Durtal reconnut sous la robe rouge le " petit jésus " qui gardait la porte quand il entre et il comprit le rôle réservé à cet homme dont la sacrilège ordure se substituait à cette pureté de l'enfance que veut l'église.
Puis, un autre enfant de choeur encore plus hideux s'exhiba. Efflanqué, creusé par les toux, réparé par des carmins et des blancs gras, il boitillait, en chantonnant. Il s'approcha de trépieds qui flanquaient l'autel, remua les braises accouvies dans les cendres et il y jeta des morceaux de résine et des feuilles.
Durtal commençait à s'ennuyer quand Hyacinthe le rejoignit; elle s'excusa de l'avoir laissé si longtemps seul, l'invita à changer de place et elle le conduisit, derrière toutes les rangées de chaises, très à l'écart.
– nous sommes donc dans une vraie chapelle?
Demanda-t-il.
– oui, cette maison, cette église, ce jardin que nous avons traversé, ce sont les restes d'un ancien couvent d'Ursulines, maintenant détruit. L'on a pendant longtemps resserré des fourrages dans cette chapelle; la maison appartenait à un loueur de voitures qui l'a vendue, tenez, à cette dame, -et elle désignait une grosse brune qu'avait entr'aperçue Durtal.
– et elle est mariée, cette dame?
– non, c'est une ancienne religieuse qui fut jadis débauchée par le chanoine Docre.
– ah! Et ces messieurs qui paraissent vouloir rester dans l'ombre?
– ce sont des Sataniques… il y en a un parmi eux qui fut professeur à l'école de médecine; il a chez lui un oratoire où il prie la statue de la Vénus Astarté, debout sur un autel.
– bah!
– oui; -il se fait vieux, et ces oraisons démoniaques décuplent ses forces qu'il use avec des créatures de ce genre; -et elle désigna, d'un geste, les enfants de choeur.
– vous me garantissez la véracité de cette histoire?
– je l'invente si peu que vous la trouverez racontée tout au long dans un journal religieux les annales de la sainteté. et, bien qu'il fût clairement désigné dans l'article, ce monsieur n'a pas osé faire poursuivre ce journal! -ah çà, qu'est-ce que vous avez? Reprit-elle, en le regardant.
– j'ai… que j'étouffe; l'odeur de ces cassolettes est intolérable!
– vous vous y habituerez dans quelques secondes.
– mais qu'est-ce qu'ils brûlent pour que ça pue comme cela?
– de la rue, des feuilles de jusquiame et de datura des solanées sèches et de la myrthe; ce sont des parfums agréables à Satan, notre maître!
Elle dit cela de cette voix gutturale, changée, qu'elle avait, à certains instants, au lit.
Il la dévisagea; elle était pâle; la bouche était serrée, les yeux pluvieux battaient.
– le voici, murmura-t-elle, tout à coup, pendant que les femmes couraient devant eux, allaient s'agenouiller sur des chaises.
Précédé des deux enfants de choeur, coiffé d'un bonnet écarlate sur lequel se dressaient deux cornes de bison en étoffe rouge, le chanoine entra.
Durtal l'examina, tandis qu'il marchait à l'autel.
Il était grand mais mal bâti, tout en buste; le front dénudé se prolongeait sans courbe en un nez droit; les lèvres, les joues étaient hérissées de ces poils durs et drus qu'ont les anciens prêtres qui se sont longtemps rasés; les traits étaient sinueux et gros; les yeux en pépins de pommes, petits, noirs, serrés près du nez, phosphoraient. Somme toute, sa physionomie était mauvaise et remuée, mais énergique et ces yeux durs et fixes ne ressemblaient pas à ces prunelles fuyantes et sournoises que s'était imaginé Durtal.
Il s'inclina solennellement devant l'autel, monta les gradins, et commença sa messe.
