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L’hélicoptère, décrivant une demi-parabole semblable à celle de l’eau que verse une cruche, piqua vers le sol.

Billy empoigna le corps de Gil. Mais ils étaient déjà trop près des arbres. L’hélicoptère s’y enfonça. Il fit deux tonneaux au cours desquels ses pales hachèrent les frondaisons avant de se froisser pour, finalement, se bloquer.

L’épave était suspendue dans un nid de branchages et perdait son carburant. Elle ne brûlait pas. Le tourment de fractures multiples suffisait à ses occupants.

Billy surmonta la douleur nauséeuse de ses membres brisés et ouvrit la portière. Sous ses yeux s’étageaient des entrelacs superposés de verdure traversée par le vol des aras aussi rouges que son sang qu’il croyait voir là, comme ses forces, lui échapper.

Brûlant de fièvre, dévoré de mouches et mourant de faim, Raimundo sortit du couvert des arbres et gagna la crête du barrage. Il voulut voir où l’hélicoptère était tombé. Il ne vit rien.

Il entendit pourtant, au sommet des arbres, le bruit suivi d’un silence soudain. Un sourire mauvais lui barra le visage. Le fusil à répétition trembla dans sa main lorsque, se détournant de la forêt, il parcourut des yeux la route faîtière qui se prolongeait à perte de vue vers l’est.

Comme il l’avait haï, ce barrage. D’une haine implacable. Durant tous ces jours où il s’était traîné dans la jungle, l’image du barrage avait raturé sa vision comme une lame de fer rouge qui le laissait indifférent à la torture des asticots élargissant les lèvres de ses blessures.

Et il était là, devant lui, le barrage, d’un côté noyant le monde, l’étranglant de l’autre côté.

Puis, tandis qu’il regardait, le barrage s’est bêtement trouvé fleuri de la lumière de dix mille soleils. Au centre de la corolle, un point incandescent restait douloureusement collé à sa rétine.

Il eut le réflexe de détourner la tête.

Mais le point aveuglant suivit le mouvement de ses yeux bien qu’en réalité la lumière se soit muée en un champignon de nuées bouillonnantes mêlant boues et vapeurs.

Le sol rampa sous ses pieds, le désarçonna, une gifle de vent le jeta à terre.

Raimundo se remit d’aplomb et, affolé, désorienté, courut vers l’abri des arbres. Dans la forêt, épuisé, il se laissa tomber. La corolle incandescente était toujours devant ses yeux, brillant de ses dix mille soleils alimentés par l’énergie de sa haine. Elle ne se fana que lorsque ses forces refluèrent.

XVII

À la longue, une explosion semblait imminente.

Au moment où les premiers danseurs de la ronde entrèrent en contact direct avec la paroi de paille humide, le Bruxo, chassant l’air de ses narines en sang, émit une série de grognements nasaux dignes d’un taureau asthmatique. À ce signal, la danse ralentit puis cessa avant que le sorcier peint se mette à hurler d’une voix suraiguë ce que Sole, qui ne comprenait pourtant rien au xemahoa, identifia comme le final grandiose du cycle mythique.

Dans le silence qui suivit, le sorcier, sur un dernier soubresaut de sa touffe orange de plumes pubiennes, disparut dans la hutte.

Quant aux hommes, ils restèrent plantés devant l’entrée. Du Français qui se tenait à l’arrière de leur groupe, on ne remarquait guère que les sèches fesses albinos au milieu des pulpeux popotins cuivrés.

« Je vais encore faire une tentative pour lui parler…»

Le jeu d’ombres et de lumières sur le corps lavé de sueur des hommes contorsionnait leur sexe enluminé. Se frayant un chemin parmi les Indiens pour parvenir jusqu’à son ami, il se retrouva entouré d’êtres au moins aussi étrangers que n’importe lequel des Sp’thra.

