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– pour Sinistrari D'Ameno, observa Durtal, les incubes et les succubes ne sont pas précisément des démons, mais bien des esprits animaux, intermédiaires entre le démon et l'ange, des sortes de satyres, de faunes, tels qu'en révéra le paganisme; des espèces de farfadets et de lutins tels qu'en exorcisa le moyen age. Sinistrari ajoute qu'ils n'ont que faire de polluer l'homme endormi, attendu qu'ils possèdent des génitoires et sont doués de vertus prolifiques…

– oui, et il n'y a pas autre chose, dit Gévingey.

Goerres, si savant, si précis, dans sa mystique naturelle et diabolique, passe rapidement sur cette question, la néglige même, comme fait l'église, du reste, qui se tait, car elle n'aime pas à traiter ce sujet et elle voit d'un mauvais oeil le prêtre qui s'en occupe.

– pardon, dit Carhaix, toujours prêt à défendre l'église, elle n'a jamais hésité à se prononcer sur ces ordures. L'existence des succubes et des incubes est attestée par Saint Augustin, par Saint Thomas, par Saint Bonaventure, par Denys Le Chartreux, par le pape Innocent Viii, par combien d'autres!

Cette question est donc résolument tranchée et tout catholique est tenu d'y croire; elle figure aussi dans les vies de saints, si je ne me trompe; dans la légende de Saint Hippolyte, Jacques De Voragine raconte qu'un prêtre, tenté par un succube nu, lui jeta son étole à la tête et qu'il ne resta devant lui que le cadavre de quelque femme morte que le diable avait animé pour le séduire.

– oui, dit Gévingey, dont les yeux pétillèrent.

L'église reconnaît le succubat, j'en conviens; mais laissez-moi parler et vous verrez que mon observation a sa raison d'être!

– vous savez très bien, messieurs, reprit-il, s'adressant à Des Hermies et à Durtal, ce que les volumes enseignent; mais depuis cent ans, tout a changé et si les faits que je vais vous dévoiler sont parfaitement connus par la curie du pape, ils sont ignorés par bien des membres du clergé et vous ne les trouverez, dans tous les cas, consignés dans aucun livre.

A l'heure actuelle, ce sont moins souvent les démons que des morts évoqués qui remplissent l'imperdable rôle d'incube et de succube. Autrement dit, jadis, dans le cas du succubat, il y avait pour l'être vivant qui le subissait, possession. Par l'évocation des morts qui joint au côté démoniaque le côté charnel atroce du vampirisme, il n'y a plus possession dans le sens strict du mot, mais c'est bien pis.

Alors l'église n'a plus su que faire; ou il fallait garder le silence ou révéler que l'évocation des morts, déjà défendue par Moïse, était possible et cet aveu était dangereux, car il vulgarisait la connaissance d'actes plus faciles à produire maintenant qu'autrefois, depuis que, sans le savoir, le spiritisme a tracé la route!

Aussi l'Eglise s'est tue. -et Rome n'ignore point cependant l'effroyable développement qu'a pris de nos jours l'incubat dans les cloîtres!

– cela prouve que la continence est dans la solitude terrible à supporter, fit Des Hermies.

– cela prouve surtout que les âmes sont faibles et ne savent plus prier, dit Carhaix.

– quoi qu'il en soit, pour vous édifier complètement, messieurs, sur cette matière, je dois diviser les êtres atteint d'incubat et de succubat en deux classes:

la première est composée de personnes qui se sont vouées, elles-mêmes et directement, à l'action démoniaque des esprits. Celles-là sont assez rares; elles meurent, toutes, par le suicide, ou par l'une des formes de la mort violente.

La seconde est composée de gens auxquels l'on a imposé, par voie de maléfice, la visite de ces esprits. Ceux-là sont très nombreux, surtout dans les couvents que les sociétés démoniaques assiègent. Ordinairement, ces victimes finissent par la folie. Les maisons d'aliénés en regorgent.

