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Voyons, se dit Durtal qui considérait à nouveau l'église, il faudra pourtant bien qu'un jour, alors qu'il fera moins froid et plus clair, je monte en haut de la tour; puis il hocha la tête. A quoi bon?

Paris à vol d'oiseau, c'était intéressant au Moyen Age, mais maintenant! J'apercevrai, comme au sommet des autres fûts, un amas de rues grises, les artères plus blanches des boulevards, les plaques vertes des jardins et des squares et, tout au loin, des files de maisons qui ressemblent à des dominos alignés debout et dont les points noirs sont des fenêtres.

Et puis les édifices qui émergent de cette mare cahotée de toits, Notre-dame, la Sainte-chapelle, Saint-séverin, Saint-étienne-du-mont, la tour Saint-jacques sont noyés dans la déplorable masse des monuments plus neufs; -et je ne tiens nullement à contempler, en même temps, ce spécimen de l'art des marchandes à la toilette qu'est l'opéra, cette arche de pont qu'est l'arc de triomphe, et ce chandelier creux qu'est la tour Eiffel!

C'est assez de les voir séparément, en bas, sur le pavé, à des tournants de rues.

Si j'allais dîner, car enfin, j'ai rendez-vous avec Hyacinthe et il faut qu'avant huit heures, je sois rentré.

Il s'en fut chez un marchand de vins du voisinage où la salle, dépeuplée à six heures, permettait de discuter avec soi-même tranquillement, en mangeant des viandes demeurées saines et en buvant des breuvages pas trop mal teints. Il pensait à Mme Chantelouve et surtout au chanoine Docre. Le côté mystérieux de ce prêtre le hantait. Que pouvait-il se passer dans la cervelle d'un homme qui s'était fait dessiner un Christ sous la plante des pieds pour le mieux fouler?

Quelle haine cela révélait! Lui en voulait-il de ne pas lui avoir donné les extases bienheureuses d'un saint, ou, plus humainement, de ne pas l'avoir élevé aux plus hautes dignités du sacerdoce? évidemment, le dépit de ce prêtre était désordonné et son orgueil était immense. Il ne devait même pas être fâché d'être un objet de terreur et de dégoût, car il était ainsi quelqu'un. Puis, pour une âme foncièrement scélérate, telle que celle-là semblait l'être, quelles joies que de pouvoir faire languir ses ennemis, par d'impunissables envoûtements, dans les souffrances!

Enfin le sacrilège exalte en des allégresses furieuses, en des voluptés démentielles que rien n'égale. C'est, depuis le Moyen Age, le crime des lâches, car la justice humaine ne le poursuit plus et l'on peut impunément le commettre, mais il est le plus excessif de tous pour un croyant et Docre croit au Christ puisqu'il le hait!

Quel monstrueux prêtre! -et quelles ignobles relations il a sans doute eues avec la femme de Chantelouve! Oui, mais comment la faire parler, celle-là? Elle m'a, en somme, très nettement notifié son refus de s'expliquer sur ce sujet, l'autre jour.

En attendant, comme je n'ai nulle envie de subir, ce soir, le péché de ses fredaines, je vais lui déclarer que je suis souffrant et qu'un repos absolu m'est nécessaire.

Et il le fit, lorsqu'elle vint, une heure après qu'il fut rentré chez lui.

Elle lui proposa une tasse de thé et, sur son refus, elle le dorlota, en l'embrassant. Puis, s'écartant un peu:

– vous travaillez trop; vous auriez besoin de vous distraire; allons, pour tuer le temps, si vous me faisiez un peu la cour, car enfin c'est moi qui joue, sans me lasser, ce rôle! -non? Cette idée ne vous déride pas? Cherchons autre chose. -voulez-vous que nous entamions une partie de cache-cache avec le chat? Vous haussez les épaules; eh bien, puisque rien ne réussit à éclairer votre mine grognonne, causons de votre ami, de des Hermies, qui devient-il?

– mais rien de particulier.

– et ses expériences avec la médecine Mattéï?

– j'ignore s'il les continue.

– allons, je vois que ce sujet est déjà épuisé.

