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Comment était-il mon ami sans me connaître? comment m'avait-il prouvé son amitié?

Je vais vous raconter cela.

Berteau avait vingt-quatre ans en 1830; comme tous les Marseillais, il avait le coeur chaud, la tête poétique, et de l'esprit jusqu'au bout des ongles.

Je ne sais pas comment font ces diables de Marseillais, ils ont tous de l'esprit, et il en reste encore pour les autres.

Il s'était fait non-seulement un adepte, mais un fanatique de la nouvelle école.

Malheureusement, tout le monde n'était pas de son opinion littéraire à Marseille. Il y avait bon nombre d'opposants, et les opposants étaient même en majorité.

Madame Dorval y vint en 1831 pour jouer Antony.

Or, Antony était l'expression la plus avancée du parti. Victor Hugo, plus romantique que moi par la forme, était plus classique par le fond.

L'effet d'Antony sur les Marseillais devait être décisif. Continuerait-on de parler la langue d'Oc à Marseille? Y parlerait-on la langue d'Oil?

Telle était la question.

Antony allait la décider.

Chers lecteurs qui courez les boulevards un agenda à la main, non pas pour y inscrire vos pensées,-mais vos différences;-et vous surtout, belles lectrices qui portez ces crinolines immenses et ces imperceptibles chapeaux, dont l'un est nécessairement la critique de l'autre, vous n'avez pas connu ces représentations de 1830, dont chacune était une bataille de la Moscova, à la fin de laquelle chacun chantait son Te Deum, comme si les deux partis étaient vainqueurs, tandis qu'au contraire, souvent les deux partis étaient vaincus; vous ne pouvez donc vous faire une idée de ce que fut, ou plutôt de ce que ne fut pas la première représentation d'Antony à Marseille.

Dès le premier acte, il y eut lutte dans le parterre, non pas lutte de sifflets et de bravos, d'applaudissements et de chants de coqs, de cris humains et de miaulements de chats, comme cela se pratique dans les représentations ordinaires, non; lutte d'injures, lutte à coups de pied, lutte à coups de poing.

Berteau, à son grand regret, fut un peu empêché de prendre part à cette lutte.

Pourquoi?-ou plutôt par quoi?

Par une couronne de laurier qu'il avait apportée toute faite, et qu'il cachait sous une de ces immenses redingotes blanches, comme on en portait en 1831.

Peut-être un combattant de plus, et surtout un combattant de la force, de l'enthousiasme et de la conviction de Berteau, eût-il changé la face de la bataille.

Or, quoi qu'il doive m'en coûter, il faut bien que je l'avoue, la bataille fut perdue, non pas comme Waterloo, au cinquième acte, mais comme Rosbach. au premier.

Force fut de baisser la toile avant la fin de ce malheureux premier acte.

Que fait Berteau, ou plutôt que fera Berteau de sa couronne?

Berteau s'élance sur le théâtre, crie: «Au rideau!» d'une si majestueuse voix, que le machiniste la prend pour celle du régisseur; le rideau se lève, et que voit le parterre, encore en train de se gourmer?

Berteau sur le théâtre avec sa redingote blanche, et sa couronne à la main.

Berteau, secrétaire de la préfecture, était connu de tout Marseille.

Que va faire Berteau?

À peine chacun s'était-il adressé cette question, que Berteau arrache la brochure des mains du souffleur, allonge son double laurier sur la brochure, et, à haute et intelligible voix:

– Alexandre Dumas, dit-il, puisque tu n'es pas ici et que je ne puis te couronner, permets que je couronne ta brochure.

Je vous demande, à vous qui connaissez Marseille, quel fut le tonnerre d'injures, de cris, d'imprécacations qui s'élança de ce volcan que l'on appelle un parterre marseillais.

Vous croyez que Berteau, vaincu, va se retirer?

Vous ne connaissez pas Berteau.

Il se retire, en effet, mais pour aller chercher dans le cabinet des accessoires la plus immense perruque du Malade imaginaire, la fait poudrer à blanc par le coifleur, la dissimule derrière sa redingote blanche, rentre sur la scène et crie: «Au rideau!» pour la seconde fois.

