même sens que la suite de tableaux entreprise par Munch vers le même temps et intitulée la Frise de la vie) atteste que la peinture, pour eux, est exercice métaphysique et moral.
Dès 1889, Munch écrivait en effet dans son Journal : « On ne peut pas peindre éternellement des femmes qui tricotent et des hommes qui lisent ; je veux représenter des êtres qui respirent, sentent, aiment et souffrent. Le spectateur doit prendre conscience de ce qu’il y a de sacré en eux, de sorte qu’il se découvrira devant eux comme à l’église. »
Le père de
l’expressionnisme
Mais, à la différence de Gauguin, chez qui la dimension du mythe l’emporte radicalement sur la dimension de l’histoire, Munch demeure essentiellement axé sur la douleur (et, dialectique-ment, sur l’espoir de la non-douleur), ce qui le destinait à devenir le peintre par excellence de ce déchirement de l’être-au-monde et de cette quasi-impossibilité de vivre sur lesquels va se fonder l’expressionnisme allemand (et autrichien). Mais, à travers Munch, on distingue parfaitement tout ce que l’expressionnisme recueille du symbolisme*, alors en plein essor. En 1892, à sa première exposition berlinoise, qui fait scandale et que l’on ferme aussitôt, la rencontre décisive avec l’Allemagne a lieu. Munch s’installe à Berlin, où il se lie avec le dramaturge suédois Strindberg*, le critique autrichien Julius Meier-Gräfe et l’esthéticien polonais Stanisław Przybyszewski ; bien que, nous l’avons vu, ce soit à Paris qu’il ait déterminé son style personnel, il se découvre plus d’affinités avec l’élite intellectuelle et artistique de la capitale allemande.
Son univers est trop torturé sans doute, trop gonflé d’émotion, trop excessif en somme pour convenir aux goûts raffinés de l’avant-garde parisienne, au sein de laquelle seul le critique Édouard Gérard se montre pleinement sensible à son art (Gauguin, d’ailleurs, n’est guère mieux accepté). Néanmoins, il revient à Paris en 1896, fréquente les milieux symbolistes, grave le portrait
de Mallarmé*, dessine pour le théâtre de l’OEuvre les décors et les costumes du Peer Gynt de son compatriote
Ibsen*, expose en 1897 au Salon des indépendants la Frise de la vie. Il s’installe de nouveau en Allemagne de 1898
à 1908, séjour entrecoupé de brefs et nombreux voyages en France, en Italie et en Norvège. En 1908, il est atteint de troubles psychiques : il ne peut traverser une rue sans l’aide d’un ou de plusieurs verres d’alcool, et des idées de persécution l’assaillent. À l’issue des huit mois qu’il passe à Copenhague dans la clinique du docteur Jacobson, il est guéri, mais il ramène de cette plongée dans les abîmes un beau texte lyrique, Alpha et oméga (1909), qui constitue si l’on veut sa version personnelle de la Genèse. Dès lors, il se réinstalle définitivement en Norvège.
La lumière de l’amour
Sur la foi des commentaires amers de Strindberg, on a parfois conclu à tort que l’oeuvre de Munch était misogyne.
Certes, il n’a pas dissimulé le rôle castrateur que peut jouer la femme dans la vie de l’homme, surtout lorsqu’elle lui retire ou lui refuse son amour (Séparation, 1894 ; Jalousie, 1896 ; la Mort de Marat, 1907), mais nul n’a mis autant de conviction dans la peinture de l’amour (le Baiser, 1895-1897).
L’amour tel qu’il le montre est chose plus effrayante que tendre, et la jeune vierge nue de Puberté (1892, musée Munch, Oslo) se glace à la fois d’espoir et de peur à cette seule pensée. Le mélange d’attirance et d’appréhension que dégagent ses figures de femmes leur confère ce rayonnement particulier que l’on trouve aussi chez les héroïnes de Gustave Moreau*, qui participent de la même célébration conjuratrice.
