Gilles écoutait, tête basse, la lecture des jugements. Quand elle fut terminée, l'évêque et l'inquisiteur lui dirent: -voulez-vous, maintenant que vous détestez vos erreurs, vos évocations et vos autres crimes, être réincorporé à l'église, notre mère?
Et, sur les ardentes prières du maréchal, ils le relevèrent de toute excommunication et l'admirent à participer aux sacrements. La justice de Dieu était satisfaite, le crime était reconnu, puni, mais effacé par la contrition et la pénitence. La justice humaine demeurait seule.
L'évêque et l'inquisiteur remirent le coupable à la cour séculière qui, retenant les captures d'enfants et les meurtres, prononça la peine de mort et la confiscation des biens. Prélati, les autres complices, furent en même temps condamnés à être pendus et brûlés vifs.
– criez à Dieu merci! Dit Pierre De L'Hospital qui présidait les débats civils, et disposez-vous à mourir en bon état, avec un grand repentir d'avoir commis de tels crimes!
Cette recommandation était inutile.
Gilles envisageait maintenant le supplice sans aucun effroi. Il espérait, humblement, avidement, en la miséricorde du sauveur; l'expiation terrestre, le bûcher, il l'appelait de toutes se forces, pour se rédimer des flammes éternelles, après sa mort.
Loin de ses châteaux, dans sa geôle, seul, il s'était ouvert et il avait visité ce cloaque qu'avaient si longtemps alimenté les eaux résiduaires échappées des abattoirs de Tiffauges et de Machecoul. Il avait erré, sangloté, sur ses propres rives, désespérant de pouvoir jamais étancher l'amas de ses effrayantes boues. Et, foudroyé par la grâce, dans un cri d'horreur et de joie, il s'était subitement renversé l'âme; il l'avait lavée de ses pleurs, séchée au feu des prières torrentielles, aux flammes des élans fous. Le boucher de sodome s'était renié, le compagnon de Jeanne D'Arc avait reparu, le mystique dont l'âme s'essorait jusqu'à Dieu, dans des balbuties d'adoration, dans des flots de larmes!
Puis il pensa à ses amis, voulut qu'eux aussi mourussent en état de grâce. Il demanda à l'évêque de Nantes qu'ils ne fussent pas exécutés, avant ou après, mais en même temps que lui. Il fit valoir qu'il était le plus coupable, qu'il devait les avertir de leur salut, les assister au moment où ils monteraient sur le bûcher.
Jean De Malestroit accueillit cette supplique.
– ce qui est curieux, se dit Durtal, en s'interrompant d'écrire pour allumer une cigarette, c'est que…
on sonna doucement; Mme Chantelouve entra.
Elle déclara qu'elle ne restait que deux minutes, qu'elle avait une voiture en bas. -c'est pour ce soir; dit-elle; je viendrai vous prendre à neuf heures. Ecrivez-moi d'abord une lettre à peu près conçue dans ces termes, et elle lui remit un papier qu'il déplia.
Il contenait simplement cette attestation: j'avoue que tout ce que j'ai dit et écrit sur la messe noire, sur le prêtre qui la célèbre, sur le lieu où j'ai prétendu y assister, sur les soi-disant personnes que j'y trouvai, est de pure invention. J'affirme que j'ai imaginé tous ces récits, que, par conséquent, tout ce que j'ai raconté est faux.
– c'est de Docre? Dit-il, regardant une petite écriture, pointue et retorse, presque agressive.
– oui; et il veut, en outre, que cette déclaration non datée soit faite, sous forme de lettre adressée à une personne qui vous aurait consulté à ce sujet.
– il se défie donc bien de moi, votre chanoine!
– dame, vous faites des livres!
– ça ne me plaît pas infiniment de signer cela, murmura Durtal. Et si je refuse?
– vous n'assisterez pas à la messe noire.
La curiosité fut plus vive que ses répugnances. Il rédigea et signa la lettre que Mme Chantelouve mit dans son porte-carte.
– et dans quelle rue, cette cérémonie se passe-t-elle?
– dans la rue Olivier-de-serres.
– où est-ce?
– près de la rue de Vaugirard, tout en haut.
– et c'est là que demeure Docre?
– non; nous allons dans une maison particulière qui appartient à l'une de ses amies. -sur ce, si vous le voulez bien, vous reprendrez votre interrogatoire à un autre instant, car je suis pressée et je me sauve. A neuf heures, n'est-ce pas, soyez prêt.