Trompé pour la seconde fois, le machiniste lève la toile.

Encore Berteau; cette fois, seulement, Berteau fait trois humbles saluts.

On croit qu'il vient faire des excuses, on crie: «Silence!» on se rassied.

Berteau tire sa perruque de derrière son dos, et, d'une voix articulée de façon à ce que personne n'en perde un mot:

– Tiens, parterre de perruquiers, dit-il, je t'offre ton emblème.

Et il jette sa perruque poudrée à blanc au milieu du parterre.

Cette fois, ce ne fut pas une révolte, ce fut une révolution; ce n'était plus assez de proscrire Berteau comme Aristide, il fallait l'immoler comme les Gracques.

On se précipita sur le théâtre.

Berteau n'eut que le temps de disparaître, non par une trappe, mais par le trou du souffleur.

Un pompier, qui lui avait des obligations, lui prêta son casque et sa veste pour sortir du théâtre et rentrer chez lui.

Le lendemain, en venant à son bureau, il trouva le préfet plein d'inquiétude; on lui avait annoncé que son secrétaire particulier était fou, et comme, à part son enthousiasme romantique, Berteau était un excellent employé, le préfet était au désespoir.

Or, j'avais retrouvé Berteau aussi chaud en 1858 qu'il l'était en 1832.

Présent à l'engagement que je prenais de lire une nouvelle pièce le jeudi suivant, il pensa que j'aurais besoin de solitude, et m'offrit sa campagne de la Blancarde.

En sortant du théâtre, nous montâmes en voiture et allâmes à la campagne.

Imaginez-vous la plus délicieuse retraite qu'il y ait au monde, avec des forêts de pins qui au mois d'août, ne laissent point passer un rayon de soleil, avec des vergers d'amandiers qui, au mois de mars, quand à Paris tombe la véritable neige, froide et glacée, secouent, eux, leur neige parfumée et rose sur des gazons qui n'ont pas cessé d'être verts.

La maison était gardée par un simple jardinier nommé Claude, comme au temps de Florian et de madame de Genlis,

Le matin, au poste à feu de la Blancarde, il avait tué un oiseau qui lui était inconnu.

Il apportait cet oiseau à son maître.

Berteau poussa un cri de joie.

– Eh! mon ami, dit-il, c'est pour vous, c'est en votre honneur que cet oiseau s'est fait tuer.

Je pris l'oiseau, je l'examinai, le tournant et le retournant.

– Je ne lui trouve rien d'extraordinaire, dis-je, et, à moins que ce ne soit le rara avis de Juvénal ou le phénix qui vient déguisé en simple particulier pour le carnaval à Marseille…

Berteau m'interrompit.

– Eh! mon ami, c'est bien mieux que tout cela: c'est l'oiseau contesté, l'oiseau fabuleux, l'oiseau que l'on vous a accusé d'avoir trouvé dans votre imagination, l'oiseau qui n'existe pas, à ce que prétendent les savants; c'est un chastre, mon ami; voilà vingt ans que j'en cherche un pour vous l'envoyer. Tiens, Claude, voilà cent sous.

– Un chastre!

Je vous avoue que, moi-même, j'étais resté stupéfait; on m'avait tant dit que j'avais inventé le chastre, que j'avais fini par le croire.

Je m'étais dit que j'avais été mystifié par M. Louet, et je m'étais consolé, ayant été depuis mystifié par bien d'autres.

Mais non, l'honnête homme ne m'avait dit que la vérité; peut-être n'avait-il pas été à Rome en poursuivant un chastre, mais il avait pu y aller, puisque, ornothologiquement parlant, la cause première existait.

Je mis le chastre dans une boîte faite exprès, et je l'expédiai à Paris pour le faire empailler.

Puis je m'occupai de mon installation.

La première chose qui m'était nécessaire était une cuisinière.

Je m'informai à Berteau.

– Diable! me dit-il, je vous en donnerais bien une, mais…

– Mais quoi?

– Mais elle a un défaut.

– Lequel?

– Elle ne sait pas faire la cuisine.

Je jetai un cri de joie.