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Mais, de même que, sur l'eau, j'avais été obligé d'accepter ses conditions, sur terre, il fut forcé d'accepter les miennes.

Or, ces conditions étaient qu'il se mît à table et déjeunât; ce qu'il fit, du reste, d'excellente grâce.

Maintenant, chers lecteurs, c'est à vous de m'acquitter avec ce brave homme.

Si jamais vous allez à Marseille, et qu'à Marseille il vous prenne fantaisie de faire une promenade sur l'eau, demandez le batelier de _la Ville-de-Paris;_ ne lui dites pas que vous me connaissez, pour Dieu! il ne vous laisserait pas payer.

Demandez-lui seulement si l'anecdote est vraie.

Je n'avais pas vu Marseille depuis 1842.

Or, depuis 1842, Marseille, grâce à nos colonies d'Afrique, grâce au commerce, qui chaque jour devient plus actif avec le Levant; grâce au port de la Joliette, grâce au quai Mirès, dont on peut rire à Paris, mais qu'il faut admirer à Marseille,-Marseille compte cinquante ou soixante mille habitants de plus, sans compter que la population flottante a doublé. Il est vrai qu'au contraire de la fille du Phocéen Protis, qui engraisse, profite et fleurit, la fille de Sextius Calvinus, la pauvre Aix maigrit, pâlit, s'étiole.

Le chemin de fer qui, à la suite du beau discours de Lamartine, a passé à Arles au lieu de passer à Aix, a achevé de tuer la pauvre ville poitrinaire; Aix, qui avait autrefois vingt-quatre mille habitants, n'en a pas quinze mille à cette heure.

Aussi Berteau, qui est aujourd'hui secrétaire, non plus du préfet, mais de la chambre de commerce, ce qui lui vaut dix-huit mille francs au lieu de cent louis, avait-il fait une proposition au conseil municipal de Marseille.

C'était d'acheter Aix.

Il avait calculé que c'était une affaire de cinq à six millions: on achetait toutes les maisons d'Aix; on les rasait, on passait la charrue sur leur emplacement, et on y plantait des oliviers.

Les Aixois, sans feu ni lieu, étaient obligés de venir à Marseille.

Bonne affaire pour les propriétaires auxquels tombait du ciel un surcroît de quatorze mille locataires avec de l'argent tout frais en poche. En outre, la cour royale, l'académie, l'université, les archives, suivaient naturellement les habitants.

Marseille héritait de tout cela; cela valait bien six millions, et il n'y avait rien d'énorme à faire une pareille proposition à une ville qui vient de dépenser quarante millions pour emprunter un filet d'eau à la Durance.

La municipalité refusa.

Les esprits sensés en sont encore à se demander pourquoi.

Berteau pense que c'est son affaire de 1831-vous savez, la fameuse affaire de la couronne de laurier et de la perruque-qui lui a fait du tort.

Il pourrait bien avoir raison: rien n'est rancunier comme un classique.

Il y a tel académicien qui ne peut pas encore pardonner au public du Théâtre-Français le succès de Henri III et la chute d'Arbogaste.

À propos, on dit qu'il est question de le reprendre.-Oh! soyez tranquilles! Arbogaste,-pas Henri III.

HEURES DE PRISON

Un livre me tombe sous la main, qui réveille en moi de vieux souvenirs, un livre comme ceux de Pélisson, de Latude, du baron de Trenck, de Silvio Pellico et d'Andriane.

Celle qui l'a écrit n'est plus qu'un cadavre froid et insensible; le coeur qui a battu sous tant de douloureuses impressions s'est arrêté; l'âme qui a jeté de si lamentables cris est remontée au ciel.

Marie Capelle était-elle coupable ou non? Ceci est maintenant une affaire entre ses juges et Dieu. Elle disait obstinément, éternellement: _Non!_ La loi a dit une seule fois: _Oui,_ et cette seule affirmation l'a emporté sur toutes ses dénégations.