Durtal vit alors qu'il était, sous les habits du sacrifice, nu. Ses chairs refoulées par des jarretières attachées haut, apparaissaient au-dessus de ses bas noirs. La chasuble avait la forme ordinaire des chasubles, mais elle était du rouge sombre du sang sec et, au milieu, dans un triangle autour duquel fusait une végétation de colchiques, de sabines, de pommes-vinettes et d'euphorbes, un bouc noir, debout, présentait les cornes.
Docre faisait les génuflexions, les inclinations médiocres ou profondes, spécifiées par le rituel; les enfants de choeur, à genoux, débitaient les répons latins, d'une voix cristalline qui chantait sur les fins de mots.
– ah çà, mais c'est une simple messe basse, dit Durtal à Mme Chantelouve.
Elle fit signe que non. En effet, à ce moment, les enfants de choeur passèrent derrière l'autel, rapportèrent, l'un, des réchauds de cuivre, l'autre, des encensoirs qu'ils distribuèrent aux assistants. Toutes les femmes s'enveloppèrent de fumée; quelques-unes se jetèrent la tête sur les réchauds, humèrent l'odeur à plein nez, puis, défaillantes, se dégrafèrent, en poussant des soupirs rauques.
Alors le sacrifice s'interrompit. Le prêtre descendit à reculons les marches, s'agenouilla sur la dernière et, d'une voix trépidante et aiguë, il cria:
– " maître des esclandres, dispensateur des bienfaits du crime, intendant des somptueux péchés et des grands vices, Satant, c'est toi que nous adorons, Dieu logique, Dieu juste!
" légat suradmirable des fausses transes, tu accueilles la mendicité de nos larmes; tu sauves l'honneur des familles par l'avortement des ventres fécondés dans des oublis de bonnes crises; tu insinues la hâte des fausses couches aux mères et ton obstétrique épargne les angoisses de la maturité, la douleur des chutes, aux enfants qui meurent avant de naître!
" soutien du pauvre exaspéré, cordial des vaincus, c'est toi qui les doues de l'hypocrisie, de l'ingratitude, de l'orgueil, afin qu'ils se puissent défendre contre les attaques des enfants de dieu, des riches!
" suzerain des mépris, comptable des humiliations, tenancier des vieilles haines, toi seul fertilises le cerveau de l'homme qui l'injustice écrase; tu lui souffles les idées des vengeances préparées, des méfaits sûrs; tu l'incites aux meurtres, tu lui donnes l'exubérante joie des représailles acquises, la bonne ivresse des supplices accomplis, des pleurs, dont il est cause!
" espoir des virilités, angoisse des matrices vides, Satan, tu ne demandes point les inutiles épreuves des reins chaste, tu ne vantes pas la démence des carêmes et des siestes; toi seul reçois les suppliques charnelles et les apostilles auprès des familles pauvres et cupides, tu détermines la mère à vendre sa fille, à céder son fils, tu aides aux amours stériles et réprouvées, tuteur des stridentes névroses, tour de plomb des hystéries, vase ensanglanté des viols!
" maître, tes fidèles servants, à genoux, t'implorent.
Ils te supplient de leur assurer l'allégresse de ces délectables forfaits que la justice ignore; ils te supplient d'aider aux maléfices dont les traces inconnues déroutent la raison de l'homme; ils te supplient de les exaucer, alors qu'ils souhaitent la torture de tous ceux qui les aiment et qui les servent; ils te demandent enfin, gloire, richesse, puissance, à toi, le roi des déshérités, le fils qui chassa l'inexorable père! " puis Docre se releva, et, debout, d'une voix claire, haineuse, les bras étendus, vociféra:
– " et toi, toi, qu'en ma qualité de prêtre, je force, que tu le veuilles ou non, à descendre dans cette hostie, à t'incarner dans ce pain, Jésus, artisan des supercheries, larron d'hommages, voleur d'affection, écoute! Depuis le jour où tu sortis des entrailles ambassadrices d'une vierge, tu as failli à tes engagements, menti à tes promesses; des siècles ont sangloté, en t'attendant, Dieu fuyard, Dieu muet!