– et ces pierreries dont tu me parlais, quel usage en fait-il?
– avant de te répondre, il me faut préalablement t'expliquer le sens de l'aptitude de ces pierres. Je ne t'apprendrai rien, en te racontant qu'Aristote, que Pline, que tous les savants du paganisme leur attribuèrent des vertus médicales et divines. Suivant eux, l'agate et la cornaline égaient; la topaze console; le jaspe guérit les maladies de langueur; l'hyacinthe chasse l'insomnie; la turquoise empêche ou atténue les chutes; l'améthyste combat l'ivresse.
Le symbolisme catholique s'empare, à son tour, des pierreries et voit en elles les emblèmes des vertus chrétiennes. Alors, le saphir représente les aspirations élevées de l'âme; la calcédoine, la charité; la sarde et l'onyx, la candeur; le béryl allégorise la science théologique; l'hyacinthe, l'humilité, tandis que le rubis apaise la colère, que l'émeraude lapidifie l'incorruptible foi.
Puis, la magie… -et Des Hermies, se leva et prit dans sa bibliothèque un tout petit volume, relié comme un paroissien, et dont il montra le titre à Durtal.
Celui-ci lut sur la première page: " la magie naturelle qui est les secrets et miracles de nature, mise en quatre livres par Jean-baptiste Porta, Néapolitain ". et, en bas " à Paris, par Nicolas Bonfous, rue neuve nostre dame, à l'enseigne Saint Nicolas, 1584 ". puis, reprit Des Hermies, en feuilletant ce bouquin, la magie naturelle ou plutôt la simple thérapeutique de ce temps, prête de nouveaux sens aux gemmes; tiens, écoute:
après avoir tout célébré une pierre inconnue, " l'alectorius " qui rend invincible son possesseur, lorsqu'on l'a tout d'abord tirée du ventre d'un coq, chaponné depuis quatre ans, ou arrachée du ventricule d'une géline, Porta nous apprend que la calcédoine fait gagner les procès, que la cornaline calme le flux du sang et " est assez utile aux femmes qui sont malades de leurs fleurs ", que l'hyacinthe garantit de la foudre et éloigne les pestilences et les venins, que la topaze dompte les passions lunatiques, que la turquoise profite contre la mélancolie, la fièvre quarte et les défaillances du coeur. Il atteste enfin que le saphir préserve de la peur et conserve les membres vigoureux, alors que l'émeraude pendue au col, contregarde le mal de saint Jean et se brise, dès que la personne qui la porte n'est pas chaste.
Tu le vois, l'antiquité, le christianisme, la science du seizième siècle ne s'entendent guère sur les vertus spécifiques de chaque pierre; presque partout, les significations, plus ou moins cocasses, diffèrent.
Le Dr Johannès a révisé ces croyances, adopté et rejeté nombre d'entre elles; enfin il a, de son côté, admis de nouvelles acceptions. Pour lui, l'améthyste guérit bien l'ivresse, mais surtout l'ivresse morale, l'orgueil; le rubis enraye les entraînements génésiques, le béryl fortifie la volonté, le saphir élève les pensées vers Dieu.
Il croit, en somme, que chaque pierre correspond à une espèce de maladie et aussi à un genre de péché; et il affirme que lorsqu'on sera parvenu à s'emparer chimiquement du principe actif des gemmes, non seulement l'on aura des antidotes mais encore des préservatifs à bien des maux. En attendant que ce rêve, qui peut paraître un tantinet louffoque, se réalise et que des chimistes lapidaires fichent notre médecine en bas, il use des pierres précieuses pour formuler les diagnostics des maléfices.
– mais comment?
– il prétend qu'en posant telle ou telle pierre dans la main ou sur la partie malade de l'envoûté, un fluide s'échappe de la pierre qu'il tient dans ses doigts et le renseigne. Il me narrait, à ce propos, qu'un jour, entre chez lui une dame qu'il ne connaissait point et qui souffrait, depuis son enfance, d'une maladie incurable. Impossible d'obtenir d'elle des réponses qui fussent précises. En tout cas, il ne découvrait trace d'aucun vénéfice; après avoir essayé presque toute la série de ses pierres, il prit le lapis-lazuli qui correspond, selon lui, au péché de l'inceste; il le lui mit dans la main et le palpa.
