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— Je ne comprends toujours pas », dit Zwingler d’un ton lugubre.

Amory Hirsch se pencha sur lui, paternellement.

« Tom, vous et votre « Saut-de-Puce », c’était du court terme. Maintenant, de nouvelles perspectives se dégagent.

— Du court terme ! » Zwingler fit le geste de se raccrocher à ses naines rouges, ses précieux rubis, comme aux grains d’un chapelet, mais ne les trouva pas. Aucune prière n’avait été prévue pour cette situation.

En approchant des villes côtières du Golfe, ils captèrent la KCTA de Corpus Christi. La croisade hystérique était en marche. Hilare, Amory Hirsch leur révéla le nom de code de l’opération, un mot valise inspiré par le souvenir de l’émission d’Orson Welles diffusée le 30 octobre 1938 et Sole grimaça à un autre souvenir, celui de l’intuition qu’il avait eue en apprenant les renvois d’émission de télévision par les extra-terrestres. Ceci représentait un progrès, à la fois dans la complication et le professionnalisme sur l’exploit de Welles qui avait fait trembler l’Âge de pierre des média, car pour la tragi-comédie qu’ils vivaient actuellement les acteurs étaient d’authentiques extra-terrestres.

Bien que Sole n’ait pu en jurer, il lui sembla que le jet ralentissait à l’approche des États-Unis, peut-être pour ne pas éveiller l’attention des missiles réglés sur les vitesses limite prêtées aux soucoupes volantes. Mais de soucoupes volantes, il n’y en avait pas. Elles n’étaient qu’un mythe, un mensonge. Il n’y avait qu’une navette spatiale, posée sur l’aérodrome du Nevada, s’il fallait en croire Amory Hirsch. Une chaloupe et une gigantesque sphère qui faisait orbiter autour de la Terre son équipage de représentants de commerce minés par la tristesse.

La Sphère aurait-elle descendu des satellites russes ou américains à coups de laser ?

« Elle en a descendu ? vociféra Zwingler.

— Bien sûr que non », répondit Hirsch avec un sourire sur lequel passa l’ombre du doute, comme s’il avait fini par se persuader de la réalité de la Salade Wellesienne. Puis, avec le clin d’œil de celui qui condescend à être complice : « Tout ça, c’est ce qu’on raconte aux enfants. La vraie difficulté, c’est de synchroniser nos représailles, c’est-à-dire, ne pas se servir du canon pour tuer une mouche et ne pas essayer d’assommer l’éléphant avec la tapette à mouches…»

Zwingler, perdant tout contrôle, lui jeta au visage :

« C’est répugnant ! Ce que je sais, moi, à propos d’éléphants et de mouches, c’est que, dans ma vie, il a bien dû m’arriver d’avaler une ou deux mouches, cela dit, je lutte avec la dernière énergie contre cet éléphant de faux derchisme et de fourberie !

— Dommage que vous voyez les choses de cette façon, Tom, minauda l’autre homme, mais c’est ça, la politique ! »

Entre autres sujets, le Président aborda : le mouvement de solidarité des peuples de la Terre face à l’ennemi inhumain ; l’impossibilité de se faire une idée des intentions ou des pouvoirs de ces étrangers absolus ; leur hostilité déclarée dont faisait foi la fraternelle coopération des États-Unis et de l’Union soviétique et que prouvait la destruction gratuite du projet d’aménagement de l’Amazonie sans compter l’étendue atroce des pertes en vies humaines et en dégâts matériels ; de l’aide qu’il fallait immédiatement apporter aux survivants par l’intermédiaire de l’organisme ad hoc des Nations Unies puisque le peuple brésilien avait été induit en erreur par la propagande mensongère et irresponsable des Chinois ; de l’assassinat dans l’espace de deux cosmonautes américains et de leur collègue soviétique ; l’hommage qu’il fallait rendre à leur courage ; l’obligation d’inscrire au tableau d’honneur de la planète Terre le colonel Marcos Haigh, le commandant Joe Rohrer et le commandant Vadim Zaitsev ; la destruction par laser de satellites géo-économiques ; le sabotage des efforts que menait la Terre pour le mieux-être au moyen d’une technique physiquement et moralement supérieure, sabotage, donc, digne d’enfants cruels arrachant les ailes des mouches ; d’autres choses encore.

« Ces noms, s’exclama Zwingler, je les ai déjà entendus, je m’en souviens, c’était dans le Nevada.

— Enfin, Tom, qu’est-ce que ça veut dire ? s’esclaffa Hirsch. Vous délirez. Vous n’auriez pas, par hasard, pris de cette drogue indienne ? »

Alors qu’ils commençaient à descendre au-dessus des installations de Houston, la KTRH annonça l’explosion d’un missile tactique téléguidé d’une kilotonne sur une soucoupe volante qui, justement, s’était posée un instant sur le désert du Nevada…

Tandis que le train d’atterrissage rebondissait sur la piste, Amory Hirsch savourait un triomphe hilare en se frottant énergiquement les mains.

Quelques instants plus tard, on apprit qu’une bombe orbitale soviétique avait touché la Sphère des Non-Humains, l’avait ouverte comme un œuf dont la substance se répandait dans le ciel des îles Salomon…

« Les salauds, les cons et les ordures…» Monotone, la voix de Zwingler égrenait les jurons tandis que le jet stoppait et que s’éteignait le voyant DÉFENSE DE FUMER.

XXIII

« Laissez-nous ici, on continue à pied.

— Ça ira ? »

Sole approuva en silence.

Ils sortirent de la Ford bleue aux formes élancées qui portait le sigle de l’USAF sur ses portières. Le sergent qui les avait conduits, un Noir impassible, fit demi-tour dans une allée d’accès et s’éloigna en sens inverse, fonçant dans un crissement de pneus sur le chemin de terre.

« C’est là-bas, Haddon. »

Dans la direction que désignait son doigt, le Centre était à quelques centaines de mètres, sur la hauteur, retranché derrière son épaisse ceinture de jungle résineuse.

« Et mes petits Indiens…», dit-il encore avec un haussement d’épaules.

Puis il désigna les maisons éparses du village, au milieu des champs nus qui s’étendaient derrière eux.

« Tu vois la Volkswagen bleue ? C’est là que j’habite. Maintenant, Pierre, tu continues tout seul. Eileen doit nous attendre. Moi… je passerai te prendre. »