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— Ça va mal, ça va mal. Écoutez, Silverson. Pour l’instant, je suis incapable de me concentrer sur le problème. La seule chose que je veuille savoir, c’est où en sont Sole, Zwingler et leurs sacrés Indiens.

— Je vous ai dit ce que je savais. Franklin essaye de les repérer. Ils ont déjà une idée approximative de l’endroit. »

Cependant, sous ces étoiles qui étaient encore les siennes à lui tout seul, Ph’theri n’entendait pas attendre.

« Quarante-huit heures, dit sèchement l’étranger en levant la main. L’échéance approche.

— C’est à cause du terrain, Ph’theri. C’est terriblement difficile, dans une forêt aussi dense…

— Avez-vous la preuve formelle que le Cerveau qui s’Enchâsse existe ? Ce n’est pas la première fois que nous négocions avec une espèce qui se croit maligne.

— Vous m’offensez, Ph’theri. Nous nous donnons beaucoup de mal pour vous procurer ce cerveau.

— Et où sont les unités cervicales ordinaires ?

— Tout est là, monsieur Sciavoni, répondit Silverson avec empressement. Les Soviétiques ont livré les leurs il y a une demi-heure. Je pense que c’est l’atterrissage de leur SST qui a alerté Ph’theri.

— Bien, dit Ph’theri. Occupons-nous au moins de transborder ceux-là. Nous avons disséqué le premier corps. Nous devons encore procéder à l’excision d’un ensemble qui comprendra le cerveau, les yeux et certains éléments de la moelle épinière. Les essais et les tests qui suivront nous prendront encore vingt-quatre heures, ce qui vous donnera le temps de vous assurer de l’intelligibilité des données que nous vous communiquons. Si, entre-temps, vous n’avez toujours pas de nouvelles du Cerveau qui s’Enchâsse, nous attendrons encore vingt-quatre heures, puis nous partirons…»

Deux autres Sp’thra, ceux sans doute qui instrumentaient leurs conversations, apparurent dans l’entrée de la navette. Ils portèrent au bas de l’échelle de coupée un écran de démonstration équipé d’une petite console de contrôle et le déposèrent devant Sciavoni sur le béton.

« Les informations qui font l’objet de notre marché y sont programmées. Maintenant, à vous de nous donner les cerveaux », dit Ph’theri avec insistance.

À contrecœur, Sciavoni donna ses instructions. Peu après, les portes de verre laissèrent passer le premier des six brancards roulants chargés chacun d’une forme humaine inconsciente.

Cela fait, Sciavoni se jeta sur l’écran pour l’examiner.

XX

Vers midi, en dépit des efforts de Chester, la femme de la hutte mourut et, avec elle, son cerveau saturé de maka-i.

Mais le bébé monstrueux, lui, vivait à sa manière. Son organisme décousu continuait de fonctionner. Son cerveau nu restait conscient. Sa tête aveugle se tordait comme celle d’une chenille vers les bruits. Il couinait.

Peu après l’aube, tous les hommes xemahoa retournèrent au village et, parmi eux, Kayapi guidait le vieux Bruxo malade et hagard en le tenant par la main comme un enfant. Personne ne se serait soucié de regarder ce qui se passait dans la hutte. La survie du bébé dépendrait de sa résistance… et des Caraiba. Du point de vue de la simple interprétation il n’était peut-être pas utile à Kayapi de se demander s’il était vivant ou non.

Les hommes se retirèrent dans leur hamac pour y soigner leur migraine par le sommeil. Seul Pierre essayait, par des allées et venues clapoteuses dans le passage qui reliait la hutte au village, de vaincre son ivresse par la fatigue. Son comportement rappelait à Sole celui de ce sous-marinier qui, victime d’un état de choc, ne cessait de parcourir le trajet cent fois répété en bas de chez lui, comme pour faire des commissions imaginaires.

Après la mort de la mère, ils allèrent voir le Français, espérant que ses efforts lui auraient rafraîchi les idées.

