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– et la messe noire? Reprit Des Hermies.

– il la célèbre avec des femmes et des gens ignobles; on l'accuse aussi ouvertement d'héritages captés d'inexplicables morts. Malheureusement, il n'y a pas de lois qui répriment le sacrilège, et comment poursuivre en justice un homme qui envoie des maladies à distance et tue lentement sans qu'à l'autopsie des traces de poisons paraissent?

– le Gilles De Rais moderne! Fit Durtal.

– oui, moins sauvage, moins franc, plus hypocritement cruel. Celui-là n'égorge pas; il se borne sans doute à expédier des sortilèges ou à suggérer le suicide aux gens; car il est, je crois, de première force à ce jeu de la suggestion, dit Des Hermies.

– pourrait-il insinuer à une victime de boire peu à peu un toxique qu'il lui désignerait et qui feindrait les phases d'une maladie? Demanda Durtal.

– mais évidemment; les enfonceurs de portes ouvertes que sont les médecins de l'heure actuelle, reconnaissent parfaitement la possibilité de pareils faits. Les expériences de Beaunis, de Liégeois, de Liébaut et de Bernheim sont concluantes; on peut même faire assassiner une personne que l'on désigne par une autre à laquelle on suggère, sans qu'elle s'en souvienne, la volonté du crime.

– je songe à une chose, moi, jeta Carhaix qui réfléchissait, sans écouter cette discussion sur l'hypnose. Je songe à l'inquisition; elle avait décidément sa raison d'être, car elle seule pourrait atteindre ce prêtre déchu qu'a balayé l'Eglise.

– d'autant, fit Des Hermies, avec son sourire en coin, qu'on a bien exagéré la férocité des inquisiteurs. Sans doute le bienveillant Bodin parle d'introduire entre les ongles et la chair des doigts des sorciers de longues pointes, ce qui constitue, dit-il, la plus excellente des géhennes; il prône également le supplice du feu qu'il qualifie de la mort exquise, mais c'est uniquement pour détourner les magiciens de leur vie détestable et sauver leur âme! Puis Del Rio déclare qu'il ne faut appliquer la question aux démoniaques après qu'ils ont mangé, de peur qu'ils ne vomissent. Il s'inquiétait de leurs estomacs, le brave homme. N'est-ce pas lui aussi qui décrète qu'il ne faut pas non plus réitérer la torture, deux fois en un même jour, afin de laisser à la peur et à la douleur le temps de se rasseoir… avouez qu'il était tout de même délicat, ce bon jésuite!

– Docre, reprit Gévingey, sans entendre les paroles de Des Hermies, est le seul individu qui ait retrouvé les anciens secrets et qui obtienne des résultats dans la pratique. Il est un peu plus fort, je vous prie de le croire, que tous les nigauds et les roublards dont nous avons causé.

Au reste, ils le connaissent, l'affreux chanoine, car il a envoyé à plusieurs d'entre eux de sérieuses ophtalmies que les oculistes ne peuvent guérir. Aussi tremblent-ils, lorsque l'on prononce devant eux le nom de Docre!

– mais enfin, comment un prêtre en vient-il là?

– je l'ignore. Si vous voulez avoir de plus amples renseignements sur lui, reprit Gévingey, en s'adressant à Des Hermies, questionnez votre ami Chantelouve.

– Chantelouve! S'écria Durtal.

– oui, lui et sa femme l'ont beaucoup fréquenté jadis; mais j'espère pour eux qu'ils ont depuis longtemps cessé tout commerce avec ce monstre.

Durtal n'écoutait plus. Mme Chantelouve connaissait le chanoine Docre! Ah çà, est-ce qu'elle aussi était une satanique! Mais non, elle n'avait nullement l'allure d'une possédée.

Décidément, cet astrologue est fêlé, se dit-il. – elle! -et il la revit, pensa que, le lendemain, elle s'abandonnerait sans doute. -ah! Ses yeux si bizarres, ses yeux en nues lourdes et qui crevaient en lueurs!

Elle revenait maintenant, le tenait tout entier comme avant qu'il ne fût monté dans la tour. " mais si je ne vous aimais pas, est-ce que je serais venue? " cette phrase qu'elle avait prononcée, il l'entendait encore, avec l'inflexion câline de la voix, avec la vision de la physionomie railleuse et douce!

– ah çà, tu rêves, toi! Dit Des Hermies qui lui frappa sur l'épaule; nous partons, car dix heures sonnent.

Une fois dans la rue, ils serrèrent la main de Gévingey qui demeurait de l'autre côté de l'eau et ils firent quelques pas.

