– c'est un petit vin de Chinon pas trop débile que j'ai découvert chez un mastroquet auprès du quai, dit Durtal.
– je vois, reprit-il, après un silence, qu'en effet la tradition s'est conservée depuis Gilles De Rais de crimes inouïs. Je vois qu'il y a eu, dans tous les siècles, des prêtres déchus, qui ont osé commettre les divins forfaits; mais, à l'heure présente, cela semble tout de même invraisemblable; d'autant qu'on n'égorge plus des enfants, comme au temps de Barbe-bleue et de l'abbé Guibourg!
– c'est-à-dire que la justice n'explore rien ou plutôt, que l'on n'assassine plus, mais que l'on tue des victimes désignées, par des moyens que la science officielle ignore; ah! Si les confessionnaux pouvaient parler! S'écria le sonneur.
– mais enfin, à quel monde appartiennent les gens qui sont maintenant affiliés au Diable?
– aux supérieurs de missionnaires, aux confesseurs de communautés, aux prélats et aux abbesses; à Rome où est le centre de la magie actuelle, aux plus hauts dignitaires, répondit Des Hermies.
Quant aux laïques, ils se recrutent dans les classes riches; cela t'explique comment ces scandales sont étouffés, si toutefois la police les découvre!
Puis, admettons même qu'il n'y ait pas, avant les sacrifices au Diable, de préalables meurtres; cela se peut dans certains cas; l'on se borne sans doute à saigner des foetus que l'on fait avorter lorsqu'ils sont mûris à point; mais ceci n'est qu'un ragoût surérogatoire, qu'un piment; la grande question, c'est de consacrer l'hostie et de la destiner à un infâme usage; tout est là; le reste varie; il n'y a pas actuellement de rituel régulier pour la messe noire.
– si bien qu'il faut absolument un prêtre pour célébrer ces messes?
– évidemment; lui seul peut opérer le mystère de la Transsubstantiation. Je sais bien que certains occultistes se prétendent consacrés, comme Saint Paul, par le Seigneur, et qu'ils s'imaginent pouvoir débiter ainsi que de vrais prêtres de véritables messes. C'est tout bonnement grotesque! – mais à défaut de messes réelles et d'abbés atroces, les gens possédés par la manie du sacrilège n'en réalisent pas moins le stupre sacré qu'ils rêvent.
Ecoute bien cela:
en 1855, il existait, à Paris, une association composée en majeure partie de femmes; ces femmes communiaient, plusieurs fois par jour, gardaient les Célestes Espèces dans leur bouche, les recrachaient pour les lacérer ensuite ou les souiller par de dégoûtants contacts.
– tu en es sûr?
– parfaitement, ces faits sont révélés par un journal religieux, les annales de la sainteté, que l'archevêque de Paris ne put démentir!
J'ajoute qu'en 1874, des femmes furent également embauchées à Paris pour pratiquer cet odieux commerce; elles étaient payées aux pièces, ce qui explique pourquoi elles se présentaient, chaque jour, dans des églises différentes, à la Sainte Table.
– et ce n'était rien! -tenez, dit, à son tour, Carhaix, qui se leva et tira de sa bibliothèque une brochurette bleue. Voici une revue, datée de 1843, la Voix de la septaine. elle nous apprend que, pendant vingt-cinq ans, à Agen, une association satanique ne cessa de célébrer des messes noires et meurtrit et pollua trois mille trois cent vingt hosties! Jamais Monseigneur l'évêque d'Agen, qui était un bon et ardent prélat, n'osa nier les monstruosités commises dans son diocèse!
– oui, nous pouvons le dire entre nous, reprit Des Hermies, le dix-neuvième siècle regorge d'abbés immondes. Malheureusement, si les documents sont certains, ils sont de preuve difficile à faire; car aucun ecclésiastique ne se vante de méfaits pareils; ceux qui célèbrent des messes Déicides se cachent et ils se déclarent dévoués au Christ; ils affirment même qu'ils le défendent, en combattant, à coups d'exorcismes, les possédés.
C'est même là le grand truc; ces possédés, ce sont eux-mêmes qui les créent ou qui les développent; ils s'assurent ainsi, dans les couvents surtout, des sujets et des complices. Toutes les folies meurtrières et sadiques, ils les couvrent alors de l'antique et pieux manteau de l'Exorcisme!
