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» Mon berceau fut béni. Je fus aimée, enfant. Jeune fllle, je vis le respect des hommes s'incliner sur mon passage. Mais la mort prit mon père, et son dernier baiser glaça le premier sourire sur mon front.

» Malheur aux orphelins!… Étrangers sur la terre, ils savent aimer encore et ne sont plus aimés. Ils rappellent aux hommes le souvenir des morts, et les heureux les jettent dans les luttes du monde sans même les armer d'une bénédiction.

» Malheur aux orphelins!… Les nuages s'amassent vite sur ces pauvres existences que nul ne protége, que nul ne défend. À la veille de vivre, moi, je pleurais ma vie. À la veille d'aimer, hélas! je portais déjà le deuil de mon bonheur.

» Tous ceux qui m'étaient chers ont détourné la tête; ils se sont isolés dans un superbe mépris, Quand je criais vers eux, ils m'appelaient maudite, parce que je criais du fond de l'abîme; et cependant, mon Dieu, vous le savez, vous, je n'ai point échangé ma robe d'innocence contre la ceinture d'or du péché.

» Seigneur, mes ennemis m'insultent. Dans leur triomphe, ils bravent le remords et se rient de mes pleurs! Mon Dieu, hâte pour moi le jour de la justice! Mon Dieu, daigne servir de père à l'orpheline! Mon Dieu, daigne servir de juge à l'opprimée!»

_(Deuixième anniversaire.)_

«Minuit, 15 juillet 1845.

» Les haleines de la nuit apportent les rêves à l'homme et la rosée aux fleurs. Dans les bois, la source murmure un cantique au sommeil. Sous les lilas, le rossignol chante, et sa voix, qui dit à la rose: _Je t'aime!_ fait sourire l'espérance, fait pleurer le regret.

» À travers les nuages, la lune glisse et projette mille visions d'opale sur les prés. L'écho répond par un soupir au soupir qu'il écoute. La pensée se souvient, le coeur aime, l'âme prie, et les anges recueillent, pour les confier à Dieu, nos plus nobles pensées, nos plus saintes prières, nos plus chastes amours.

»J'aime le soir; j'aime les brises parfumées qui portent mes larmes aux morts, mes regrets aux absents.

» J'aime le soir; j'aime ces pâles ténèbres qui retranchent un jour aux jours de mon malheur.»

AMITIÉ.

«L'amitié consiste dans l'oubli de ce que l'on donne, et dans le souvenir de ce que l'on reçoit.»

«Février 1847,

» Le soleil, astre roi du bonheur et du jour, éblouit les regards de l'homme.

» Les étoiles, douces filles de la solitude et de la nuit, attirent les pensées vers le ciel.

» Le soleil, c'est l'amour qui fait vivre.

» L'étoile, c'est l'amitié qui nous aide à mourir.

» Jeune, j'ai salué le bonheur, j'ai salué l'espérance. Aujourd'hui, je ne crois plus qu'en la douleur et qu'en l'oubli. Le temps a effacé la chimère de mes rêves. O mon étoile! ô ma sainte amitié! je n'aime plus que toi!

» Toutes mes larmes se séchaient au rayon d'un sourire.

» Le sourire s'est éteint.

» Un coeur battait pour moi, et, seul contre la haine, savait bien me défendre.

» J'écoute, la haine s'agite encore; mais le coeur ne bat plus.»

À A.G.

«Enfant, vous demandez pourquoi ma tête penche sur mes froids barreaux, et vers quelles régions ma pensée s'élance, à cette heure où, le jour s'éteignant dans la nuit, la nature s'endort, et l'Angelus chante l'hymne sainte de Marie.

» Mes pensées, oh! combien elles sont loin de la terre! Pour elles, plus d'espérances, pas même un regret. Je suis morte ici-bas, et, pour revivre encore, je souffre, je pleure, je prie, et doucement aux méchants je pardonne, pour que Dieu, en m'aimant, bénisse mon malheur.

» Je ne veux pas haïr. L'amour, c'est l'harmonie qui fait vibrer nos âmes au saint nom du Seigneur; l'amour, c'est notre loi et notre récompense; c'est la force du martyre, la palme de l'innocence.-Je ne veux pas haïr; la haine éteint l'amour, et l'amour, c'est la vie.