Nous l'avons connue enfant, parée de la double robe virginale, de la jeunesse et de l'innocence. Si notre conscience avait à prendre un parti, peut-être, comme la loi, dirait-elle: _Oui;_ si notre coeur et notre imagination avaient à absoudre ou à condamner, peut-être, comme la victime, diraient-ils: _Non._

En tout cas, coupable ou innocente, Marie Capelle est morte; elle a pour elle aujourd'hui l'expiation du cachot, la réhabilitation de la tombe. Recueillons donc les larmes qui, pendant onze ans, sont tombées goutte à goutte de ses yeux. Que ce soit le remords, l'injustice ou le désespoir qui les ait fait couler, celle qui les versait, pécheresse ou martyre, est maintenant à la droite du Seigneur; ses larmes sont pures comme le liquide cristal qui sort du rocher.

Aussi accorderons-nous au livre un peu plus d'espace, à la prisonnière un peu plus de temps que d'autres ne leur en ont accordé. Ni la prisonnière ni le livre ne nous sont étrangers. J'étais lié au grand-père de Marie Capelle, mon tuteur; je suis lié à sa mère par les liens de la famille: Antonine, sa soeur, a épousé un de mes parents.

On me dit que sa famille, qui l'avait abandonnée avant son mariage, l'a reniée après son crime.-Remarquez que je parle au point de vue de la loi, et que je la tiens coupable, du moment que le jury a dit qu'elle l'était.

Mais, de mon côté, il n'en a pas été ainsi: au moment du procès, j'ai fait ce que j'ai pu pour la sauver; condamnée et captive, j'ai fait ce que j'ai pu pour la faire sortir de prison.

En 1848, j'étais près d'obtenir du roi Louis-Philippe, qui, aux yeux de la nature, lui était plus proche parent que moi, la grâce de Marie Capelle. J'avais parole du ministre de la justice qu'elle passerait de la prison de Montpellier dans une maison de santé, et, de la maison de santé, à l'air libre. Pauvre hirondelle, comme elle eût secoué ses ailes en deuil! comme elle eût chanté son plus joyeux chant!

Maintenant, pourquoi, en 1847 et 1848, avais-je redoublé d'efforts pour rendre la liberté à la pauvre prisonnière? d'où vient que je m'étais exposé à toutes les avanies auxquelles s'expose un solliciteur, moi qui redoute tellement les avanies, que je n'ai jamais rien sollicité pour moi?

Je vais vous le dire.

Au mois de décembre 1846, je voyageais en Afrique avec mon fils, Auguste Maquet, Louis Boulanger, Giraud et Desbarolles. Nous avions quitté, cinq ou six heures auparavant, ce nid d'aigle qu'on appelle Constantine, et nous étions forcés de faire halte et de passer la nuit au camp de Smendou.

Le camp de Smendou avait des murailles, mais n'avait point de maisons. On avait dû songer à se défendre avant de songer à se loger.

Je me trompe: il y avait une grande barraque en bois qui portait le nom pompeux d'auberge, et une petite maison en pierre modelée en miniature sur le fameux hôtel de Nantes, qui est resté si longtemps debout et isolé sur la place du Carrousel, laquelle maison était habitée par le payeur du régiment en garnison au camp de Smendou.

C'est remarquable comme il fait froid en Afrique! c'était à croire que le soleil, roi des Saharas, avait abdiqué, et faisait faire son intérim par Saturne ou par Mercure. Il avait plu, et gelé par-dessus la pluie; de sorte que nous arrivions au terme de notre étape tout mouillés et tout transis.

Nous entrâmes à l'auberge et nous nous pressâmes autour du poêle, tout en commandant le souper.

Il faisait une bise atroce, et cette bise passait par les planches gercées, de manière à nous faire craindre d'être obligés de souper sans chandelle. Smendou, en 1846, n'en était pas arrivé encore à ce degré de civilisation, de se servir de lampes ou de bougies.

Je demandai deux hommes de bonne volonté pour se mettre en quête d'une chambre, tandis que je veillerais sur le souper.

Quoiqu'on mangeât mieux qu'en Espagne, cela ne voulait pas dire que l'on mangeât agréablement et abondamment.

Giraud et Desbarolles se dévouèrent. Ils prirent une lanterne: tenter de parcourir les corridors avec une chandelle, c'était une entreprise insensée qui ne se présenta même point à leur esprit.

Au bout de dix minutes, les intrépides explorateurs revinrent; ils rapportaient cette nouvelle, qu'ils avaient trouvé une espèce de galetas par les interstices duquel le vent pénétrait de tous les côtés. Le seul avantage que présentait une nuit passée là sur une nuit passée à la belle étoile, c'est qu'on avait chance d'y attraper des coups d'air.