– soyons justes, ils ne seraient pas complets, s'ils n'étaient pas d'abominables hypocrites, dit Carhaix.
– l'on peut aussi ajouter que l'hypocrisie et l'orgueil sont les plus formidables vices des mauvais prêtres, appuya Durtal.
– enfin, reprit Des Hermies, tout se sait, en dépit des plus adroites précautions, à la longue.
Je n'ai parlé jusqu'ici que des associations sataniques locales; mais il en est d'autres, plus étendues, qui ravagent les Deux Mondes, car- et cela est bien moderne-le Diabolisme est devenu administratif, centralisateur, si l'on peut dire. Il a maintenant des Comités, des sous-comités, une sorte de Curie qui réglemente l'Amérique et l'Europe, comme la Curie d'un Pape.
La plus vaste de ces Sociétés dont la fondation remonte à l'année 1855, c'est la Société des Ré-théurgistes Optimates. Elle se divise, sous une apparente unité, en deux camps: l'un, prétendant détruire l'univers et régner sur ses décombres; l'autre, rêvant simplement de lui imposer un culte démoniaque dont il serait l'archiprêtre. Cette société siège en Amérique où elle était autrefois dirigée par Longfellow qui s'intitulait grand prêtre du Nouveau Magisme Evocateur; elle a eu, pendant longtemps, des ramifications en France, en Italie, en Allemagne, en Russie, en Autriche, jusqu'en Turquie.
Elle est, à l'heure actuelle, ou bien effacée ou même peut-être tout à fait morte; mais une autre vient de se créer; elle a pour but, celle-là, d'élire un anti-pape qui serait l'Antéchrist exterminateur. Et je ne vous cite là que deux sociétés, mais combien d'autres plus ou moins nombreuses, plus ou moins secrètes qui, toutes, d'un commun accord, à dix heures du matin, le jour de la Fête du Saint-sacrement, donc, célèbrent à Paris, à Rome, à Bruges, à Constantinople, à Nantes, à Lyon et en Ecosse où les sorciers foisonnent, des messes noires!
Puis, en dehors de ces associations universelles ou de ces assemblées locales, les cas isolés abondent, sur lesquels la lumière si difficilement allumée, clignote. Il y a quelques années, mourut, au loin, dans la pénitence, un certain comte De Lautrec qui faisait don aux églises de statues pieuses qu'il maléficiait pour sataniser les fidèles? à Bruges, un prêtre que je connais contamine les Saints Ciboires, s'en sert pour apprêter des malengins et des sorts; enfin, l'on peut, entre tous, citer un cas très net de possession; c'est le cas de Cantianille qui bouleversa, en 1865, non seulement la ville d'Auxerre, mais encore tout le diocèse de Sens.
Cette Cantianille, placée dans un couvent de Mont-saint-sulpice, fut violée, dès qu'elle eut atteint sa quinzième année, par un prêtre qui la voua au diable. Ce prêtre avait été, lui-même, pourri, dès son enfance, par un ecclésiastique qui faisait partie d'une secte de possédés, créée le soir même du jour où fut guillotiné Louis Xvi.
Ce qui se passa dans ce couvent où plusieurs nonnes, évidemment exaspérées par l'hystérie, s'associèrent aux démences érotiques et aux rages sacrilèges de Cantianille, rappelle à s'y méprendre les procès de la magie d'antan, les histoires de Gaufredy et de Madeleine Palud, d'Urbain Grandier et de Madeleine Bavent, du jésuite Girard et de La Cadière, des histoires sur lesquelles il y aurait, au point de vue de l'hystéro-épilepsie, d'une part, et du diabolisme, de l'autre, beaucoup à dire. Toujours est-il que Cantianille, renvoyée du couvent, fut exorcisée par un certain prêtre du diocèse, l'abbé Thorey, dont la cervelle ne paraît pas avoir bien résisté à ces pratiques. Ce fut bientôt, à Auxerre, de telles scènes scandaleuses, de telles crises diaboliques, que l'Evêque dut intervenir.
Cantianille fut chassée du pays; l'abbé Thorey fut frappé disciplinairement et l'affaire alla à Rome.
Ce qui est aussi curieux, c'est que l'Evêque, terrifié par ce qu'il avait vu, donna sa démission et se retira à Fontainebleau où il mourut, encore dans l'effroi, deux ans après.