Savez-vous que vos réponses ne sont pas encourageantes, mon cher.

– mais, fit-il, il peut arriver à tout le monde de ne pas répondre longuement à des questions. Je connais même certaine personne qui abuse quelquefois de ce laconisme, alors que sur certain chapitre on l'interroge.

– sur un chanoine, par exemple.

– vous l'avez dit.

Elle croisa tranquillement les jambes.

– cette personne avait sans doute des raisons pour se taire; mais si cette personne tient réellement à obliger celle qui l'interroge, peut-être s'est-elle, depuis le dernier entretien, donné beaucoup de mal pour la satisfaire.

– voyons, ma chère Hyacinthe, expliquez-vous, dit-il, la face réjouie, en lui serrant les mains.

– avouez que si je vous mettais ainsi l'eau à la bouche, à seule fin de ne plus avoir devant les yeux un visage bougon, j'aurais bien réussi.

Il gardait le silence, se demandant si elle se fichait de lui, ou bien si réellement, elle consentait à parler.

– ecoutez, reprit-elle; je maintiens ma décision de l'autre soir; je ne vous permettrai pas de vous lier avec le chanoine Docre; mais, à un moment fixé, je puis, sans que vous entriez en relations avec lui, vous faire assister à la cérémonie que vous désirez le plus connaître.

– a la messe noire?

– oui; avant huit jours, Docre aura quitté Paris; si vous le voyez, une fois avec moi, jamais plus après vous ne le reverrez. Conservez donc vos soirées libres pendant une huitaine; quand l'instant sera venu, je vous ferai signe; mais vous pouvez me remercier, mon ami, car pour vous être utile, j'enfreins les ordres de mon confesseur que je n'ose plus revoir et je me damne!

Il l'embrassa gentiment, la câlina, puis:

– c'est donc sérieux, c'est donc bien réellement un monstre que cet homme?

– j'en ai peur, -dans tous les cas, je ne souhaite de l'avoir pour ennemi à personne!

– dame! S'il envoûte les gens comme Gévingey!

– certes, et je ne voudrais pas être à la place de l'astrologue.

– vous y croyez donc! -voyons, comment opère-t-il, avec le sang des souris, les hachis ou les huiles?

– tiens, vous savez cela. -il se sert, en effet, de ces substances; il est même un des seuls qui puisse les manipuler, car l'on s'empoisonne fort bien avec; il en est de même que des matières explosibles si dangereuses à manier pour ceux qui les préparent; mais souvent, lorsqu'il s'attaque à des êtres sans défense, il use de recettes plus simples. Il distille des extraits de poisons et il y ajoute de l'acide sulfurique pour bouillonner dans la plaie; alors il trempe dans ce composé la pointe d'une lancette avec laquelle il fait piquer sa victime par un esprit volant ou une larve. C'est l'envoûtement ordinaire, connu, celui des Rose-croix et autres débutants en Satanisme.

Durtal se mit à rire. -mais, ma chère, à vous entendre, on expédierait à distance la mort, ainsi qu'une lettre.

– et certaines maladies telles que le choléra, on ne les dépêche pas par lettres? Demandez aux services sanitaires qui désinfectent pendant les épidémies les envois de poste!

– je ne dis pas le contraire, mais le cas n'est pas le même.

– si, puisque c'est la question de transmission, d'invisibilité, de distance, qui vous étonne!

– ce qui m'étonne surtout, c'est de voir les Rose-croix mêlés à cette affaire. Je vous avoue que je ne les avais jamais considérés que comme de doux jobards ou de funéraires farceurs.

– mais, toutes les sociétés sont formées de jobards, et, à leur tête, il y a toujours des farceurs qui les exploitent. Or c'est le cas des Rose-croix; cela n'empêche point que leurs chefs tentent en secret le crime. Il n'y a pas besoin d'être érudit ou intelligent pour pratiquer le rituel des maléfices. Dans tous les cas, et cela je l'affirme, il y a parmi eux un ancien homme de lettres que je connais. Celui-là vit avec une femme mariée et ils passent leur temps, elle et lui, à essayer de tuer le mari par envoûtement.