Mais Chester, désabusé par la vanité de ses efforts auprès de la mourante et Tom Zwingler, que commençait à rendre malade la durée de leur mission, ne placèrent pas cette rencontre sous le signe de la compréhension et de la gaieté.

« Avez-vous dit à ce Kayapi que le Bruxo devait s’en aller ? demanda Chester.

— Les oiseaux de sa pensée se sont enfuis, soupira Pierre. Ils se sont perdus dans la forêt depuis qu’il a vu le bébé. Mais Kayapi les fera revenir. Kayapi sait comment faire…»

Cette confiance aveugle en quelqu’un qui n’avait pas levé le petit doigt pour s’occuper de la femme ou de son enfant fut pour Chester la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

« Gros malin, ton Kayapi, tu vas voir qu’il va bouffer de la merde avec le gratin du coin et qu’il saura parfaitement pourquoi il le fait. Tu penses qu’il fait comme nous, mais en un peu plus efficace, hein ? Il sait s’y prendre. Regarde comment il t’a manipulé avec des filles, de la drogue et je ne sais quoi ! »

Pierre resta un moment complètement décontenancé.

« Mais Kayapi est un homme d’expérience, bafouilla-t-il. Les Xemahoa ont une compréhension stupéfiante du monde…

— Raconte ça à quelqu’un d’autre. Kayapi se fout du monde comme de sa première culotte. Il a vu où était son intérêt. Il sait bien que le seul gâteau dans lequel il peut se couper une tranche, c’est ce tas de merde ! »

Avec une expression de dégoût inquiet, Pierre fixa le Noir dans les yeux.

« Il est mon précepteur.

— Tu l’as vu, le bébé ? Tu l’as vu, le résultat de leur « stupéfiante compréhension » ? Encore heureux qu’il ait un nez et une bouche ! »

Pierre ne put que faire un mouvement convulsif des mains.

« Kayapi a souffert et appris en exil. Et maintenant, le voilà qui revient chez lui. Il est le type même du héros.

— Mais enfin, c’est complètement accidentel ! explosa Tom Zwingler. Ce n’est pas comme s’il avait su que l’eau allait redescendre. C’est nous qui avons fait sauter le barrage. Il ne pouvait pas savoir que les choses prendraient cette tournure ! »

Pierre lui opposa un visage fermé.

« Non, il le savait. Il me l’avait promis.

— Croyez ce qui vous plaît et allez vous faire voir ! Moi, ce que je dis, c’est que ce monstre, c’est vraiment le fin mot de cette histoire de maka-i. C’est la seule et unique conclusion qu’elle aurait eue sans notre intervention. Kayapi n’est rien qu’un opportuniste qui a de la chance ! »

Sole se dit qu’ils auraient pu faire preuve de plus de tact avec Pierre. Il était stupide de le prendre ainsi à rebours. Il essaya d’adoucir un peu l’acidité de la conversation.

« C’est sûrement vrai, Tom, mais est-ce que ça nous empêche d’avoir raison au sujet de ces Indiens ? Ou plutôt, pour parler comme Ph’theri, au sujet de leur valeur d’échange ? Moi, j’ai l’impression qu’ils sont confrontés au même genre de problème que nos visiteurs qui ont quand même derrière eux trente mille ans de technique. Les Sp’thra ont buté contre quelque chose d’anormal, quelque chose qui venait du dehors de leur nature. Pour relever le défi, ils ont construit une machine à penser universelle. Les Xemahoa, eux, se sont retrouvés face à cette inondation contraire à la nature des choses et ils l’ont combattue avec leurs propres moyens, non pas techniques, cette fois, mais conceptuels et biologiques…»

Pierre couvrait Sole d’un regard égaré, se demandant peut-être si une autre vague d’hallucinations ne déferlait pas sur lui. Évidemment, Pierre ne savait rien au sujet des Changeurs de Signes Sp’thra. Le faire participer à ce genre de conversation était comme d’inviter un ancien prêtre romain de Jupiter à discuter du salut éternel avec deux jésuites !

« Chris, mettons les choses au point. Vous n’êtes pas en train d’essayer de nous faire croire que ce monstre constitue à quelque titre que ce soit une réponse ?