Il eut à peine le temps de l'embrasser, elle était partie.
Enfin, se dit-il, lorsqu'il fut seul, j'avais déjà des renseignements sur l'incubat et l'envoûtement; il ne me restait plus à connaître que la messe noire pour être tout à fait au courant du satanisme, tel qu'il se pratique de nos jours et je vais la voir!
Je veux bien être pendu si je soupçonnais que Paris recélât des dessous pareils! Et comme les choses s'attirent et se lient; il fallait que je m'occupasse de Gilles De Rais et du diabolisme au Moyen Age, pour que le diabolisme contemporain me fût montré!
Et il repensa à Docre et il se dit: -quelle finaude crapule que ce prêtre! Au fond, parmi ces occultistes qui grouillent aujourd'hui dans la décomposition des idées d'un temps, celui-là est le seul qui m'intéresse.
Les autres, les mages, les théosophes, les kabbalistes, les spirites, les hermétistes, les Rose-croix, me font l'effet, lorsqu'ils ne sont pas de simples larrons, d'enfants qui jouent et se chamaillent, en trébuchant, dans une cave; et si l'on descend plus bas encore, dans les officines des pythonisses, des voyantes et des sorciers, que trouve-t-on, sinon des agences de prostitution et de chantage? Tous ces soi-disant débitants d'avenir sont fort malpropres; c'est la seule chose dans l'occulte, dont on soit sûr!
Des Hermies interrompit par un coup de sonnette ces réflexions. Il venait annoncer à Durtal que Gévingey était de retour et qu'ils devaient dîner ensemble, le surlendemain chez Carhaix.
– sa bronchite est donc guérie?
– oui, complètement.
Préoccupé de l'idée de la messe noire, Durtal ne put se taire et il avoua que, le soir même, il devait y assister; -et devant la mine stupéfaite de des Hermies, il ajouta qu'il avait promis le secret et qu'il ne pouvait, pour l'instant, lui en raconter davantage.
– mâtin, tu as de la chance, toi, fit des Hermies.
Est-ce indiscret de te demander le nom de l'abbé qui présidera à cet office?
– non, c'est le chanoine Docre.
– ah! -et l'autre se tut; il cherchait évidemment à deviner à l'aide de quelles manigances son ami avait pu joindre ce prêtre.
– tu m'as autrefois narré, reprit Durtal, qu'au Moyen Age, la messe noire se disait sur la croupe nue d'une femme, qu'au dix-septième siècle, elle se célébrait sur le ventre, et maintenant?
– je crois qu'elle a lieu comme à l'église, devant un autel. Du reste, à la fin du quinzième siècle, elle s'est quelquefois débitée ainsi, dans les Biscayes.
Il est vrai que le diable opérait alors en personne.
Revêtu d'habits épiscopaux, déchirés et souillés, il communiait avec des rondelles de savate, criant:
ceci est mon corps! Et il donnait à mâcher ces dégoûtantes espèces aux fidèles qui lui avaient préalablement baisé la main gauche, le cas et le croupion. J'espère que tu ne seras pas obligé de rendre d'aussi bas hommages à ton chanoine.
Durtal se mit à rire. -non, je ne pense pas qu'il exige de telles prébendes; mais, voyons, tu ne juges point que décidément les êtres qui, pieusement, ignoblement, suivent ces offices sont un peu fous?
– fous! Et pourquoi? -le culte du démon n'est pas plus insane que celui de Dieu; l'un purule et l'autre resplendit, voilà tout; à ce compte-là, tous les gens qui implorent une divinité quelconque seraient déments! Non, les affiliés du satanisme sont des mystiques d'un ordre immonde, mais ce sont des mystiques. Maintenant, il est fort probable que leurs élans vers l'au-delà du mal coïncident avec les tribulations enragées des sens, car la luxure est la goutte-mère du démonisme. La médecine classe tant bien que mal cette faim de l'ordure dans les districts inconnus de la névrose; et, elle le peut, car personne ne sait au juste ce qu'est cette maladie dont tout le monde souffre; il est bien certain, en effet, que les nerfs vacillent dans ce siècle, plus aisément qu'autrefois, au moindre choc. Tiens, rappelle-toi les détails donnés par les journaux, sur l'exécution des condamnés à mort; ils nous révèlent que le bourreau travaille avec timidité, qu'il est sur le point de s'évanouir, qu'il a mal aux nerfs, lorsqu'il décapite un homme. Quelle misère!