Redoutée en même temps que désirée, la femme s’entoure chez Munch de
toute la splendeur qui convient à ses apparitions, celle (comme chez Moreau encore, ou chez Gauguin) de la couleur portée à son rayonnement majeur et à sa densité extrême : ce flamboiement chromatique autour de la femme ou de l’idée de la femme — car, invisible, elle emplit cependant de sa présence occulte des tableaux comme le Cri ou, en 1900, l’admirable Vigne vierge rouge — est ce qui donne à la couleur,
chez Munch, cette dimension que l’on chercherait en vain chez les fauves*.
Et même dans l’oeuvre apaisée d’après 1909, si la tension intérieure devient moins apparente, le flamboiement persiste et la femme demeure, comme dans le Modèle au fauteuil de 1929, le problème toujours posé et jamais résolu.
J. P.
R. Stenersen, Edvard Munch (Stockholm, 1944). / O. Kokoschka, Der Expressionismus Edvard Munchs (Vienne, 1953). / A. Moen, Edvard Munch, Graphic Art and Painting (Oslo, 1956-1958 ; 3 vol.). / O. Benesch, Edvard Munch (Cologne, 1960). / G. Svengêns, Edvard Munch, das Universum der Melancholie (Lund, 1968).
/J. Selz, Edvard Munch (Flammarion, 1974).
Munich
En allem. MÜNCHEN, v. d’Allemagne fédérale, capitale de la Bavière ; 1 326 000 hab. (Munichois).
La ville est relativement récente.
Située sur l’Isar, à 518 m d’altitude, elle n’a été créée qu’en 1158, à l’initiative du duc Henri le Lion. C’est ainsi une création princière. Pourtant, le nom lui vient d’un établissement monacal. C’est le deuxième élément qui donna son originalité à la ville, dominée par le pouvoir princier et l’Église. Comme siège des Électeurs Wittelsbach, Munich fut un des grands centres de la Contre-Réforme en Allemagne. La fonction politique favorisa dès le XVIe s. l’épanouissement de la vie culturelle. Au XVIIIe s., les influences françaises et italiennes sont vives.
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 14
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L’obtention par la Bavière de la dignité royale, sous Napoléon Ier, consacra le rôle politique de Munich. C’est sous Louis Ier (1825-1848) que l’urbanisme prit des proportions grandioses, hissant Munich au niveau des grandes villes royales.
Les étapes
de la croissance
On peut distinguer cinq périodes dans l’histoire de la ville.
y 1158-1795. À sa naissance, Munich est une Marktsiedlung, installée sur la terrasse moyenne de la rive gauche de l’Isar. La ville occupe alors 15 ha.
La fin du XIIe s. vit une extension qui porta le territoire urbain à 91 ha. Entouré d’une enceinte qui enveloppa la vieille ville en forme de croissant, cet ensemble resta inchangé jusqu’à la fin du XVIIIe s.
y 1795-1866. La ville perd son caractère militaire, si bien qu’elle déborde l’enceinte vers le nord-ouest, où les quartiers géométriques s’implantent rapidement. Malheureusement, les
liaisons entre ces derniers et la vieille ville ne sont pas réalisées de manière satisfaisante. Le chemin de fer installé à l’ouest partage la ville occidentale en deux, créant un obstacle à l’inté-
gration des divers quartiers. Un des axes essentiels, la Maximilianstrasse, débouche brutalement sur le réseau de rues de la vieille ville.
y 1866-1900. L’industrie gagne la ville, qui se développe, entre ces deux dates, dans toutes les directions. Les communes suburbaines croissent tellement vite qu’elles sont anastomo-sées au tissu urbain (Schwabing, Bogenhausen, Nymphenburg, etc.). La rive droite de l’Isar, grâce à l’implantation de la gare de l’Est, connaît une croissance accélérée. La « Isar Vors-tadt » (faubourg de l’Isar) est aména-gée à l’est et au sud, entre la vieille ville et l’Isar. La Südbahn, réalisant la jonction entre la gare Centrale et la gare de l’Est, introduit un nouvel obstacle dans les structures urbaines.