Les médecins, la plupart des prêtres même ne se doutent pas de la cause de leur démence, mais ces cas-là sont guérissables. Un thaumaturge que je connais a sauvé bien des maléficiés qui hurleraient, sans lui, sous le fouet des douches!

Il y a certaines fumigations, certaines exsufflations, certains commandements portés en amulettes et écrits sur une feuille de parchemin vierge et par trois fois béni, qui presque toujours finissent par délivrer le malade!

– une question, demanda Des Hermies, la femme reçoit-elle la visite de l'incube, pendant qu'elle dort ou pendant qu'elle veille?

– il faut établir une distinction. Si cette femme n'est pas maléficiée, si c'est elle qui a voulu s'accoler volontairement à un esprit de vice impur, elle est toujours éveillée lorsque l'acte charnel a lieu.

Si, au contraire, cette femme est victime d'un sortilège, le péché se commet, soit pendant qu'elle sommeille, soit lorsqu'elle est parfaitement éveillée, mais alors elle est dans un état cataleptique qui l'empêche de se défendre. Le plus puissant des exorcistes de ce temps, l'homme qui a le mieux approfondi cette matière, le docteur en théologie Johannès me disait avoir sauvé des religieuses qui étaient chevauchées sans arrêt, ni trêve, pendant deux, trois, pendant quatre jours, par des incubes!

– oui, je le connais, ce prêtre, dit Des Hermies.

– et l'acte se passe de la même façon que dans la réalité? Demanda Durtal.

– oui et non. -ici, l'immondice des détails m'arrête, dit Gévingey, qui devint un peu rouge; ce que je puis vous raconter est plus qu'étrange.

Sachez-le donc, l'organe de l'être incube se bifurque et, au même moment, pénètre dans les deux vases.

D'autres fois, il s'étend et pendant que l'une des branches agit par les voies licites, l'autre atteint en même temps le bas de la face… vous pouvez vous figurer, messieurs, combien la vie doit être abrégée par ces opérations qui se multiplient dans tous les sens!

– et vous êtes sûr que ces faits existent?

– absolument.

– mais enfin, voyons, vous avez des preuves?

Hasarda Durtal.

Gévingey se tut, puis: -le sujet est trop grave et j'en ai trop dit pour ne pas aller jusqu'au bout. Je ne suis ni halluciné, ni fou. Eh bien, messieurs, j'ai couché une fois, dans une chambre qu'habitait le plus redoutable maître que maintenant le satanisme possède…

– le chanoine Docre, jeta Des Hermies.

– oui, et je ne dormais pas; il faisait grand jour; je vous jure que le succube est venu, irritant et palpable, tenace. Heureusement que je me suis rappelé les formules de délivrance, ce qui n'empêche…

enfin, j'ai couru, le jour même, chez le Dr Johannès dont je vous ai parlé. Il m'a aussitôt et pour toujours, je l'espère, libéré du maléfice.

– si je ne craignais d'être indiscret, je vous demanderais comment était le succube dont vous repoussâtes l'attaque?

– mais, il était comme sont toutes les femmes nues, dit en hésitant l'astrologue.

Ce qui serait curieux, c'est qu'il eût réclamé son petit cadeau, ses petits gants, se dit Durtal, en pinçant les lèvres.

– et savez-vous ce qu'est devenu le terrible docre, fit Des Hermies?

– non, dieu merci; il doit être dans le Midi aux environs de Nîmes, où il résidait jadis.

– mais enfin que fait-il, cet abbé? Questionna Durtal.

– ce qu'il fait! Il évoque le diable, nourrit des souris blanches avec des hosties qu'il consacre; sa rage du sacrilège est telle qu'il s'est fait tatouer sous la plante des pieds l'image de la croix, afin de pouvoir toujours marcher sur le sauveur!

– eh bien, murmura Carhaix dont la moustache en broussaille se retroussa, tandis que ses gros yeux flambaient, eh bien, si cet abominable prêtre se trouvait ici, dans cette pièce, je vous jure que je respecterais ses pieds, mais que je lui ferais descendre l'escalier avec sa tête!