– votre maladie, dit-il, est la suite d'un inceste. – mais, répondit-elle, je ne suis pas venue chez vous pour me confesser; -et elle finit néanmoins par avouer que son père l'avait violée, alors qu'elle était impubère. Tout cela est désordonné, contraire à toutes les idées reçues, presque insane, mais, l'on ne s'en trouve pas moins en face d'un fait: ce prêtre guérit des malades que, nous autres médecins, nous jugeons perdus!
– si bien que l'unique astrologue qui nous reste à Paris, l'étonnant Gévingey, serait mort sans son aide. C'est égale, dis donc, il est est bien, celui-là.
Comment, diable, se peut-il que l'impératrice Eugénie lui ait commandé des horoscopes?
– mais, je te l'ai raconté. L'on s'occupait fort de magie aux Tuileries, sous l'empire. L'Américain Home y fut révéré à l'égal d'un Dieu; en sus de ses séances de spiritisme, c'est lui qui évoquait les esprits infernaux, dans cette cour. ça a même assez mal tourné, un jour. Un certain marquis l'avait supplié de lui faire revoir sa femme qui était morte; Home le mena vers un lit, dans une chambre et le laissa seul. Que survint-il? Quels fantômes effrayants, quelles ligeïa de sépulcre surgirent?
Toujours est-il que le malheureux fut foudroyé au pied du lit. Cette histoire a été récemment rapportée par le figaro, d'après des renseignements incontestables.
Oh! Il ne faut pas jouer avec les choses outre-tombe et trop nier les esprits du mal. J'ai connu jadis un garçon riche, enragé de sciences occultes. Il fut président d'une société de théosophie à Paris et il écrivit même un petit livre sur la doctrine ésotérique, dans la collection de l'isis. Eh bien, il ne voulut pas, comme les Péladan et les Papus, se contenter de ne rien savoir, et il se rendit en Ecosse où le diabolisme sévit. Là, il fréquenta l'homme qui, moyennant finances, vous initie aux arcanes sataniques et il tenta l'épreuve. Vit-il celui que dans " zanoni " Bulwer Lytton appelle " le gardien du seuil du mystère "? Je l'ignore, mais ce qui est avéré c'est qu'il s'évanouit d'horreur et revint en France épuisé, à moitié mort.
– diantre! Fit Durtal. Tout n'est pas rose, dans ce métier; mais, voyons, lorsqu'on entre dans cette voie, l'on ne peut donc évoquer que les esprits du mal?
– t'imagines-tu que les anges qui n'obéissent, ici-bas, qu'aux Saints, reçoivent les ordres du premier venu?
– mais enfin, il doit y avoir, entre les esprits de lumière et les esprits de ténèbres, un moyen terme, des esprits ni célestes, ni démoniaques, mitoyens, ceux, par exemple, qui débitent de si fétides âneries dans les séances des spirites!
– un prêtre me disait, un soir, que les larves indifférentes, neutres, habitent un territoire invisible et naturel, quelque chose comme une petite île qu'assiègent, de toutes parts, les bons et les mauvais esprits. Elles sont de plus en plus refoulées, finissent par se fondre dans l'un ou l'autre camp. Or, à force d'évoquer ces larves, les occultistes qui ne peuvent, bien entendu, attirer les anges, finissent par amener les esprits du mal et, qu'ils le veuillent ou non, sans même le savoir, ils se meuvent dans le diabolisme. C'est là, en somme, où aboutit à un moment donné, le spiritisme!
– oui, et si l'on admet cette dégoûtante idée qu'un médium imbécile peut susciter les morts, à plus forte raison, doit-on reconnaître l'étampe de Satan, dans ces pratiques.
– sans aucun doute; de quelque côté que l'on se tourne, le spiritisme est une ordure!
– alors, tu ne crois pas, en somme, à la théurgie, à la magie blanche?
– non, c'est de la blague! C'est un oripeau qui sert aux gaillards tels que les rose-croix, à cacher leurs plus répugnants essais de magie noire.
Personne n'ose avouer qu'il satanise; la magie blanche, mais malgré les belles phrases dont l'assaisonnent les hypocrites ou les niais, en quoi veux-tu qu'elle consiste? Où veux-tu qu'elle mène? D'ailleurs l'église, que ces compérages ne sauraient duper, condamne indifféremment l'une et l'autre de ces magies.