» Jeune âme qui m'aimez, puissiez-vous être heureuse! Ma prière vous garde, ma pensée vous bénit. Espérez un bonheur, et, s'il faut que vos yeux connaissent aussi les larmes, hélas! souvenez-vous que, sur la terre d'exil, le sentier le plus rude est celui qui conduit tout droit vers notre patrie du ciel.

» La vie est une épreuve: nous vivons pour mourir. Peu importe la vie, et, quand viendra le soir, si ma tête se penche tristement sur mes froids barreaux, enfant, ne pleurez pas, mon coeur est innocent; le ciel a des étoiles, et Dieu a la justice pour le triomphe de la vérité!»

MORT.

«2 novembre 1848.

» Heureux, vous calomniez la mort. Aveuglés par la peur de la libératrice, vous faites une homicide de la vierge des tombeaux. Vous lui donnez pour tunique la toile du linceul. Vous dites ses ailes si noires, son regard si terrible, qu'il pétrifie vos joies.

» Mensonge, calomnie! La mort, C'est le repos, la paix, la récompense; c'est le retour au ciel, où les larmes sont comptées. La mort, c'est le bon ange qui fait grâce de la vie à toutes les âmes en peine, à tous les coeurs brisés.

» Souvent, quand vient la nuit, quand les heureuses femmes sourient avec amour à leurs petits enfants, moi qui ne suis pas mère, je t'appelle, je pleure, et, si j'avais des ailes, ô Mort, je m'enfuirais vers toi.

» Tu ne m'effrayes pas; visite l'exilée, murmure à mon oreille les promesses d'en haut; confie-moi tes secrets, dis-moi les harmonies; viens, je t'écoute. Dis-moi si, pour trancher nos existences, tu te sers d'un glaive, d'un souffle ou d'un baiser.

» Mort, tu n'as d'aiguillons que pour les coupables; Mort, tes désespoirs n'atteignent que l'impie. Terreur du méchant, refuge de l'opprimé, si tu cites le crime au tribunal du Christ, Mort, tu ramènes au ciel l'innocence et la foi!»

Et maintenant, croyez-vous que le coeur où sont écloses ces pensées ait médité un empoisonnement? Maintenant, croyez-vous que la main qui a tracé ces lignes ait présenté la mort à un homme, entre un sourire et un baiser?

Oui?

Alors, comment Dieu n'a-t-il pas foudroyé l'hypocrite, au moment même où elle le prenait à témoin de son innocence!

Arrivée, après son jugement prononcé, à Montpellier, le 11 novembre 1841, Marie Capelle en est sortie le 19 février 1851, c'est-à-dire après neuf ans et demi de captivité.

Ce sont ces neuf ans et demi de captivité que racontent, jour par jour, heure par heure, minute par minute, les Heures de Prison.

C'est dans ce livre, je ne dirai pas, dont nous rendons compte, on ne rend pas compte d'un pareil livre, on le lit et l'on dit aux autres: «Lisez-le!» c'est là que vous trouverez jaillissant, plaintive, à chaque ligne, une de ces grandes vérités morales que nos législateurs appellent un paradoxe: à savoir que la prétendue égalité devant la loi n'existe pas.

Égalité de la peine, bien entendu.

J'ai été lié avec le vieux docteur Larrey, celui que Napoléon, à son lit de mort, appelait le plus honnête homme de France, aussi lié qu'un jeune homme peut l'être avec un vieillard; eh bien, je comparerai l'inégalité de la punition morale à ce qu'il m'a dit de l'inégalité de la douleur physique.

Larrey était peut-être, depuis Esculape jusqu'à nous, l'homme qui avait coupé le plus de bras et le plus de jambes. Napoléon l'avait promené sur tous les champs de bataille de l'Europe, de Valladolid à Vienne, du Caire à Moscou, et Dieu sait la besogne qu'il lui avait donnée! Il avait amputé des Arabes, des Espagnols, des Français, des Prussiens, des Autrichiens, des Russes, des Cosaques.

Eh bien, il prétendait que la douleur n'était qu'une question de nerfs; que l'opération qui faisait jeter des cris aigus à l'homme irritable du Midi tirait parfois un soupir à l'organisation apathique de l'homme du Nord; que, couchés l'un à côté de l'autre sur leur lit de douleur, l'un mettait en morceaux, entre ses mâchoires crispées, un mouchoir ou une serviette, tandis que l'autre, fumant tranquillement, ne brisait pas même le tuyau de sa pipe.

À notre avis, il en est de même de la punition morale.