– eh bien, et mon astrologue, t'a-t-il intéressé?

Demanda Des Hermies.

– il est un peu fou, n'est-ce pas?

– fou? Peuh!

– mais enfin toutes ces histoires sont invraisemblables!

– tout est invraisemblable, fit placidement des Hermies, en relevant le collet de son paletot.

– j'avoue, cependant, reprit-il, que Gévingey m'étonne, lorsqu'il assure avoir été visité par un succube. Sa bonne foi n'est pas douteuse, car je le connais vaniteux et doctoral mais exact. Je sais, parbleu bien, qu'à la salpêtrière, ce cas n'est ni oublié, ni rare. Des femmes atteintes d'hystéro-épilepsie voient des fantômes à côté d'elles, en plein jour, besognent avec eux lorsqu'elles sont en l'état cataleptique et couchent, chaque nuit aussi, avec des visions qui rappellent à s'y méprendre les êtres fluidiques de l'incubat; mais ces femmes-là sont des hystéro-épileptiques et Gévingey dont je suis le médecin ne l'est pas!

Puis à quoi peut-on croire et que peut-on prouver?

Les matérialistes se sont donné la peine de reviser les procès de la magie d'antan. Ils ont retrouvé dans la possession des Ursulines de Loudun, des religieuses de Poitiers, dans l'histoire même des miraculés de Saint-médard, les symptômes de la grande hystérie, ses contractures généralisées, ses résolutions musculaires, ses léthargies, enfin jusqu'au fameux arc de cercle.

Eh bien, qu'est-ce que cela démontre? Que ces démonomanes étaient hystéro-épileptiques? Mais à coup sûr; les observations du Dr Richet, fort savant en ces matières, sont concluantes; mais en quoi cela infirme-t-il la possession? De ce fait que nombre de malades de la Salpêtrière ne sont pas possédées tout en étant hystériques, s'ensuit-il que d'autres femmes atteintes de la même maladie qu'elles, ne le soient pas? Et puis, il faudrait démontrer aussi que toutes les démonopathes sont hystériques et cela est faux, car il est des femmes de sens rassis, de cervelle ferme, qui le sont, sans s'en douter d'ailleurs!

Et en admettant même que ce dernier point soit controuvé, il reste toujours à résoudre cette insoluble question: une femme est-elle possédée parce qu'elle est hystérique, ou est-elle hystérique parce qu'elle est possédée? L'Eglise seule peut répondre, la science pas.

Non, quand on y réfléchit, l'aplomb des positivistes déconcerte! Ils décrètent que le satanisme n'existe point; ils mettent tout sur le compte de la grande hystérie et ils ne savent même pas ce qu'est cet affreux mal et quelles en sont les causes! Oui, sans doute, Charcot détermine très bien les phases de l'accès, note les attitudes illogiques et passionnelles, les mouvements clowniques; il découvre les zones hystérogènes, peut, en maniant adroitement les ovaires, enrayer ou accélérer les crises, mais quant à les prévenir, quant à en connaître les sources et les motifs, quant à les guérir, c'est autre chose! Tout échoue sur cette maladie inexplicable, stupéfiante, qui comporte par conséquent les interprétations les plus diverses, sans qu'aucune d'elles puisse jamais être déclarée juste! Car il y a de l'âme là dedans, de l'âme en conflit avec le corps, de l'âme renversée dans de la folie de nerfs!

Tout ça, vois-tu, mon vieux, c'est la bouteille à l'encre; le mystère est partout et la raison bute dans les ténèbres, dès qu'elle veut se mettre en marche.

– peuh! Fit Durtal qui était arrivé devant sa porte. Puisque tout est soutenable et que rien n'est certain, va pour le succubat! Au fond c'est plus littéraire et plus propre!

CHAPITRE X

L a journée fut longue à tuer. éveillé, dès l'aube, songeant à Mme Chantelouve, il ne tint pas en place et il s'inventa des prétextes pour aller au loin. Il manquait de liqueurs imprévues, de petits gâteaux et de bonbons et il convenait de n'être pas ainsi démuni de tout en-cas, un jour de rendez-vous. Il s'en fut, par le chemin le plus long, jusqu'à l'avenue de l'Opéra pour acheter de fines essences de cédrat et de cet alkermès dont le goût évoque l'idée d'une confiserie pharmaceutique de l'Orient. Il s'agit, se dit-il, moins de régaler Hyacinthe que de lui faire déguster un élixir ignoré, qui l'étonne.