Titus de « porcheria tedesca », et le public milanais de Lucio Silla sera désorienté, lui aussi, quinze
ans plus tôt par une oeuvre si fortement en avance sur son temps.
L’étape suivante, essentielle, c’est le chef-d’oeuvre révolutionnaire qui passe en janvier 1781 sur la scène de l’Électeur de Bavière : Idomeneo, re di Creta (KV 366). Cette partition achève et dépasse le cadre de l’opera seria ; elle couronne une longue évolution culminant dans les plus belles pages de Rameau, en ouvrant les voies aux grands oratorios de Haydn et, mieux encore, aux opéras d’atmosphère comme le
Vaisseau fantôme de Wagner ; il n’était pas possible d’aller plus loin dans la transposition d’une action scénique sur le plan intérieur de l’oratorio. C’est dans Idomeneo que l’on trouve pour la première fois l’andante sostenuto, que Mozart reprendra dans Don Giovanni et dont Beethoven fera le premier mouvement de la sonate dite « au clair de lune ».
Les cinq « grands » opéras
Après Idomeneo, c’est l’Enlèvement au sérail (KV 384), le premier des cinq grands opéras mozartiens, l’épithalame adressé à Constance aussi, l’héroïne centrale portant le nom de sa femme.
Il n’y a pas un numéro de la partition qui n’exprime parfaitement et le caractère de chaque personnage et ses sentiments de l’instant ; nous savons qui va intervenir, nous pressentons ce qui va se passer, nous sommes associés à l’action dès les premières mesures de l’orchestre. Comme il faut bien classer les oeuvres dans les genres, on dit de l’Enlèvement qu’il est un singspiel* en raison du respect de certaines conventions extérieures ; il suffit, pourtant, d’étudier par exemple l’étonnant caractère musical d’Osmin pour se rendre compte qu’on en est fort loin et que la densité humaine des êtres que nous voyons agir et chanter est d’un tout autre ordre. La sympathie sincère du créateur à l’égard de tous les personnages de son oeuvre, sa conception très profonde des petites comme des grandes qualités des hommes conquiert le public le plus exigeant ; la musique de Mozart semble supprimer les
conventions du théâtre lyrique.
Les Noces de Figaro (KV 492) sont
aussi éloignées de l’opéra bouffe traditionnel que l’Enlèvement l’est du singspiel du XVIIIe s. On est immédiatement frappé par la vérité nouvelle des récitatifs secco, formule stéréotypée s’il en est d’entre tous les lieux communs de la musique dite « classique ».