« Pierre…»

Le Français le regarda droit dans les yeux et, d’un signe de tête, lui montra qu’il l’avait reconnu. Ses yeux dont la noirceur pupillaire avait envahi la surface de l’iris étaient largement dilatés par la drogue. Sole baissa les yeux et son regard rencontra le grotesque étui pénien auréolé de plumes bleues. Eileen aurait sûrement… Oui, qu’aurait pensé Eileen ? Sans l’avoir formulée complètement, Sole chassa cette pensée qui ne fit pas de difficulté pour disparaître.

« Pierre, tu te rends compte que l’eau redescend ? Tu sais, il n’y a plus de barrage. Fini, foutu. Kaputt.

— Quoi ?

— Le barrage a sauté, Pierre. Tu ne sens pas le courant ? »

Pierre regarda longuement l’eau à ses pieds puis se baissa pour la toucher. Il y plongea les mains et fit le geste d’y chercher quelque chose.

« Les Xemahoa n’ont rien à craindre. Le champignon non plus. »

Un cri de douleur surgi de l’intérieur de la hutte griffa la nuit. Lui répondit immédiatement un hululement de mots proférés par la voix du Bruxo dont la voix fit trépigner la foule d’impatience.

Sole prit le bras de Pierre et le força à se redresser.

« Qu’est-ce que c’était ?

— C’est une césarienne… vous savez[2]

— Une césarienne ? Tu veux dire que ce vieillard est en train d’opérer cette pauvre femme ? »

D’un geste enthousiaste de la tête, Pierre lui assura qu’il avait bien compris.

« Mais il va la tuer ! Il est défoncé jusqu’au dernier neurone, il ne va pas savoir ce qu’il fait !

— Oui, mais la pierre est coupée[3]

— Quelle pierre est coupée ? »

Sole, horrifié, pensa que le Bruxo était en train d’ouvrir la femme enceinte comme on ouvre une noix pour prendre ses cerneaux. Un autre cri fit courir un frisson dans la foule.

« Quelle pierre ? » répéta Sole.

Mais la réponse, il la connaissait déjà, dans l’histoire de la naissance du cerveau telle que la racontaient les Xemahoa. Il essaya de se rappeler ce qu’en disait le journal de Pierre. Une pierre avait été contrainte par la ruse à s’ouvrir. Un serpent mâle s’y était introduit, s’y était lové, noué. C’était là l’origine du cerveau qui avait inventé le langage enchâssé, le xemahoa B.

La suite de l’histoire ne concernait que l’origine des entrailles mais, s’il fallait l’en croire, les entrailles de la femme devaient être en ce moment brutalement ouvertes, déchirées pour donner le jour à l’enfant-cerveau.

Un dernier cri, puis le Bruxo hurla, son hurlement devint une clameur qui fit reculer l’essaim compact et agité des Xemahoa, comme si quelque chose de néfaste se glissait hors de la hutte, peut-être quelque serpent invisible sinuant dans l’eau. Ils se heurtèrent à Sole et à Pierre, manquant de peu leur faire perdre l’équilibre.

À la périphérie de sa vision, Sole remarqua Chester qui, derrière la foule, levait son fusil à fléchettes. Il espéra qu’il ne serait pas assez bête et obstiné pour s’en servir.

À ce moment, le Bruxo se rua hors de la hutte, les yeux hors de la tête, hystériques. Il tendit ses doigts ensanglantés vers la foule, fit quelques pas en avant et s’abattit dans l’eau. Et là, ramassé sur lui-même comme un animal, il ne proféra qu’un seul mot, hurlé : « MAKA-I ! »

« Et merde aux tabous », grogna Sole d’une voix mauvaise. Traînant Pierre derrière lui, il avança vers la hutte, contournant la créature rugissante tapie dans l’eau.

Personne ne tenta de les arrêter.

À l’intérieur, il éclaira d’une torche la litière fruste de fibres sèches.

La femme était là, à demi inconsciente, avec son bébé recroquevillé sur sa poitrine. Grossièrement incisé par l’éclat tranchant encore posé à côté d’elle, son ventre béait, laissant passer le cordon ombilical tranché.

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2

En français dans le texte.

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3

En français dans le texte.